Burn-out et esthéticiennes : le témoignage de Cécile Prieur, fondatrice de l’institut Poudre & Jupons
Ses 23 ans d’expérience dans l’esthétique ne l’ont pas épargnée. À 42 ans, Cécile Prieur, cheffe d’entreprise dirigeante de l’Institut Poudre & Jupons situé à Segré-en-Anjou-Bleu (49), a traversé un burn-out en 2022. Aujourd’hui, les conséquences de cet événement la suivent encore.
Les débuts dans l’entrepreneuriat avec la création de Poudre & Jupons
En 2015, Cécile créé son premier institut à Segré près d’Angers. Deux ans plus tard, elle en ouvre un second à Tiercé. «J’ai toujours eu de l’appétence pour l’entrepreneuriat. J’aimais me dépasser» déclare l’esthéticienne.
À l’origine, les deux instituts proposaient une offre similaire. Puis, le concept du premier - de 350 m2 - a été entièrement repensé. Les soins proposés reposaient principalement sur l’usage de nouvelles technologies. Au total, l’entrepreneuse employait huit personnes, ainsi qu’une free-lance chargée de la gestion des réseaux sociaux.
Aujourd’hui, l’esthéticienne ne possède plus que le premier institut qu’elle a créé et qui a été transformé en concept store alliant espace de prêt-à-porter et institut de beauté.
Des ennuis de santé ignorés…
Le burn-out de Cécile n’est pas survenu du jour au lendemain. Quatre ans se sont passés entre les premiers signes et le diagnostic de la maladie. Des années intenses, tant sur le plan personnel, avec deux enfants en bas âge, que professionnel, avec des projets qui s’enchaînaient sans répit, ont fini par épuiser l’esthéticienne.
Le Covid, le départ de plusieurs collaboratrices et l’arrivée de ses enfants ont progressivement alourdi la charge mentale de Cécile. «Je gardais pour moi les douleurs que je ressentais et commençais à souffrir du dos, du ventre, d’insomnies qui me poussaient à travailler la nuit. Au lieu de consulter un médecin, j’ai cherché à davantage m’occuper. Je travaillais six jours sur sept, jusqu’à ce que les pompiers me ramènent chez moi après un malaise à l’institut. Avec mon premier bébé, je pensais lever le pied mais, une fois qu’il était couché, je bossais tard. Puis le deuxième est arrivé, et j’ai continué à jongler… toujours en voulant plus : plus de savoir, plus de visibilité, plus d’idées. Plus j’avais mal, plus je poussais. Quand on n’écoute pas sa tête, c’est le corps qui finit par parler» confie l’esthéticienne.
“Quand on n’écoute pas la tête, c’est le corps qui finit par parler”
En septembre 2023, alors qu’elle devait partir en formation avec son équipe, Cécile renonce. «J’ai envoyé un SMS pour les prévenir que je ne me sentais pas bien. Et mon état s’est prolongé deux jours, puis trois… Le quatrième jour, j’ai tellement souffert, au point de ne plus bouger et de finir par m’évanouir de douleur. Mon mari a dû appeler le SAMU. Je suis restée une semaine à l’hôpital au service de rhumatologie car je souffrais d’une hernie discale. Mais je me doutais qu’il y avait autre chose qui n’allait pas et mon médecin savait déjà depuis un moment ce qui allait arriver, mais il n’y a pas plus sourd que quelqu’un qui ne veut pas entendre» détaille Cécile.
…qui annonçaient un burn-out
Notre interlocutrice a bien trop longtemps ignoré les signaux d’alerte. Pourtant, cela faisait des mois que son médecin tentait de la mettre en garde concernant son état. Ce dernier lui conseillait de lever le pied, que sa soif de travail n’allait pas lui faire oublier un passé compliqué.
«En quinze jours, j’ai été hospitalisée trois fois. Et à chaque sortie, je me rendais chez mon médecin car je sentais que j’allais éclater, que j’allais faire un infarctus… raconte-elle. Le 23 septembre, je me rends chez mon médecin avec une amie. Dans la salle d’attente, je me suis écroulée, je suis tombée comme un plomb au fond de l’eau. Je ne savais plus où j’étais, j’avais mal sans avoir mal. Je pleurais, j’ai senti que quelque chose se passait dans mon cerveau, on venait d’éteindre la lumière. C’est là que mon médecin s’est agenouillé à côté de moi et m’a dit : “On y est. Je vais prononcer les deux mots que tu ne voulais pas entendre : tu fais un burn-out.” Je n’y croyais pas ! Je pensais être de nouveau d’attaque d’ici trois mois…»
«Le burn-out des chefs d’entreprise est un véritable parcours du combattant»
Une fois rentrée chez elle, l’esthéticienne informe son mari de son état. Celui-ci prend alors le relais et assure la gestion de ses deux instituts en parallèle de son activité d’agriculteur. «Mes salariées ont fait preuve d’une grande compréhension, conscientes du rythme intense que je m’imposais. Toutefois, la mise en place de cette nouvelle organisation n’a pas été simple au départ. Mon mari se rendait dans mes instituts plusieurs fois par mois et ce pendant neuf mois, raconte Cécile. De mon côté, j’ai passé trois mois en pyjama à pleurer, à écouter mon corps qui me faisait souffrir, je n’étais plus maître de rien. J’ai connu les journées noires et les nuits blanches, les lettres de suicide tant la douleur psychologique était terrible. J’ai mis plus de sept mois avant de pouvoir retourner dans mes centres.»
Une prise en charge médicale indispensable
À domicile
L’état de santé de Cécile se détériore considérablement, tant sur le plan physique que psychologique, rendant une prise en charge médicale indispensable. «J’ai dû prendre des médicaments pour soulager la douleur physique, exacerbée par une souffrance mentale que j’avais enfouie pendant des années. À cette période, j’ai également subi une intervention chirurgicale pour mon endométriose, ce qui a eu des répercussions psychologiques supplémentaires. Une prise en charge psychologique s’est donc avérée nécessaire. Par ailleurs, j’ai suivi des séances de kinésithérapie pour soulager mes douleurs dorsales. On m’a aussi prescrit des anxiolytiques, des antidépresseurs et des somnifères, car mon sommeil était extrêmement perturbé.»
En hôpital psychiatrique
Ce n’est pas tout. Cécile passe cinq semaines en clinique psychiatrique, alors que sa santé mentale est au plus mal, la dépression étant l’une des conséquences de son burn-out. Elle décrit ce séjour comme une expérience presque salvatrice : «Je dirais presque que cela a été un séjour de rêve. J’ai rencontré des personnes fabuleuses, qui sont devenues des amies. Nous étions tous dans le même bateau, des chefs d’entreprise également. Il n’y avait donc aucun jugement» explique-t-elle.
“J’ai passé trois mois en pyjama à pleurer, à écouter mon corps qui me faisait souffrir”
C’est à ce moment-là que les équipes médicales posent le diagnostic d’un trouble bipolaire de type II ainsi que d’un HPI (haut potentiel intellectuel). La bipolarité apparaît généralement à l’adolescence, autour de 17 à 19 ans, et se caractérise par deux facettes : «L’une où l’on vit des chutes vertigineuses, où l’on fait des dépressions, où l’on a des envies suicidaires, où l’on n’a plus envie de sortir de chez soi…
Et l’autre, la phase hypomaniaque, où l’on se sent pousser des ailes, où l’on travaille jour et nuit, où l’on entreprend des projets ambitieux et où l’on adopte parfois des conduites à risques» détaille-t-elle. Cette prise de conscience lui a permis de mieux comprendre sa tendance à la course à la performance et son besoin incessant d’aller toujours plus loin. Un traitement médicamenteux important a été mis en place pour la soutenir.
Le burn-out n’épargne pas les gérantes qui travaillent avec une équipe
On pourrait penser que le burn-out touche davantage les gérantes travaillant seules. Pourtant, Cécile en est la preuve : avoir une équipe ne protège pas forcément de l’épuisement.
«Depuis le Covid, les équipes sont plus instables qu’auparavant, ce qui demande énormément de temps et d’énergie. Il faut recruter, former, intégrer… sans garantie que la personne reste en poste plus de quelques mois. Cela fragilise aussi la relation avec la clientèle, qui s’attache davantage à une personne qu’à une marque. C’est une situation complexe. Les collaboratrices d’aujourd’hui ont des attentes auxquelles il n’est pas toujours possible de répondre. J’ai donc dû ajuster ma posture managériale pour m’adapter à ces nouvelles exigences» nous explique notre interlocutrice.
Interrogée sur l’absence de délégation, Cécile évoque son ambition, son besoin de tout maîtriser, aussi bien dans sa vie professionnelle que personnelle, et sa tendance à ne pas vouloir déranger. Le bien-être des autres passait avant le sien. Se surcharger lui semblait naturel, d’autant qu’elle avait le sentiment de tout gérer d’une main de maître.
«Avoir vendu un institut m’a libérée d’un poids»
En décembre 2024, quinze mois après le diagnostic de son burn-out, lors de notre échange avec Cécile, elle nous confie retrouver tout juste certaines fonctions cognitives, lui permettant d’avancer progressivement. «Mais c’est un combat quotidien. Aujourd’hui, je ne me considère pas guérie, je suis encore dans des phases de dépression et des phases où je monte, mais moins haut. Je reprends doucement les coachings avec Tiphaine Modeste, à un rythme adapté. Nos séances durent entre 30 et 45 minutes, car ma capacité de concentration reste très limitée. Nous travaillons ensemble pour optimiser les choses tout en veillant à me préserver» explique-t-elle.
À cette période, l’esthéticienne parvient à vendre son deuxième centre. Ce qui l’a «libérée d’un grand poids», comme elle nous le confie. «Mon objectif est d’avoir un seul institut capable de fonctionner de manière autonome. J’ai réparti les rôles de mes salariées et j’ai enfin appris à déléguer et compris qu’une entreprise ne peut fonctionner qu’à partir du moment où le dirigeant structure, délègue et met en place une manager qui devient l’interlocutrice principale. J’ai attribué des missions en fonction des forces et des affinités de chacune des esthéticiennes de mon équipe» explique-t-elle.
Le burn-out impacte la vie personnelle
Vivre un burn-out a permis à Cécile de prendre conscience de plusieurs aspects de sa vie. Elle a réalisé qu’il est essentiel d’accomplir les choses en pleine conscience, sans se contraindre à aller trop vite ni à réagir immédiatement. Cette épreuve a également entraîné un tri naturel dans son entourage, car elle s’est rendu compte que, dans une période de vulnérabilité, elle devenait moins intéressante pour certaines personnes. Cela lui a permis d’identifier les personnes qui étaient véritablement présentes pour elle. «J’ai aussi pris conscience que je ne voulais plus disperser mon énergie, que ce soit dans mes relations professionnelles, amicales ou familiales» souligne-t-elle.
Cécile retient surtout l’importance de faire les choses par plaisir plutôt que par nécessité. Elle a également beaucoup travaillé sur la gestion de son temps. Aujourd’hui, elle reconnaît ne plus avoir les mêmes capacités qu’auparavant, mais elle l’accepte sereinement.
Comment aller mieux ?
Le lâcher-prise est une notion qu’il est essentiel de travailler, notamment à la suite d’un burn-out. Un travail peu évident, nous confie Cécile. «Je pensais que la psychothérapie serait ma baguette magique mais non. Ce sont plusieurs petits rituels qui, mis bout à bout, permettent de m’apaiser et laisser les choses aller et venir sereinement. Ces rituels évoluent avec le temps» explique la gérante.
Les rituels mis en place par Cécile sont nombreux et lui ont permis de se reconstruire peu à peu :
- L’écriture, pour l’aider à mesurer ses avancées, reconnaître ses victoires et ses forces, même dans les journées les plus sombres.
- Ses enfants, véritable moteur et source de force dans les moments difficiles.
- La lecture et le développement personnel, pour nourrir sa réflexion et l’aider à accepter son parcours.
- Se coucher tôt, après avoir longtemps connu des nuits blanches de travail ou d’idées en boucle.
- L’acceptation, aussi, d’une autre façon de vivre. Après avoir touché le fond, elle a ressenti à nouveau l’envie de vivre, pris conscience de la chance qu’elle avait malgré tout.
- L’abandon de l’ancienne version d’elle-même, celle qui voulait que tout soit “top” en permanence, qui travaillait la nuit, enchaînait les rendez-vous clients après avoir couché ses enfants, et qui, portée par un esprit bouillonnant et son hypersensibilité HPI/bipolaire, cherchait à tout mener de front, parfois de façon obsessionnelle.
L’abandon de ce mode de vie a ouvert la voie à l’abondance. Elle dit avoir compris, alors que chaque renoncement, aussi difficile soit-il, permettait de faire de la place à autre chose.
Être authentique
Le processus de guérison de Cécile passe également par l’arrêt des réseaux sociaux. Elle a tout désinstallé de son téléphone, estimant qu’ils constituent une source permanente de comparaison. Selon elle, ce qui y est diffusé est bien souvent artificiel et ne reflète pas la réalité. Elle cite notamment les publications sur LinkedIn mentionnant des chiffres d’affaires impressionnants, mais s’interroge : «Oui, mais à quel prix ?». Elle constate que, de nos jours, beaucoup de personnes ont peur d’être authentiques.
À l’annonce de son burn-out, Cécile a été très surprise par les réactions de son réseau. De nombreuses personnes l’ont félicitée pour sa sincérité et le courage dont elle a fait preuve en parlant de son expérience, notamment de son séjour en clinique psychiatrique. «J’ai fait le choix de partager cette expérience de vie pour impacter, toucher, sensibiliser et lever des tabous» souligne-t-elle.
Les projets d’avenir
L’écriture d’un livre
Le burn-out de Cécile n’a pas eu d’impact sur la fréquentation de sa clientèle en institut. En effet, elle ne pratiquait déjà plus depuis un moment. Afin d’être sincère dans son récit, qu’elle estime important de partager tant sur sa vie de maman que d’entrepreneure, elle a décidé d’écrire un livre. Cécile souhaite que cet ouvrage reflète son parcours sous toutes ses facettes : celui d’une mère d’un enfant autiste, d’un autre petit garçon, d’une épouse d’agriculteur, d’une entrepreneure confrontée au burn-out et d’une femme atteinte de bipolarité. «J’ai à cœur de partager tout ce que j’ai accompli dans ma vie, aussi bien grâce à cette maladie que malgré elle» confie-t-elle. Un ouvrage qui devrait être publié fin 2025. «J’ai envie de faire passer le message suivant à travers mon témoignage : tomber, ce n’est pas grave. C’est de ne pas réussir à se relever qui l’est» ajoute notre interlocutrice.
“Aujourd’hui, je ne me considère pas guérie”
«Je suis dans une phase de consolidation et de transformation» confie-t-elle. Elle ajoute : «Rien n’arrive par hasard. Je prenais beaucoup de place avec mes projets professionnels. Cette remise en question a permis à chacun de retrouver sa place, et un véritable équilibre familial s’est installé».
L’accompagnement de professionnels
L’institut de Cécile fonctionne sans qu’elle n’ait besoin d’être présente au quotidien. Toutefois, comme elle nous le confie, cela ne la nourrit pas. Ce pourquoi elle songe à explorer de nouveaux horizons, en accompagnant les gérantes d’institut et les prévenir d’un éventuel burn-out.
Message aux gérantes d’instituts
Forte de son expérience, Cécile tient à partager plusieurs conseils aux gérantes d’instituts de beauté. Elle insiste sur l’importance de se préserver et de se protéger de tout ce qui peut être entendu en cabine : «Nous écoutons parfois des récits très durs sur la vie de nos clientes, mais nous ne sommes pas psychologues».
Elle recommande également de consulter un magnétiseur pour se recharger énergétiquement et de voir régulièrement un thérapeute. Selon elle, il est essentiel de s’accorder au moins deux jours de repos consécutifs par semaine. «Nous ne sommes ni chirurgiennes, ni pompiers. Il n’y a donc pas d’urgence dans notre métier. Il faut savoir prendre du recul, car ce qui nous semble grave sur le moment ne l’est souvent pas. Il est important d’avoir en tête qu’une cheffe d’entreprise peut travailler 35 heures par semaine et non pas 70, simplement parce que la société l’exige» souligne-t-elle.
Elle recommande de couper son téléphone à 18h30 et de marcher au moins 30 minutes chaque jour. «Je vous assure qu’il est possible de le faire, même avec des enfants et une vie de cheffe d’entreprise !» souligne l’esthéticienne. Il est essentiel de prendre soin de soi et de ne pas s’oublier.