Gérante d’institut : comment prévenir le burn-out lorsqu’on travaille seule ?
Indépendance, flexibilité, moindres coûts… Travailler seule en institut de beauté présente de nombreux avantages. Cependant, cela demande une bonne organisation et une capacité à assumer l’ensemble des responsabilités. Et combien d’esthéticiennes indépendantes travaillant seules reconnaissent ne plus compter leurs heures ? Pléthore. Prudence, car un épuisement en apparence banal peur se transformer en burn-out.
C’est quoi le burn-out ?
En France, selon plusieurs études, on estime que le burn-out concernerait entre 300 000 et 500 000 personnes. Il s’agit d’un trouble psychologique. Le burn-out résulte d’une sur-utilisation trop rapide et trop longue de son cerveau, ce qui provoque un état de déperdition des neuro-transmetteurs. Les neuro-transmetteurs étant le carburant du cerveau. Les troubles en conséquence peuvent être invalidants au quotidien.
Quels sont les symptômes du burn-out ?
Pour identifier un burn-out, plusieurs symptômes réunis peuvent être constatés, comme nous le détaille le Dr Alain Meunier, psychiatre, responsable du Centre du Burn-Out à Paris :
- des troubles de la mémoire immédiate,
- des troubles de la concentration,
- une fatigabilité accrue,
- des troubles organisationnels (incapacité à bien s’organiser),
- des insomnies,
- de la pensée sans repos (penser constamment à quelque chose),
- des troubles fonctionnels physiques somatiques (mal de dos un jour, mal de tête le lendemain…),
- de l’anxiété provoquée par le stress.
Un trouble insidieux...
Les symptômes qui découlent d’un burn-out provoquent de nombreux inconvénients pour la vie quotidienne. Et ce n’est pas tout. «Une personne victime de burn-out se voit parfois plus agressive, elle peut ne pas réussir à faire ce qu’elle entreprend, être dans la dévalorisation de soi…» explique le Dr Alain Meunier. Selon lui, le vrai problème émane du déni des personnes touchées. «On se dit qu’il ne s’agit que d’une petite fatigue, qu’il suffit de partir en vacances. Mais prendre des vacances n’est pas une solution durable.» Le burn-out s’installe de façon insidieuse. Cela peut prendre des semaines, des mois, voire des années. Et au fur et à mesure que cela s’installe, la personne lutte, travaille de plus en plus…
Le burn-out s’installe de façon insidieuse. Cela peut prendre des années
«La santé n’est pas un état mais un équilibre. Le burn-out est un équilibre rompu bien sûr par la quantité de travail mais bien plus encore par le manque d’autonomie devant les tâches, l’absence de reconnaissance, les relations interprofessionnelles, le manque de sens, les conditions de travail, le management toxique, ou encore l’absence de cadre (professions libérales). Les critères de rupture sont plus souvent qualitatifs que quantitatifs» ajoute le spécialiste du burn-out.
… que l’entourage peut aider à déceler
De façon générale, les personnes se rendent rapidement compte que quelque chose n’est pas normal. L’entourage peut également repérer des signes dans le comportement ou l’attitude générale qui ne sont pas normaux. «Si vous présentez des signes comme des troubles de l’attention ou de la mémoire, l’entourage le repère assez facilement» indique le spécialiste du burn-out. C’est alors qu’il faut consulter un médecin généraliste en première intention, qui peut ensuite rediriger le patient vers un psychiatre ou un psychologue.
Quelle est la différence entre une fatigue extrême et un burn-out ?La fatigue est une demande naturelle du corps qui se résoudra avec le sommeil, du repos et des vacances. Un burn-out se signale par des troubles de la plasticité cérébral, et des conséquences fâcheuses sur l’activité professionnelle, une souffrance importante car c’est l’intégrité même qui est en cause. Le repos ne suffit pas. La trajectoire de soin décrite doit répondre à tous les niveaux du problème afin de recouvrer un état semblable à celui dans lequel on était avant le burn-out. |
Quelle est la réponse thérapeutique ?
Qu’il s’agisse d’un burn-out installé depuis longtemps ou récent, la prise en charge thérapeutique reste identique, comme le précise notre interlocuteur. «Tous les troubles cognitifs que l’on a cités, tels que la mémoire, le sommeil, peuvent être traités par de la RTMS (Stimulation Magnétique Transcrânienne Répétitive). Il s’agit de stimulation magnétique.» Attention, car les anti-dépresseurs ne sont pas la solution pour traiter le burn-out.
Les anti-dépresseurs ne sont pas la solution pour traiter le burn-out
L’origine du burn-out, à savoir le stress, doit également être prise en charge. «Cela passe par des arrêts de travail avec une coupure complète du milieu du travail. La méditation, le yoga et la pleine conscience peuvent aussi aider à réguler le mental» ajoute le spécialiste.
Apprendre ces méthodes dans ces moments-là représente souvent une difficulté. Le Dr Meunier conseille donc d’avoir dans ce cas recours à des séances de neurofeedback (thérapie qui a pour but de permettre au patient d’apprendre à auto-réguler son activité cérébrale) effectuées chez un psychologue.
Pourquoi les gérantes d’institut peuvent-elles être victimes de burn-out ?
Sandra Charpenat, diplômée en esthétique et commerce/marketing, a fondé Ambition Esthétique à Paris en 2020, dans le but d’accompagner les professionnelles de l’esthétique, de la beauté et du bien-être dans leur stratégie de réussite.
Selon elle, les gérantes d’instituts indépendants en burn-out sont des entrepreneures piegées par leur propre système et mode de fonctionnement. Ce qui au départ leur paraissait être la «norme» dans le développement d’un institut de beauté devient petit à petit leur plus grand fardeau. «Se sentir débordée par moment est plutôt normal dans l’entrepreneuriat. Cependant, lorsque l’on se sent dépassée, c’est que les curseurs ne sont plus au bon endroit» explique l’experte.
Trois facteurs principaux vont avoir une influence sur le risque de faire un burn-out d’après Sandra Charpenat :
- une mauvaise stratégie d’entreprise et de gestion,
- une organisation inadaptée,
- la posture même de la gérante dans son entreprise.
«Les gérantes vont souvent mobiliser beaucoup d’énergie là où ce n’est pas le plus profitable pour elles. Et à l’inverse, elles vont négliger ce qui est essentiel. Ce qui impacte directement leur ratio énergie/temps VS résultat et elles se retrouvent prises au piège au fur et à mesure sans marge de manœuvre (plus de temps pour prendre du recul, une trésorerie trop faible pour déléguer ou mieux se rémunérer, plus assez d’énergie pour y voir clair)» détaille notre interlocutrice.
L’experte se veut néanmoins optimiste car il est possible de travailler sur ces trois facteurs. «Quand les gérantes en arrivent au burn-out, mon conseil ultime est de repartir sur des bases plus saines. Alors, oui, on entend beaucoup parler du principe de déléguer pour s’alléger. Mais, de mon point de vue, avant de déléguer, il faut déjà avoir remis de l’ordre là où cela est nécessaire. Concrètement, pour construire du neuf sur des ruines, on fait d’abord table rase» préconise la spécialiste.
1ère étape : faire un bilan objectif de la situation et se projeter
Pour éviter le burn-out ou s’en remettre, il est important de comprendre ce qui a conduit la gérante à cette situation. Faire un état des lieux global à travers notamment :
- les chiffres (stratégie tarifaire, rentabilité, gestion),
- la clientèle (type et densité de clientèle),
- le planning (organisation et qualité du planning),
- la concurrence (type d’institut, approche, positionnement),
- ce qui a été mis en place (marketing, communication).
Le bilan permet de souligner les incohérences dans la stratégie globale et de décider de ce qui doit être corrigé. Cependant, pour réaliser des ajustements, il est essentiel que la gérante ait défini ce vers quoi elle désire s’orienter afin d’éviter le burn-out. «Je travaille donc avec mes clientes à ce qu’elles aient des objectifs concrets et spécifiques pour leur permettre de placer leur attention sur ce qui compte vraiment» ajoute Sandra Charpenat.
2ème étape : déconstruire l’existant pour reconstruire sainement
Comme nous l’explique la coach, il est aussi important d’accompagner cette phase de bilan et de projection d’une vraie introspection afin de faire ressortir ce que la gérante souhaite réellement et non pas ce que l’on attend d’elle. «Il s’agit d’une étape prépondérante de mon accompagnement avec mes clientes : travailler sur la croissance personnelle des gérantes avant même de parler de stratégie. Je leur recommande donc de se recentrer sur elles, de lâcher une identité qui ne les sert plus et de s’autoriser à créer quelque chose qui leur ressemble vraiment, explique-t-elle. C’est ce qui donne le plus gros des résultats à mes clientes parce que cette partie-ci leur permet d’enclencher les bonnes réflexions, les bons leviers et les bonnes actions.» Cela implique donc de s’ouvrir à une autre manière de faire et revoir ses propres croyances sur son métier, sur le marché et sur soi-même.
L’importance de concilier le métier d’esthéticienne et de gérante
Les métiers d’esthéticienne et praticienne ont beaucoup évolué ces dernières années et prennent une place de plus en plus importante dans la société. Mais l’entrepreneuriat a aussi pris une autre dimension, notamment dans l’esthétique, comme nous l’explique Sandra Charpenant. «Trouver le bon équilibre entre la caquette métier (nourrie par la passion des professionnelles du secteur) et la casquette entrepreneuriale (trop négligée mais pourtant indispensable à la pérennité de leur activité) est aujourd’hui indispensable» déclare l’experte.
Réviser ses croyances sur l’institut de beauté
Souhaiter avoir un institut traditionnel, trop généraliste, et calqué sur un modèle un peu à l’ancienne, ne fonctionne plus en 2025. «Il faut par exemple lâcher l’idée selon laquelle tout faire permet d’avoir un institut prospère. Cela était vrai en 2010 mais ne l’est plus aujourd’hui, ou du moins, pas pour un institut indépendant, explique notre interlocutrice. Et je sais que cela vient toucher à beaucoup de croyances “Un institut doit être ouvert sur de grandes plages horaires”, “Pour toucher plus de monde, il faut faire beaucoup de choses”, “Si j’augmente mes tarifs, je vais perdre ma clientèle”, et de peurs (peur de manquer, peur de mal faire, peur de la nouveauté…). Seulement, c’est la voie vers leur sérénité !»
Par expérience, Sandra Charpenat déclare qu’un institut qui cartonne en 2025, tout en respectant le bien-être de sa gérante, c’est d’abord un institut qui porte des valeurs fortes, qui a une approche authentique et dont la gérante s’affirme pleinement.
Un institut prospère n'est pas un institut qui propose de tout !
3ème étape : améliorer et optimiser le ratio temps/argent
Bien entendu, au-delà de la croissance personnelle de la gérante, la stratégie doit être au cœur de chacune de ses décisions et actions. «Éviter le burn-out, c’est avant tout optimiser son ratio temps/argent en jouant sur différents paramètres» précise Sandra Charpenat.
L’experte exprime une opinion tranchée à propos de la notion de temps et d’argent dans le secteur de l’esthétique : «Il est inconcevable qu’en 2025, une entrepreneure de ce secteur ne puisse pas se rémunérer dignement ou se limite à une rémunération équivalente à celle d’une salariée. Pourtant, cette situation demeure une réalité pour de nombreuses professionnelles, bien que des solutions existent. Il en est de même en termes de temps. Une gérante n’est nullement contrainte, si elle ne le souhaite pas, de travailler 50 heures par semaine en cabine pour générer un C.A. confortable».
Une stratégie d’institut à revoir
L’experte analyse par ailleurs la stratégie qu’ont de nombreux instituts de beauté, et qui n’est pas adaptée. Beaucoup de gérantes d’institut indépendants (sans salariées notamment) ont, sans vraiment s’en rendre compte, une stratégie de clientèle de masse. C’est-à-dire, une stratégie vouée à attirer beaucoup de clientes à des prix compétitifs.
Ce qui les amène inévitablement, soit au burn-out, car pour faire plus de chiffre, il faut plus de clientes et cela demande plus de temps, soit à une activité qui peine à se développer car la concurrence locale applique la même stratégie, ou bien les clientes préfèrent une spécialiste/experte. «Or, cette stratégie fonctionne pour des franchises ou de très grandes enseignes pour une raison simple : les économies d’échelle et les moyens déployés sont plus importants, donc elles peuvent se le permettre, souligne notre experte. Mes clientes sortent justement de ce modèle-ci pour évoluer vers une stratégie de clientèle de qualité qui leur permet de générer plus de C.A. et d’être plus rentables tout en travaillant soit moins, dans certains cas, soit autant qu’avant mais jamais plus que ce qu’elles ne souhaitent.»
À retenir
Pour avoir une activité pérenne, en tant que gérante d’institut et éviter le burn-out, il convient donc :
- de revaloriser son institut en évoluant vers un concept plus singulier et différenciant en termes de positionnement, de spécialisation et d’expertise,
- d’améliorer la qualité de son planning, notamment en retravaillant son panel de prestations, ses protocoles et son expérience client,
- d’ajuster sa stratégie tarifaire en totale cohérence avec le reste de sa stratégie.
Ces ajustements suggérés par Sandra Charpenat permettent naturellement d’alléger le quotidien des gérantes et d’y ramener plus de sérénité. «En conclusion, le burn-out peut trouver ses sources dans une multitude de facteurs personnels ou professionnels. Le tout est d’être capable de s’arrêter, d’accepter et de s’ouvrir à autre chose pour ne pas reproduire le même schéma. L’idéal étant de se faire accompagner dans cette démarche pour gagner en clarté, en efficacité et en temps.»
Message aux esthéticiennes qui travaillent seules
Sandra Charpenat tient à rappeler la valeur des esthéticiennes. «Pour beaucoup, elles n’en ont pas suffisamment conscience. Elles ont un rôle essentiel dans la société et auprès des femmes. Il est donc temps qu’elles prennent elles-mêmes leur place afin d’aider les autres femmes à prendre confiance en elles et à s’élever. L’esthétique, la beauté et le bien-être ne sont pas des «hobbies», ce sont de puissants outils d’empowerment. Vos métiers peuvent même être considérés d’utilité publique, j’en suis convaincue.»
Dr Alain Meunier, psychiatre, responsable du Centre du Burn-Out à Paris.
Sandra Charpenat, formatrice coach et consultante en stratégie business en esthétique, fondatrice d’Ambition Esthétique.