Esthéticienne et injections : à quels risques vous exposez-vous ?

A la recherche perpétuelle du physique parfait, les Françaises n’hésitent plus à sauter le pas de la médecine et/ou de la chirurgie esthétiques. En effet, selon le rapport annuel de l’ISAPS (Société Internationale de Chirurgie Plastique Esthétique), publié en janvier dernier, les procédures effectuées par les chirurgiens esthétiques ont augmenté de 19,3 % en 2021. Cela représente 12,8 millions d’interventions chirurgicales et 17,5 millions d’interventions non chirurgicales effectuées dans le monde !

Une clientèle jeune

Les jeunes sont de plus en plus demandeurs de médecine et de chirurgie esthétiques d’après le Dr Adel Louafi, chirurgien esthétique, Président du SNCPRE (Syndicat National de Chirurgie Plastique, Reconstructrice et Esthétique) : «Les jeunes femmes sont de plus en plus attirées par la médecine et la chirurgie esthétiques. L’influence des réseaux sociaux et des influenceurs en sont les principaux instigateurs».

Un marché lucratif qui attire

Il s’agit d’un marché lucratif puisqu’une injection d’acide hyaluronique est facturée entre 200 et 400 euros, en moyenne, chez un médecin. Un budget conséquent pour les petites bourses qui de ce fait se tournent de plus en plus vers des injectrices non-médecins bien souvent au péril de leur santé… Cela est d’autant plus inquiétant car certaines esthéticiennes s’adonnent à cette pratique.

De fausses formations

Les comptes d’injectrices non-médecins pullulent sur les réseaux sociaux. Et en plus de ne pas être formées à la médecine, certaines proposent même des formations pouvant aller jusqu’à 1 800 euros la journée ! 

«La plupart des personnes qui se font former aux injections se tournent vers des formations bidon, à payer en espèces ou via Paypal, avec de faux certificats. C’est une façon de tromper la cliente. Il ne faut pas que les esthéticiennes tombent dans le piège de quelqu’un qui leur vendrait des pseudo formations, qui les autoriseraient à faire des injections» alerte le Dr Louafi.

Une offre trompeuse et illégale

Il suffit de taper «Injection» dans la barre de recherche d’Instagram pour trouver des dizaines de comptes d’injectrices. Et lorsque l’on clique sur ces comptes, différents arguments censés rassurer sont mis en avant : «Formée en cosmétologie, Diplômée, Méthode Russian Lips, Formée en UK, ou encore Esthéticienne diplômée». Cela est trompeur pour les futures «patientes» comme l’explique le Dr Adel Louafi : «Les femmes qui se rendent chez des injectrices sont motivées par le prix qui est plus bas que chez un médecin. Mais elles sont également induites en erreur par des personnes qui leur font croire que c’est tout à fait légal, qu’elles sont «certifiées et formées» aux injections.

Or il n’existe aucune formation ou certificat qui permette d’injecter. Tout cela est faux». Par ailleurs, au-delà de l’acte en lui-même qui est illégal, des injectrices se fournissent en produits injectables sur Internet, difficile alors d’en connaître l’origine et la composition. D’autres se fournissent en pharmacie et «Le problème est que la vente d’acide hyaluronique n’est pas encadrée, tout le monde a le droit d’en acheter. Mais ce n’est pas parce qu’on a le droit d’acheter ce produit qu’on a le droit de l’utiliser. C’est la même chose lorsqu’on achète une voiture, on ne nous demande pas notre permis de conduire !» déplore le Dr Louafi.

Des conséquences dramatiques pour les clientes

Attirées par des tarifs moins élevés que ceux pratiqués en cabinet médical, certaines femmes sautent le pas et se rendent chez ces injectrices. Malheureusement, pour de nombreuses femmes, l’acte est mal réalisé, dans de mauvaises conditions et avec de mauvais produits. La simple injection se transforme alors en cauchemar. Nécroses ou encore infections, les conséquences sont de taille et font froid dans le dos : «Ces injections engendrent des hospitalisations allant même jusqu’à l’engagement du pronostic vital dans certains cas.

Des nécroses peuvent également survenir allant jusqu’à, dans certains cas, des nécroses extensives de la face. J’ai encore vu un cas récemment. Une patiente a dû subir une greffe de peau sur pratiquement toute la face, avec des séquelles semblables à ce que l’on peut voir chez les grands brûlés. Sur le corps, il y a des complications dramatiques au niveau des fesses, des cas de septicémie, de choc toxique, des gangrènes, des amputations de fesses…» regrette le Dr Louafi. Et les victimes sont souvent très jeunes, précise le docteur.

Un nombre de cas en partie connu

Le nombre de complications graves, suite à des injections effectuées par des non-médecins, était de 46, sur l’année 2022, d’après le Dr Louafi : «L’ANSM a repris, pour établir cette donnée, le nombre de déclaration de complications graves qu’elle a reçues. Il ne s’agit que d’une toute petite partie des injections graves liées à l’acide hyaluronique. Beaucoup ne sont pas déclarées car les médecins hospitaliers n’ont pas le temps. Dans mon cabinet, en 2022, j’ai vu six patientes pour des complications graves suite à des injections d’acide hyaluronique effectuées par un non-médecin. Un bon nombre d’affaires judiciaires sont en cours, et pour certaines, des dizaines de victimes ont été déclarées pour une seule injectrice…».

Les personnes qui pratiquent les injections sans être médecins ne sont pas assurées en cas de litige avec une cliente.

Les injections sont un acte médical

Le Dr Louafi explique pourquoi les injections sont un acte médical, et de ce fait, interdit aux non-médecins : «C’est un acte médical car il faut tout d’abord commencer par un interrogatoire médical. Ceci permet de rechercher un certain nombre de contre-indications comme des pathologies auto-immunes. Ce n’est pas le rôle de l’esthéticienne de rechercher des contre-indications médicales. Les esthéticiennes sont réglementées par la loi de 1996, elles n’ont pas le droit de réaliser des gestes invasifs. À partir du moment où l’on introduit une aiguille, on n’est pas dans un acte superficiel, autorisé aux esthéticiennes

Lorsque l’on injecte, il faut avoir des connaissances très précises sur l’anatomie du visage, qui vont même au-delà des connaissances d’un médecin généraliste. Pendant l’injection, il peut y avoir des malaises et, dans ce cas, il faut être en mesure de réagir. Cela passe par la prise de tension, l’injection de médicament pour faire remonter la tension, et on peut être amené à faire des anesthésies locales – ce qui se fait sur prescription médicale.

Ensuite, s’il y a une ischémie (vaisseau qui se bouche), ce qui est exceptionnel, un médecin sait comment réagir en injectant la hyaluronidase (antidote qui permet de dissoudre l’acide hyaluronique, réservé aux médecins). Cette même hyaluronidase peut entraîner des complications rares mais graves comme un choc anaphylactique/œdème de Quincke. Dans ce cas, le médecin n’a que quelques minutes pour réagir et injecter un antidote. Tout est médical de A à Z dans le cadre de cette prise en charge».

Qui peut pratiquer des injections ?

Le Dr Adel Louafi tient à rappeler quels sont les professionnels qui ont le droit d’injecter de l’acide hyaluronique. Et même au sein de la profession médicale, tout le monde ne peut pas pratiquer cet acte : «Les seuls professionnels autorisés à pratiquer des injections d’acide hyaluronique sont les chirurgiens esthétiques, les dermatologues ou des médecins qui ont été spécialement formés aux injections. Tous les professionnels de santé n’ont pas le droit de pratiquer des injections. Une aide-soignante n’a, par exemple, pas le droit. Une infirmière n’a pas le droit d’effectuer une injection de son propre chef. Elle doit faire une injection sous prescription médicale».

Des pratiques qui discréditent la profession de l'esthétique

Les esthéticiennes qui se lancent dans cette pratique d’injections discréditent toute la profession, selon Martine Berenguel, co-présidente de la CNAIB-Spa : «La problématique est que cela fait beaucoup de bruit étant donné l’impact qu’ont les injections effectuées par les non-médecins. À la CNAIB, nous ne défendrons jamais la pratique d’injections effectuées par des non-médecins ! C’est une pratique qui est contre-productive pour la profession d’esthéticienne. Les personnes qui pratiquent les injections sans être médecins ne sont pas assurées en cas de litige avec une cliente. Cela est alors d’autant plus risqué…».

Des condamnations strictes

Pour rappel, considérée comme un exercice illégal de la médecine, la pratique d’injections constitue un délit passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000euros d’amende. Les condamnations judiciaires ne font que commencer avec, en particulier, une affaire à Metz et une à Rennes. Dans ces seules affaires, des centaines de patients auraient été injectés d’après les enquêtes. «Le tribunal judiciaire de Rennes a condamné deux sœurs à douze et huit mois de prison avec sursis pour des injections de ce type et les a reconnues coupables de travail dissimulé et pratique illégale de la médecine. Elles ont aussi l’interdiction de travailler comme esthéticienne pendant trois ans. Aussi, une autre esthéticienne âgée de 29 ans, domiciliée à Cabrières dans l’Hérault, a été condamnée à neuf mois d’emprisonnement avec sursis par le tribunal correctionnel de Béziers… Des affaires qui nuisent à l’image de notre profession» détaille Martine Berenguel.

* Un décret relatif à la délivrance de l’acide hyaluronique injectable est en préparation ; il doit non seulement réglementer cette pratique mais également l’achat libre de ce produit encore vendu en libre service aujourd’hui.