Un vent de dumping semble souffler sur le secteur de la beauté. Une conséquence de la crise ou un manque de vigilance de la part des pouvoirs publics ?
DE QUOI ÊTRE SCANDALISÉE
Dans les boulangeries (et autres commerces), on trouve des petites annonces de soins du visage gratuits à domicile. Sur le site Le Bon Coin -qui a dernièrement défrayé la chronique avec la mise en vente d'un bébé de six mois !- des prestations de beauté à domicile sont proposées.
Ainsi, Johanne, maquilleuse professionnelle, prothésiste ongulaire et conseillère en image à Tours, propose une beauté des mains ou des pieds (20 euros), une épilation corps (voir les tarifs sur johanne.book.fr), un modelage bien-être (1 h 30 tout compris, 40 euros). Des prix cassés ! Et, elle ajoute «règlement par chèque ou espèces». D'autres n'hésitent pas à indiquer dans leur annonce : «Nous prenons les chèques emploi service universel». Un pas vite franchi, car le chèque emploi service universel (CESU) ne concerne que les soins de beauté à domicile des personnes dépendantes.
Sur le site «On va sortir», des conseillères en beauté recrutent des clientes. Dans un hôtel à Vannes, Sabrina, a priori esthéticienne, a organisé une réunion en juin dernier pour la marque Frédéric M. Une cliente y a assisté et... elle s'est bien gardée de révéler qu'elle était elle-même esthéticienne. Elle raconte : «Il y avait cinq conseillères en beauté pour quatre clientes. Deux d'entre-elles étaient esthéticiennes, l'autre était coiffeuse. Sabrina, l'esthéticienne en chef, qui sentait la cigarette et n'avait pas une tenue très nette, a dit : «Nadine est coiffeuse et l'on sait que la peau et les cheveux, c'est la même chose. C'est la beauté et c'est pourquoi elle fait ses premiers pas aujourd'hui avec nous».
L'une des conseillères faisait les soins en alternance d'une cliente à l'autre. Elle utilisait la même éponge trempée dans une unique bassine. J'ai été étonnée qu'elle ne se lave pas les mains et fasse des soins du visage alors qu'elle avait du vernis à ongles. Bien entendu, les soins étaient gratuits. Ensuite, les conseillères ont pris le temps de déballer la panoplie des produits à acheter.
Un discours bien rodé pendant un gros quart d'heure. Toutes les clientes, sans exception, ont acheté des produits. Et certaines d'entre-elles ont déboursé jusqu'à 190 euros. Une belle prouesse, car ces produits ont un coût supérieur à ceux que l'on peut trouver en parapharmacie. Et le packaging est plutôt vieillot.
Pour clore la réunion, Sabrina a suggéré aux clientes de devenir conseillères de beauté afin d'arrondir leurs fins de mois». Ainsi d'une pierre deux coups. Vente de produits et parrainage dans le réseau Frédéric M. Et pourquoi cela ne marcherait pas quand on sait que des «Pôle Emploi» recrutent des conseillères de beauté en faisant miroiter des gains de 500 euros nets et plus par mois ? Pas de doute, c'est vraiment la crise !
Mais cette activité n'intéresse pas uniquement les femmes au chômage ou celles recherchant un temps partiel. La vente à domicile est aussi prisée par les seniors qui sont à la retraite. Et les annonces dans les magazines Pleine Vie et Notre Temps captent facilement leur attention. Bref, le recrutement s'effectue tous azimuts. Les marques sont en concurrence. Aussi sont-elles à la recherche du plus grand nombre d'ambassadrices. Aucune porte n'est fermée. Tous les appels téléphoniques sont retournés. Aucun bagage intellectuel initial n'est requis.
Au départ, toutes les candidates sont les bienvenues, sans distinction de diplôme, de compétences ou de présentation. Les représentantes des marques les plus sérieuses font ensuite une sélection. Mais celle-ci n'est pas draconienne ! Il est vrai que le turn-over est important.
Isabelle Cavil, esthéticienne à domicile à temps partiel, basée à Lorient, s'est renseignée auprès de plusieurs marques avec lesquelles elle envisageait de travailler. «Chez LR, on m'a conseillé d'appâter les clientes avec une accroche du genre : «Je viens chez vous et je vous fais un soin à domicile». En revanche, la responsable d'Auriège a été très claire : «Si vous êtes esthéticienne, vous pouvez faire des soins. Sinon, vous ne pouvez pas toucher la peau des clientes».
Même son de cloche chez Natura Brasil. En l'occurrence, c'est la marque qui a été piégée. Des conseillères de beauté ont bénéficié de la gratuité du kit de démarrage d'une valeur de 200 euros. Mais leur activité était fictive. Elles ont inscrit uniquement des membres de leur famille aux réunions. Et elles n'ont jamais vendu de produits».
LA LOI EST CLAIRE
Bref, des pratiques pas très honnêtes, de nombreuses dérives. De quoi émouvoir la profession ! Michèle Lamoureux, Co-Présidente de la CNAIB est formelle : «Nul n'est censé ignoré la loi ! L'article 1 de la loi du 5 juillet 1996 et son décret d'application du 2 avril 1998 exigent au minimum le CAP d'Esthétique Cosmétique pour effectuer des soins. Toute situation de non-respect de la loi peut être déclarée à la CNAIB. Une personne est en charge des aspects juridiques de la profession et des plaintes relatives à son exercice illégal». Voilà, les choses sont dites.
AUTANT DE MARQUES, AUTANT DE PRATIQUES DISTINCTES
Frédéric M
«Une conseillère à domicile qui n'a pas de diplôme d'esthéticienne ne peut effectuer des soins, mais elle peut faire un essai de produit sur la cliente. Celui-ci est gratuit et dure environ 45 minutes. Puis 1/4 d'heure est consacré à la vente», explique Patrick Steyve, qui représente la marque Frédéric M et dirige une très grosse équipe de conseillères en France.
Astucieux : la terminologie employée diffère, mais le résultat est le même. Patrick Steyve poursuit : «La conseillère procède au démaquillage, au gommage, à l'application d'un masque. Puis, elle applique une crème. Cet essai de produit est un très bon argument pour conclure une vente».
Frédéric M, société créée en 1983, est présente dans 60 pays et emploie 100 000 conseillères de beauté. Cette maison fabrique «made in France» puisque les produits viennent de Grasse et d'une usine basée au Canet. Patrick Steyve ajoute : «Il ne faut pas être mécanicien pour vendre une voiture, mais le vendeur doit avoir un minimum de connaissances. C'est la même chose pour une conseillère de beauté. En deux heures de formation, celle-ci doit savoir faire un soin du visage.
Nous préférons recruter des conseillères plutôt que des esthéticiennes. Une esthéticienne a tendance à se focaliser sur le soin. Elle n'est pas assez motivée pour vendre des produits. Elle ne va pas oser dire à la cliente : «Le pack de produits vaut 200 euros». C'est surtout le cas lorsqu'il s'agit d'une esthéticienne qui a pris contact avec nous, car elle avait besoin d'un fournisseur».
Herbalife
Chez Herbalife, spécialisée dans la vente de produits à base de plantes naturelles, il semblerait qu'il y ait aussi quelques dérapages. Il suffit de lire les nombreux commentaires qui alimentent les forums. Mais c'est surtout le système de marketing multi-niveau (recrutement de filleuls et commissions sur le chiffre d'affaires) qui est critiqué.
Avon
Présent dans 100 pays avec 6,5 millions d'Ambassadrices, Avon, le leader mondial, doit faire face à une rude concurrence en France. Ces ventes sont plus timides qu'outre-Atlantique, car d'autres marques comme Auriège ou Nutrimetics ont su s'imposer. L'une des représentantes, Catherine de Sainte Marseville, présente sur Facebook et Linkedln, annonce la couleur : «Il n'est pas nécessaire d'être esthéticienne pour rejoindre notre réseau. Il y a chez Avon des outils en ligne qui permettent de travailler comme une esthéticienne. Si vous êtes conseillère de beauté et que vous vous en sentez capable, vous pouvez faire un soin. La cliente ignore si vous êtes esthéticienne. C'est comme vous le sentez ! Mais il vaut mieux toutefois éviter les soins du corps».
Auriège
De son côté, Auriège, leader de la vente à domicile, ne s'amuse pas à contourner la réglementation. Pas question de toucher la peau de la cliente si l'on n'est pas esthéticienne. Laure Rustichelli, Responsable régionale d'une équipe de 16 personnes à Bordeaux, témoigne : «La conseillère mime le soin. La cliente reproduit les mêmes gestes sur son visage. Tous les deux mois, elle revient vers la cliente et lui apprend de nouveaux gestes. Dans mon équipe, j'ai une majorité de conseillères de beauté, car celles-ci sont de meilleures vendeuses que les esthéticiennes».
Nutrimetics
Chez Nutrimetics, numéro 2 derrière Auriège, la pratique diffère sensiblement. Linda Henriques, qui dirige une équipe de 43 personnes en Île-de-France, précise : «Si vous n'êtes pas esthéticienne, vous ne pouvez toucher la peau de la cliente. Lors du premier rendez-vous avec une cliente, vous allez annoncer un soin du visage gratuit.
En fait, vous ne lui faites pas le soin, mais vous la guidez pendant une heure. Du démaquillage à la pose de la crème en passant par le gommage. Vous pouvez également faire un coaching en maquillage. Vous la maquillez d'un côté. Elle s'exerce pour faire l'autre côté. C'est pédagogique et c'est gratuit !».
Natura Brasil
Natura Brasil, numéro 1 des cosmétiques au Brésil, joue dans la cour des grands. Et respecte la réglementation. Emmanuelle Foltete,
conseillère pour Paris Nord Sud, est formelle : «Vous n'avez pas besoin du CAP d'Esthétique-Cosmétique pour vendre les produits. Mais, vous ne pouvez faire des soins. Le soin est un plus et il est payant. Mais nous visons avant tout les ventes».
Dermance
Isabelle Rabier, fondatrice de la jeune et dynamique société Dermance spécialisée dans la vente à domicile de produits pour les peaux matures (femmes à partir de 45 ans), tient des propos carrés qui ne laissent pas place au doute : «Il n'est pas nécessaire d'être esthéticienne pour rejoindre Dermance. C'est un plus, mais ce n'est pas un pré-requis. Seules les esthéticiennes (environ 10 % de nos collaboratrices) peuvent faire des soins. Toute nouvelle arrivante bénéficie d'une formation gratuite de deux journées : une journée est consacrée à la connaissance des produits et à la gestuelle qui correspond aux soins ; une journée concerne la partie commerciale. Puis, elles ont des réunions hebdomadaires et mensuelles avec la responsable régionale. Chez la cliente, la conseillère montre sur son propre visage un soin, elle explique la gestuelle précise. Par exemple, lors de l'application d'une crème ou d'un contour de l'oeil. La cliente peut, à son tour, reproduire les mêmes gestes. Il y a un aspect éducatif que la cliente apprécie».
Alors le respect de la réglementation serait-il du côté des petites marques qui arrivent sur le marché plutôt que du côté des mastodontes qui ont pris de l'assurance et franchissent parfois la ligne jaune ?
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