Socio-esthéticienne dans un service oncologique, un vrai choix de vie

Comment devient-on socio-esthéticienne ?

Personnellement, il s’agit d’une reconversion professionnelle. Après 20 ans dans l’enseignement, j’ai eu un véritable déclic en regardant un reportage sur la socio-esthétique. Dès ce moment, je me suis dit : «Ce métier est fait pour moi» et j’ai décidé de suivre la formation en esthétique et en psycho-socio-esthétique proposée par PBA (Paris Beauty Academy), un cursus intensif de quinze mois.

Socio-esthéticienne : faut-il avoir la vocation ?

Comme pour tous les métiers qui sont en relation avec l’Être Humain, il est bien sûr nécessaire d’avoir des qualités d’empathie et de se sentir à sa place et à l’aise dans cette activité, comme peuvent l’être un médecin ou une infirmière. 

Je crois que l’on ne choisit pas par hasard d’être socio-esthéticienne car même si le public retient surtout le mot esthéticienne, on est bien plus proche d’un travail social que de l’esthétique pure. Bien souvent, les personnes qui font ce choix ont déjà un chemin de vie qui les porte naturellement vers ce métier. Pour ma part, c’est d’être née dans une famille avec des parents souffrant de handicap qui m’a permis de porter très tôt un regard sur la différence. Quand j’étais jeune, je voulais devenir ergothérapeute ou enseigner à des enfants handicapés. Les hasards de la vie m’ont écartée ensuite de ces voies, mais j’y suis finalement revenue par le biais de la socio-esthétique.

Quelles sont les qualités indispensables pour exercer le métier de socio-esthéticienne ?

L’écoute et un bon relationnel sont évidemment nécessaires. Mais cela ne suffit pas. Il faut un bon équilibre personnel et avoir une vie suffisamment riche en dehors de son travail pour avoir la possibilité d’aider les patients sans se laisser affecter par les situations. Il s’agit d’un travail compliqué car on est en permanence face à des personnes «hors normes», que ce soit en milieu social, carcéral ou hospitalier. C’est la raison pour laquelle une personne très jeune, même pleine de bonne volonté, aura beaucoup de mal à tenir le coup car elle n’aura pas la maturité suffisante.

De même, on peut être une excellente technicienne sans pour autant être une bonne socio-esthéticienne si on n’arrive pas à s’adapter aux situations psychologiques auxquelles on se trouve confrontée au quotidien. La formation de socio-esthéticienne propose d’ailleurs des cours de psychologie appliquée qui sont très utiles. Ensuite, ce métier comme beaucoup d’autres, exige que l’on se remette en question en permanence et que l’on continue à se former. Les patients que l’on est amenée à soigner participent également à enrichir notre expérience.

En quoi travailler dans un service oncologique est particulier pour une socio-esthéticienne ?

C’est particulier dans la mesure où l’on travaille dans un milieu où l’idée de la mort est omniprésente et où l’on est en contact avec des personnes dont l’image de soi est profondément altérée. Quand on est atteint d’un cancer, c’est l’ensemble de sa vie qui s’écroule : sa vie familiale, son travail, son autonomie, on se sent trahi par son corps... Plus encore que dans les autres secteurs dans lesquels évolue une socio-esthéticienne. Il faut donc apprendre à prendre du recul, ne pas tomber dans l’affect mais sans essayer de se surprotéger ! Car, pour toucher une personne, il faut être touchée par elle !

Je me considère en quelque sorte comme un «réservoir émotionnel» pour les personnes que je soigne.

Les patients éprouvent le besoin de se décharger de leurs émotions et, de mon côté, je dois gérer ces situations avec empathie mais sans me laisser submerger. D’où l’importance d’avoir une vie en dehors et de trouver des exutoires: danse, chant, sport...Tout ce qui peut alléger cette charge émotionnelle !

Comment réussit-on à travailler à l'hôpital, à temps plein, dans un service oncologique, en tant que socio-esthéticienne ?

Personnellement, j’ai eu la chance de travailler très rapidement à temps plein après ma formation. Mais j’ai aussi un peu forcé la chance ! je me suis accrochée avec ténacité et, au début, même si mon choix était de travailler en milieu hospitalier et spécifiquement dans un service dédié au cancer, j’ai dit oui à toutes les propositions ! Si j’ai un conseil à donner aux futures socio-esthéticiennes, c’est d’accepter les différentes opportunités qui leur sont offertes et de ne pas hésiter à faire des démarches volontaires auprès des services hospitaliers mais aussi des associations. C’est la meilleure manière d’entrer dans le circuit et de faire connaître son savoir-faire. Ensuite, les choses se mettent en place et les demandes arrivent presque naturellement.

Quelle relation existe-t-il avec l’équipe soignante et comment fonctionne-t-elle ?

Mettre en place des soins esthétiques en milieu médical est compliqué, surtout pour une question de budget. C’est le nerf de la guerre ! Et puis, le résultat obtenu, même s’il est indéniable, est difficilement quantifiable. Mais aujourd’hui, il faut reconnaître que les médecins et les équipes médicales en général, ont une vraie réflexion sur les techniques «non médicales». Il est désormais reconnu qu’un patient qui a un bon moral, qui prend soin de lui, supporte mieux ses traitements et augmente ses capacités de guérison. C’est la raison pour laquelle la présence d’une esthéticienne est perçue comme une chose positive. Ensuite, il faut bien sûr construire une relation et la socio-esthéticienne doit toujours tenir compte du fait que les soignants sont toujours débordés et ont rarement du temps à lui consacrer.

C’est donc à elle de faire la démarche pour donner une lisibilité de son action. Actuellement, j’interviens dans quatre services différents et, systématiquement, je fais un retour oral ou écrit auprès des médecins et du personnel soignant pour qu’ils soient bien au courant de la teneur de mon intervention ou de ce que j’ai pu remarquer lors de ma séance avec un patient, par exemple. De même, il ne faut jamais hésiter à discuter avec les médecins pour leur demander quels sont leurs objectifs de soin pour leurs patients.

En revanche, il est essentiel de ne jamais sortir de son cadre professionnel. Je ne prends jamais d’initiatives de soin et je vérifie toujours que c’est bien validé. Par exemple, si l’équipe soignante me demande de réaliser un modelage drainage sur les jambes d’une patiente et que je m’aperçois qu’elle porte des bas de contention, j’irai demander si je peux les enlever ou pas ! C’est de cette façon que l’on arrive à créer une relation de confiance avec l’équipe médicale et que l’on valorise son action.

Quels sont les soins les plus demandés en socio-esthétique ?

Contrairement à ce que l’on pense, sur la totalité des soins que je dispense, le maquillage représente seulement 3 % des prestations. Les plus grosses demandes sont pour les modelages esthétiques. C’est un vrai paradoxe car on imagine qu’une personne malade, atteinte dans son intégrité corporelle plus ou moins durement, n’a aucune envie de se montrer, d’être touchée par une autre personne. C’est tout le contraire qui arrive ! Les patients ont besoin de ce contact «peau à peau» pour se réapproprier leur corps et ne plus se sentir seulement malades. Lorsqu’ils sont touchés par le personnel soignant, c’est toujours avec des gants de protection.

En cabine esthétique, sauf dans des cas particuliers, le contact est direct et c’est notre force en tant que socio-esthéticienne.

La personne touchée peut alors pleinement ressentir la bienveillance, le modelage permet de se réconcilier avec son schéma corporel et de se recentrer sur soi pour mieux se reconstruire. Mais quels que soient les soins prodigués, il faut s’adapter tout le temps en fonction de la personne que l’on a en face de soi. Par exemple, en cas de cicatrices du cancer du sein, il faut sentir lorsque la personne n’est pas encore prête à la montrer et dans ce cas, on fait en sorte de la couvrir le temps du soin. Si, au contraire, elle est en demande de conseils pour en améliorer l’aspect, on peut alors lui proposer un modelage, lui montrer comment travailler les tissus pour la rendre plus souple et esthétique... L’aspect psychologique prend là toute son importance.

À quel moment intervient une socio-esthéticienne ?

Elle peut être présente à toutes les étapes de la maladie. Souvent, les patients prennent rendez-vous au début des traitements pour avoir des conseils et savoir réagir face aux effets secondaires de ces traitements : perte de cheveux et de pilosité, problèmes de peau, perte de poids ou prise de poids... Dans ce cas, les femmes mais aussi les hommes posent des questions qu’ils n’ont pas toujours osé poser au médecin ou à l’équipe soignante. En cours de traitement, les patients reviennent chercher du réconfort, une écoute et tenter de se sentir mieux dans un corps qui est malmené par la maladie et par les traitements. Les soins, pendant cette période, sont aussi importants pour la peau que pour l’esprit.

Lorsqu’ils ont terminé leur cycle de traitements et qu’arrive le temps du retour à la vie sociale et professionnelle, les patients ont un besoin urgent de réunifier leur image avec ce qu’ils sont désormais à l’intérieur. Avoir un cancer provoque de profonds changements à tous les niveaux et la socio-esthétique, entre autre, peut accompagner chaque personne de cette évolution.

Comment les patients voient-ils la socio-esthéticienne par rapport à l’équipe soignante ?

Cette relation qui s’instaure grâce notamment au toucher, les aide à lâcher prise dans un univers médicalisé qui, pour eux, est source de stress. Et le fait de se mettre à nu, au sens propre du terme, devant la socio-esthéticienne, le fait aussi d’avoir un espace où ils peuvent poser des questions, créent rapidement une relation de confiance. Ils ont donc tendance à se décharger de leurs émotions plus facilement qu’avec leur médecin ou le reste de l’équipe soignante.

En tant que socio-esthéticienne, ne se sent-on pas parfois un peu seule dans l’exercice de son métier ?

L’isolement n’est pas une fatalité ! Une socio-esthéticienne ne doit pas rester dans son coin, c’est à elle de faire tomber les barrières et de faire les démarches auprès de l’équipe soignante. Médecins, infirmiers, kinés, aide soignants... n’ont pas le temps d’aller vers nous, ils sont débordés. Mais le fait d’aller vers eux est toujours bien perçu. L’intégration dans l’équipe médicale dépend aussi du lieu et du mode de fonctionnement du service. Dans un premier temps, il faut observer, sentir les choses et identifier les bons interlocuteurs. Par exemple, à la clinique Bizet où j’interviens, ce sont les médecins qui donnent les informations sur les patients alors qu’ailleurs, ce sont plutôt les infirmières.

Dans tous les cas, mon conseil est de pas aller trop vite ni d’essayer de sortir de son cadre. Pour ma part, même si le patient est demandeur, je demande toujours l’autorisation au préalable et, parfois, il est nécessaire de refuser certaines choses. Je suis également très attentive à ne pas gêner l’équipe dans son travail et à lui faire un retour sur les patients que j’ai en soin. Certaines choses peuvent échapper à sa vigilance, une chute de moral, un traitement moins bien supporté que d’habitude, et ces échanges permettent de travailler en bonne intelligence. Enfin, comme pour tous les milieux professionnels, participer à la vie de l’équipe est encore la meilleure façon de s’intégrer. C’est sans doute moins facile quand on vient dans un service une ou deux fois par semaine mais quelques petites attentions, demander des nouvelles des uns et des autres, prendre un café ensemble... créent indiscutablement des liens.