La cliente experte est-elle une menace pour les esthéticiennes ?
Elles achètent des technologies, comparent les actifs, les textures, scrollent sur les réseaux sociaux pour dénicher les dernières tendances… Aujourd’hui, les clientes ne se contentent plus d’attendre leur rendez-vous en institut de beauté pour prendre soin d’elles. Elles le font venir à la maison. Il faut dire que l’offre explose.
Qu’il s’agisse de technologies nomades ou encore de routines de soins ultra-complètes, les marques innovent pour le plus grand plaisir de leurs clientes. Est-il pour autant nécessaire de s’inquiéter face à cette tendance ?
Lucibel.le, ou comment une tech beauté rapproche les pros et les clientes
Lucibel.le est une entreprise française experte en technologie Led (photobiomodulation), notamment sur la longueur d’onde émettant dans le rouge.
La marque a fait le choix de s’adresser à la fois aux professionnelles de la beauté ainsi qu’au grand public. Pour ce faire, un appareil pour chaque cible est proposé :
• Ove se présente sous la forme d’un masque Led couvrant l’ensemble du visage, fixé sur un bras amovible. Ce design ergonomique permet une utilisation aussi bien en position assise qu’allongée, ou directement posé sur une table pour des soins ciblés. Exclusivement destiné aux professionnels, l’appareil répond aux exigences d’un usage intensif en institut.
• Ove Mini est une version nomade de la technologie, au format compact proche de celui d’un smartphone. Conçu pour le grand public, il allie praticité et performance. L’ambition de la marque : offrir un appareil réellement efficace, loin du simple gadget, afin de démocratiser l’accès à des soins Led de qualité à domicile.
Une technologie née pour le grand public, adoptée par les professionnels
À son lancement en 2014, la marque Lucibel.le s’adressait exclusivement au grand public. Rapidement, face à une forte demande émanant des professionnelles de la beauté et du bien-être, la marque a conçu une version de son appareil spécifiquement adaptée aux professionnels. “Nous avons développé cet appareil, Ove, pour permettre aux esthéticiennes d’enrichir leur carte de soins avec une prestation innovante. Il s’agit d’un dispositif Led à lumière rouge, dont les effets sont visibles dès la première séance” précise Natacha Lénée, directrice commerciale Lucibel.le France.
“Nous avons développé cet appareil, Ove, pour permettre aux esthéticiennes d’enrichir leur carte de soins avec une prestation innovante”
Grâce à Ove, les professionnelles peuvent non seulement proposer des soins efficaces en institut, mais également vendre des cures personnalisées à leurs clientes. Bien que la technologie soit identique à celle du grand public, l’appareil professionnel diffère par sa conception robuste, adaptée à un usage intensif et à une programmation sur-mesure.
Une clientèle plurielle, des attentes différenciées
Selon la directrice commerciale, le marché du bien-être à domicile est porté par une pluralité de comportements d’achat. Elle identifie ainsi trois grands profils de consommatrices :
• celles qui ne fréquentent pas les instituts de beauté, par manque de moyens ou peu attirées par l’offre, et investissent dans des dispositifs technologiques pour leur routine maison,
• celles qui restent fidèles aux soins en institut, pour qui l’expérience sensorielle et le moment pour soi sont essentiels,
• enfin, un public hybride qui combine soins maison et rendez-vous en institut selon les besoins ou les occasions.
Pour cette dernière catégorie, la marque propose Ove Mini, une version accessible de l’appareil vendue au prix de 590 euros, pensée pour une utilisation personnelle. Il convient de noter que les Leds sont une technologie dont l’utilisation ne serait pas dangereuse dans un cadre non professionnel. Il est nécessaire de veiller à respecter le mode d’emploi fourni avec l’appareil.
Pour garder vos clientes, il faut miser sur la pédagogie et l’expertise
Esthéticienne depuis quinze ans, Floriane Jean a créé l’Institut La Beauté Autrement à La Mézière, près de Rennes, en 2020. Accompagnée d’une apprentie, l’esthéticienne propose des soins d’épilation à la cire ou au laser, ainsi que des traitements adaptés, en s’appuyant sur les marques Dermalogica pour la performance et Absolution pour la sensorialité. Floriane est équipée d’appareils pour le peeling, des ultrasons, le marteau froid, la lumière pulsée (photo-rajeunissement) et l’épilation au laser. L’institut dispose de deux cabines.
La jeune clientèle est de plus en plus informée
Le grand public, qu’il fréquente les instituts de beauté ou non, est aujourd’hui de mieux en mieux informé. L’abondance de contenus pédagogiques sur la peau et les cosmétiques y contribuent fortement, un phénomène que Floriane a clairement constaté.
“Entre 25 et 35 ans, les clientes vont avoir le réflexe de s’informer en premier lieu d’elles-mêmes avant d’interroger les esthéticiennes. Celles qui se situent dans la tranche d’âge des 45-70 ans auront davantage tendance à nous demander avant de vérifier sur Internet” observe-t-elle.
La nécessité d’une approche pédagogique
Que les clientes soient de plus en plus informées pousse les esthéticiennes à devoir faire valoir leur expertise au travers notamment du diagnostic de peau, comme nous l’explique Floriane. Car une cliente qui arrive avec une idée bien précise du soin qu’elle souhaite n’est pas toujours facile à éduquer.
“Il est important d’écouter la cliente et de comprendre pourquoi ce soin vu sur les réseaux sociaux l’intéresse. Si le soin peut être adapté, il est envisageable de le proposer. En revanche, s’il ne convient pas au type ou à l’état de peau de la cliente, il est essentiel de lui en expliquer les raisons” explique Floriane.
Par ailleurs, Floriane s’est déjà retrouvée confrontée à une cliente qui ne se nettoyait plus le visage. Un réflexe acquis à cause d’une formation de naturopathie en ligne. “C’est une méthode, mais elle n’était en l’occurrence pas adaptée à la peau de ma cliente. Il a donc fallu que je la mette en garde par rapport à cette approche qui pourrait ne pas être adaptée” explique Floriane. Comme nous l’explique l’esthéticienne, les clientes d’aujourd’hui ont besoin de comprendre ce qu’une esthéticienne leur propose et pourquoi. “La relation de confiance est essentielle pour se positionner en tant qu’experte” déclare Floriane.
Des clientes qui utilisent de la technologie chez elles, aux conséquences parfois négatives
Floriane propose l’épilation définitive au sein de son institut. Elle constate que certaines clientes ont auparavant utilisé des épilateurs à lumière pulsée à domicile, avec des résultats mitigés : environ la moitié s’en déclarent satisfaites. Cependant, pour d’autres, cette utilisation en amateur complique les traitements professionnels.
“Le poil a été tellement affiné par cette technologie qu’il devient plus difficile à traiter ensuite” explique-t-elle.
Une envie d’apprendre par soi-même qui est légitime mais qu’il faut modérer
L’esthéticienne explique très justement qu’il est humain de vouloir apprendre par soi-même. “Qui n’a jamais regardé un tutoriel sur YouTube ?” demande Floriane. Plutôt que de critiquer cette tendance, elle estime qu’il faut accompagner les clientes. Pour elle, c’est là que le métier évolue, notamment vers plus de technologie. “L’épilation à domicile se généralise, ce qui réduit progressivement cette part de marché. En revanche, nous pouvons proposer des prestations auxquelles les clientes n’ont pas accès chez elles. C’est dans cette direction que la profession doit avancer.”
Une esthéticienne peut ainsi valoriser son savoir-faire en s’appuyant sur des protocoles de soins qu’elle conçoit grâce à des technologies professionnelles ou des techniques manuelles avancées. Encore faut-il bien communiquer à ce propos.
“Il ne faut pas hésiter à mettre en avant son expertise, les formations que l’on suit, les outils que l’on utilise pour traiter les problématiques…” conseille l’esthéticienne.
L’avenir du métier d’esthéticienne sera tourné vers l’expertise et la technologie
Le métier d’esthéticienne connaît une évolution constante, jugée indispensable par Floriane. Certaines prestations, selon elle, tendent à disparaître faute de demande.
“Les épilations à la cire, par exemple, sont facilement accessibles. C’est pourquoi, il devient essentiel de se spécialiser et de renforcer son expertise. Les clientes attendent des résultats visibles, rapidement. C’est ce qui explique le succès de l’épilation définitive. Il en va de même pour les soins du visage : il faut viser l’hyperperformance” analyse-t-elle.
Rendre les clientes autonomes : la clé d’une nouvelle esthétique
Elle s’est orientée vers des techniques ciblées, telles que le drainage lymphatique et les soins facialistes, avant d’ouvrir son snstitut Elle et Naturelle à Lausanne (Suisse) en 2021. Léna y exerce seule, dans une cabine dédiée aux soins.
Elle a fait le choix de la marque Phyt’s pour coller au mieux à son concept axé sur la naturo-esthétique. L’esthéticienne ne propose pas de soins avec technologie.
Des clientes intéressées mais peu sensibilisées
L’esthéticienne a remarqué l’intérêt grandissant des clientes pour la composition des produits et les bienfaits des actifs. Néanmoins, au fil des échanges, elle s’est aperçue que les clientes ne sont pas si informées qu’il n’y paraît. Leurs connaissances acquises, notamment sur les réseaux sociaux, sont peu approfondies.
“Lorsque je prends le temps d’expliquer à une cliente l’intérêt d’un actif par exemple, elle m’écoute avec attention. De façon générale, les clientes veulent comprendre” souligne Léna.
Afin de pouvoir transmettre l’information au plus grand nombre de clientes, l’esthéticienne prend le soin d’accorder un temps d’échange à chaque début de soin avec sa cliente.
“Je réalise dans ce cadre une anamnèse de leur peau, afin de comprendre la problématique qui les amène. Cette façon de faire mène toujours à un échange sur les soins à effectuer chez soi. C’est à ce moment que j’en profite pour faire de la pédagogie” explique l’esthéticienne.
L’autonomie des clientes, une clé du succès
Pour elle, l’implication active des clientes dans leur routine beauté est essentielle pour obtenir des résultats durables. Loin d’y voir un inconvénient, elle valorise cette autonomie, notamment parce que les soins manuels du visage nécessitent une certaine régularité pour être véritablement efficaces.
“J’ai une approche médicale basée sur un équilibre : 50 % du travail m’incombe, les 50 % restants reviennent à la cliente. En esthétique, c’est exactement pareil. C’est cette collaboration qui permet d’atteindre les résultats escomptés” affirme Léna.
La création d’un e-book pour éduquer les clientes
Pour Léna, les esthéticiennes ont un véritable rôle pédagogique à jouer auprès de leurs clientes, notamment en les aidant à mieux comprendre et adopter les bons gestes pour prendre soin de leur peau. Dans cette optique, elle a développé des e-books détaillant des techniques de soins à reproduire à domicile, ainsi que des consultations en visio destinées à accompagner ses clientes à distance.
Les esthéticiennes ont un véritable rôle pédagogique à jouer auprès de leurs clientes
“Il existe de nombreuses méthodes intéressantes que les clientes peuvent pratiquer chez elles, car elles ne sont pas réalisables en institut, comme le face taping. Mais encore faut-il savoir les appliquer correctement. Une mauvaise exécution peut être contre-productive, voire néfaste. C’est aussi pour cela que j’ai créé ces supports” précise-t-elle.
Afin d’amener les clientes à la consultation des e-books, Léna aborde le sujet en fin de soin. Cet outil supplémentaire est proposé comme un complément des produits de soins à utiliser à domicile.
Les esthéticiennes doivent devenir les coachs beauté de leurs clientes
L’investissement personnel que mettent les clientes dans leur routine de soins au quotidien pousse les esthéticiennes à se réinventer, comme nous l’explique Léna :
“C’est pourquoi la mise en place d’outils digitaux, par exemple, est ce vers quoi il faut aller à l’avenir. Car il est nécessaire de valoriser la plus-value que l’on propose aux clientes en tant qu’experte de la peau.”
Conseil aux esthéticiennes
Afin de rester ou devenir la conseillère privilégiée de vos clientes, Léna vous conseille de rester curieuse, à l’affut des nouvelles techniques. Il est important de miser sur vos connaissances également. “Soyez heureuse de transmettre vos connaissances car si vos clientes vous voient comme experte de votre domaine, elles vous feront confiance et remarqueront les résultats des soins en appliquant vos conseils” conseille l’esthéticienne.
Éduquer les clientes après les erreurs
Esthéticienne depuis vingt ans, ancienne spa manager dans l’hôtellerie de luxe, Pauline Ballot a créé l’institut Les Mains d’Opaline situé à Buis-les-Baronnies (26) en 2021. L’esthéticienne travaille seule au sein de sa cabine de soins. Elle a fait le choix des marques de cosmétiques coréennes du groupe Eolys Beauté : Torriden et Whamisa. Elle est spécialisée en soins manuels, notamment en techniques de soins facialistes. Son expérience riche dans le secteur ainsi que ses formations, notamment en accompagnement psychocorporel, lui permettent de proposer des soins visage et corps personnalisés à ses clientes.
Des clientes sur-informées qu’il est nécessaire de rééduquer
Pour Pauline, les clientes sont sur-informées en raison de l’abondance des contenus proposés sur les réseaux sociaux. En outre, les informations auxquelles les clientes ont accès seraient contradictoires. “Je me retrouve aujourd’hui avec une clientèle qui est complètement perdue. Les clientes voient plein de techniques, de produits, mais elles ne sont pas du métier. Je suis donc contrainte de rééduquer les clientes lorsqu’elles viennent à l’institut” explique l’esthéticienne.
L’importance du diagnostic de peau
C’est pourquoi, Pauline consacre toujours un temps au début de chaque soin pour échanger avec sa cliente sur l’état de sa peau, son ressenti du moment, les produits qu’elle utilise… Grâce à un diagnostic de peau précis et approfondi, l’esthéticienne est en mesure d’identifier les produits ou étapes de la routine de soin qui ne sont pas adaptés à sa cliente.
“Certains gestes de base, comme le nettoyage de peau ou le massage, ne sont pas assimilés ou de façon incorrecte. C’est pourtant la base pour obtenir une belle peau en bonne santé” souligne l’esthéticienne.
Les clientes et les devices
Certaines de ses clientes ont utilisé de la radiofréquence, de la haute fréquence ou encore des Leds chez elles. Des appareils qu’elles ont achetés après les avoir vus sur les réseaux sociaux. Mais l’utilisation de ces appareils nécessite du temps pour obtenir des résultats, ce qui est une mentalité peu courante en France d’après l’esthéticienne. Les appareils finissent donc souvent au fond du placard après seulement quelques utilisations.
Par ailleurs, lorsque les clientes achètent ces appareils, la notice fournie serait peu pertinente, d’après notre interlocutrice.
“Alors certaines se retrouvent avec la peau brûlée… Mais c’est la même chose concernant les cosmétiques. La tendance des produits au rétinol, par exemple, a fait des ravages…” ajoute-t-elle.
L’éducation à la beauté passe aussi par l’expérience
Le point de vue de Pauline sur l’usage des technologies esthétiques à domicile peut surprendre. Pour elle, il est impossible d’avoir le contrôle sur ce que les clientes souhaitent faire.
Souvent, les clientes viennent me consulter une fois que les dégâts sont faits
“Souvent, elles viennent me consulter une fois que les dégâts sont faits ! C’est à ce moment-là qu’elles réalisent qu’elles ont besoin de conseils, et c’est là qu’on revoit ensemble toute leur routine de soins. Finalement, je préfère presque qu’elles commettent cette erreur au départ, car c’est à partir de là que je peux vraiment intervenir efficacement” explique-t-elle.
Loin de sonner le glas du métier, l’autonomisation des clientes semble offrir un renouveau au métier d’esthéticienne : de praticienne à coach, de technicienne à experte. Une mutation à accompagner, non à craindre.