Cancer : quel est le rôle de l'esthéticienne en ville ?

Une de nos premières interrogations est de savoir déjà si les esthéticiennes font face à une augmentation croissante d’une clientèle malade et en post-cancer à l’institut. Ensuite, nous traiterons des problématiques que vous pouvez rencontrer.

Avant tout, je vais faire un état des lieux.

- Nous assistons à une augmentation croissante du nombre de malades. L’Institut National du Cancer a prévu, entre 2015 et 2030, le double de patients en France !

- Deuxièmement, le système de soin aujourd’hui en France amorce ce que l’on appelle un virage de l’ambulatoire, c’est-à-dire une externalisation des soins pour des raisons économiques.

- Troisièmement, les médicaments sont administrés de plus en plus par voie orale. Le cancer, grâce à l’évolution des traitements anti-cancéreux, devient une maladie chronique, ce qui nous amène à penser que demain les esthéticiennes en ville seront de plus en plus confrontées à des personnes malades.

Concernant le champ d’actions de la socio-esthétique, nous œuvrons activement à la formation des socio-esthéticiennes, depuis 11 ans, vers une formation diplômante.

Socio-esthéticienne : un métier difficile

Marie-Anne Conorgues

Nous exerçons dans des services de cancérologie mais nous n’avons pas toujours des temps pleins à l’hôpital. Et, d’autre part, nous sommes principalement actives sur la période «en cours de traitement». Donc, ça veut dire que lorsque le traitement s’arrête, nos patientes nous quittent et redeviennent vos clientes. Nous ne sommes plus vraiment actrices à cette étape-là de la maladie. Si nous avons commencé à nous poser des questions sur l’exercice des esthéticiennes en ville, c’est à cause de certaines de nos patientes.

Mme X qui est venue en séances de socio-esthétique à la clinique où je travaille et qui m’a raconté être allée avec son mari faire une thalasso en Bretagne pour s’offrir un temps de pause, une trêve dans la maladie. Lorsqu’elle s’est présentée au spa de la thalasso, l’esthéticienne a refusé de l’accueillir parce qu’elle était malade ! Une autre patiente, Mme Y, m’a raconté être allée chez son esthéticienne en ville et s’être sentie vraiment très mal à l’aise quand il a fallu qu’elle retire sa perruque dans la cabine. Et quand elle lui a demandé, au cours du soin visage, si elle pourrait faire un massage la prochaine fois, l’esthéticienne a refusé parce qu’elle avait un cancer. L’important est de connaître le point de vue des professionnelles de l’esthétique.

Christelle Ly

Ma première rencontre avec une personne atteinte du cancer a été avec le mari d’une cliente. Ma cliente constatant les effets indésirables dus à son traitement, il souffrait et se plaignait d’avoir des douleurs. Elle voulait que je lui propose un massage. Aujourd’hui, j’ai honte, car, à l’époque, je lui ai dit non. Je ne pouvais pas lui faire de massage au risque de faire migrer les cellules cancéreuses. Je sais aujourd’hui qu’il n’y a pas de recherches qui le prouvent mais, sur le moment, je me suis sentie un peu perdue. Et, comme je suis un peu téméraire, je me suis lancée, je lui ai proposé de faire un massage des mains et des pieds.

Donc, le mari de ma cliente est venu dans mon institut et je pense que ce rendez-vous a dû être un supplice pour lui car il souffrait de paresthésie, des engourdissements et des picotements au niveau des mains et des pieds, et il n’a pas osé me le dire. Je me suis dit que je ne voulais plus me retrouver dans cette situation : rencontrer des personnes atteintes de cancer ou en post-traitement. Donc, ma première expérience n’était pas la plus agréable.

Carole Lagorce

Moi, j’ai eu la douloureuse expérience d’avoir une de mes clientes, dont je m’occupais depuis longtemps, qui est arrivée en me disant qu’elle avait un cancer du sein. Ça a été terrible pour moi car c’était une amie. Je ne pouvais pas m’occuper d’elle, je ne pouvais pas lui faire de massage, je ne pouvais pas l’épiler, et je ne pouvais pas la guider… Quand on passe son CAP d’Esthétique, on nous dit qu’on ne doit faire de soins qu’à des gens sains et qu’on ne doit pas toucher à des personnes malades.

Donc, je n’ai pas osé la toucher, j’ai eu cette énorme frustration de ne pas pouvoir l’aider, la soutenir physiquement, de ne pas pouvoir la masser, la décontracter. Ça a été terrible pour moi. Donc, je me suis renseignée pour savoir ce que je pouvais lui faire, et j’ai découvert Marie-Anne.

Qu'apporte un soin esthétique ?

Marie-Anne Conorgues

Il apporte 3 choses :

- La première, c’est que les patients sont amenés à vivre des effets secondaires avec des répercussions directes sur la peau, les ongles ou encore les cheveux. Donc, l’idée des soins esthétiques, c’est de pouvoir venir contrecarrer ces effets secondaires, ou peut-être aussi les prévenir.

- Deuxièmement, nous avons une expertise en massage. Le but est de pouvoir accompagner les patients qui sont face à des situations d’anxiété et de réelles situations de douleurs, qu’elles soient morales, émotionnelles ou physiques. Par expérience, encore une fois, même si nous manquons en France cruellement d’études cliniques, nous savons très bien que les massages peuvent accompagner justement ces situations d’anxiété ou de douleurs.

- Troisième bienfait des soins esthétiques, et pas des moindres, c’est de permettre à toutes ces femmes de conserver une part de féminité en les accompagnant avec des conseils autour du maquillage correcteur ou en leur apprenant à nouer leur foulard. Alors, non, nous ne pensons pas que les soins esthétiques soient superflus. Aujourd’hui, ce qui nous intéresse dans cette configuration c’est de se dire que nous, socio-esthéticiennes, nous œuvrons principalement sur la période «en cours de traitement». Ça veut dire que nous voyons peu les patients avant leur traitement. Maintenant, se pose la question de la législation concernant l’accueil de personnes malades à l’institut.

Donc, nous avons des questions à nous poser à ce niveau-là, mais nous devons absolument éviter d’avoir à refuser une cliente malade à l’institut. C’est déjà assez stigmatisant de tomber malade, alors si en plus la cliente malade va voir son esthéticienne pour continuer ses soins et que vous la refusez, en plus de la stigmatisation cancéreuse, il y aura une stigmatisation qui va tourner vers un isolement social.

Dernier point, c’est important, nous, socio-esthéticiennes, nous en avons bien conscience : tous les patients n’ont pas envie de faire leurs séances de soins médicaux à l’hôpital. Certaines patientes souhaitent rester dans la vie et continuer à avoir des activités quotidiennes normales, aller au restaurant, au cinéma, et, pourquoi pas, retourner dans leur institut de beauté ?

Socio-esthétique : comment cela se passe-t-il au quotidien ?

Christelle Ly

Une de mes collègues kiné m’a envoyé une cliente en rémission d’un cancer du sein. Je la reçois dans ma cabine. Elle me raconte son parcours médical et ce qu’elle attend de moi. Elle trouve sa peau très sèche et elle voudrait se réapproprier son corps. Je lui propose un enveloppement et un modelage, je la laisse s’installer et je sors de la cabine. Quand je reviens, elle avait enlevé son soutien-gorge. Il contenait sa prothèse mammaire. J’espère que mon émotion ne s’est pas vue sur mon visage.

Mon deuxième moment de solitude a été de me demander ce que je pouvais faire sur la partie opérée.

Est-ce que je pouvais la masser ? J’ai envie de vous demander, vous, est-ce que vous l’auriez massée ? J’ai décidé de ne pas prendre de risque, je l’ai massée mais j’ai évité cette zone.

Comment accueillir les clientes en post-cancer en tant que socio-esthéticienne

Carole Lagorce

Étant esthéticienne en ville, je ne vois mes clientes qu’après, en post-cancer. Pendant leur traitement, elles sont suivies par les socio-esthéticiennes. Après, elles ne peuvent pas prendre rendez-vous à l’institut. Elles ont leurs traitements médicaux, elles sont fatiguées, elles ont d’autres choses à penser, donc elles viennent après. Je les ai en retour à la vie, pour le bonheur de se récupérer, de retrouver leur féminité et de pouvoir m’occuper d’elles. Comme je fais beaucoup de massages, je me suis demandé comment je pouvais les installer pour qu’elles soient confortables, qu’elles n’aient pas de problèmes au niveau du dos, de leurs prothèses, qu’elles soient à l’aise, et, moi aussi bien sûr.

Une autre chose, la perruque : où poser la perruque ? Quand elles ont terminé leur massage, mes clientes sont bien mais il faut qu’elles se retrouvent belles qu’elle se réapproprient aussi leur vie extérieure. Mes clientes me demandent beaucoup de conseils. Comme je vous l’expliquais, elles viennent en post-traitement, et se réapproprient leur féminité. Elles veulent savoir où elles peuvent acheter de la lingerie. La lingerie portée en post-cancer n’est pas très fun, c’est surtout doux, confortable, mais pas très joli. Donc, il faut trouver une boutique qui fait une jolie lingerie adaptée. D’autre part, concernant la dermopigmentation, en reconstruction, elles me demandent si je peux les conseiller.

Socio-esthéticienne : conseillez vos clientes !

Marie-Anne Conorgues

Donc, aujourd’hui, tout laisse à penser que l’esthéticienne en ville, sans forcément devenir socio-esthéticienne, doit pouvoir évoluer au niveau de ses connaissances pour mieux faire face à cette clientèle malade. Ainsi, avant le début du traitement, il faudrait que vous puissiez donner des conseils à votre cliente à l’institut sur, par exemple, l’hygiène, l’hydratation, la photo-protection… Tout simplement, il s’agit d’expliquer à vos clientes qu’il faut utiliser un savon adapté, qu’il faut surtout choisir une hydratation du corps très rigoureuse, car les traitements médicaux assèchent la peau, se protéger du soleil car de nombreux traitements anti-cancéreux sont photo-sensibilisants, et, surtout, vous devez les éduquer, les conseiller. Autre chose à faire en début de traitement, c’est de pouvoir anticiper leur perte des sourcils. Lorsque votre cliente vous annonce qu’elle est malade, il serait vraiment bien de ne pas attendre le début du traitement pour agir et d’amorcer leur future correction des sourcils.

Pourquoi, en tant que socio-esthéticienne, vos connaissances doivent-elles évoluer ?

Imaginez que vous ayiez une cliente en cours de traitement qui vient dans votre institut pour une hyperpilosité. Certains médicaments anti-cancéreux font beaucoup pousser les poils au niveau de l’ovale du visage. Si votre cliente veut que vous l’épiliez, sachez que les traitements anti-cancéreux ont un effet direct sur la numération sanguine, donc il peut y avoir un impact sur les globules blancs, les globules rouges et les plaquettes. Donc, si votre cliente a un problème de globules blancs, il ne faudrait pas qu’il y ait un risque infectieux. Il y a de plus en plus de malades chroniques qui prennent leurs médicaments à la maison. Elles ne vont pas guérir de leur maladie mais, sûrement, elles vont vivre encore 5-10-15 ans avec leur maladie. Si elles viennent vous voir à l’institut, et qu’elles ont, par exemple, des métastases osseuses, il faut que vous sachiez agir car les métastases osseuses fragilisent énormément les os, le système osseux de votre cliente malade.

Dernier exemple, il existe des traitements anti-cancéreux qui entraînent des onycholyses, c’est-à-dire un décollement de la plaque des ongles à cause de certains médicaments. Dans ce cas, il ne faut pas faire de traumatismes aux ongles afin de ne pas risquer d’accentuer l’onycholyse. Alors, attention, avec le bâtonnet en buis pour repousser les cuticules. Il ne faudrait pas que ça devienne une manucurie traumatisante. Je voudrais attirer votre attention sur le cancer du sein, et sur le risque d’apparition d’un lymphœdème. Qu’est-ce qu’un lymphœdème ? En cas de cancer du sein, lorsqu’on enlève la tumeur, il peut y avoir une atteinte des ganglions lymphatiques du bras, par des cellules cancéreuses. Le risque c’est que même 10 ans après le cancer, il est possible de développer un lymphœdème. Dans ce cas, les médecins conseillent à leurs patientes d’éviter les chocs, les brûlures, les piqures, les effractions cutanées. Alors se pose la question de la pratique du massage, car il y a de l’appui, la question de l’épilation car il y a de la chaleur, la question de la manucurie car il peut y avoir une blessure… Encore une fois, on peut s’interroger sur le risque que votre cliente encourt lorsqu’elle est dans votre institut.

L'indispensable formation des socio-esthéticiennes

Alors, justement, par rapport à toute cette problématique, nous avons conçu une formation spécifique pour les esthéticiennes de ville, qui se déroule sur deux jours, et est prise en charge par le FAFCEA. Son but est tout d’abord de dédramatiser la maladie afin que vous puissiez accueillir vos clientes à l’institut, de façon plus secure et plus légère. Carole et Christelle ont suivi cette formation. Elles vont vous en parler.

Christelle Ly

Cette formation m’a apporté des connaissances complémentaires, notamment pour savoir comment aborder cette clientèle. J’ai reçu une cliente qui était complexée à cause d’une acné, suite à ses traitements contre le cancer. Grâce à la formation, j’ai su que c’était un rush acnéiforme et j’ai pu lui expliquer que ça n’allait pas durer toute la vie.

J’ai su l’écouter et lui dire que je savais ce qu’elle avait et j’ai pu l’accompagner.

Elle s’est sentie rassurée et en confiance, et surtout, elle m’a remerciée de pouvoir aborder son problème de manière professionnelle. Elle ne s’est plus considérée comme une malade mais comme une jeune femme dans un institut de beauté. Je pense que dans de tels cas l’on peut assoir notre professionnalisme. Nous sommes là pour apporter du bien-être à nos clientes. Le fait d’avoir des connaissances nous permet d’adapter nos soins. Je remercie Marie-Anne pour sa formation parce que, désormais, je peux aborder cette maladie du cancer qui fait super peur avec plus de recul.

Carole Lagorce

Avant tout, cette formation m’a permis de me rassurer. Durant nos études, CAP, BP, on nous dit de ne pas toucher une cliente qui a eu un cancer. C’est terrible de dire à une cliente qui a envie qu’on s’occupe d’elle, qu’on ne peut pas l’accueillir, lui faire un massage, l’épiler… Donc, grâce à cette formation, je peux les recevoir. J’ai affiché mon certificat dans mon institut et aussi sur mon site Internet. Donc, les nouvelles clientes qui vont sur le site se rendent compte que j’ai été formée, que j’ai des connaissances et ça les rassure. Quand elles viennent à l’institut, elles sont plus à l’aise.