Peau et émotions : le vrai du faux
Nous avons fait le point avec Laurent Misery, Professeur de dermatologie, Chef du service de dermatologie du CHU de Brest, Président des groupes français et européen de Psychodermatologie, membre de la SFD et auteur de «Votre peau a des choses à vous dire».
Au stade embryonnaire, la peau et le tissu nerveux se forment à partir d’un même tissu, l’ectoderme. Est-ce pour cette raison que certaines de nos émotions se répercutent directement sur notre peau ?
«Non, les émotions peuvent avoir des répercussions sur tous les organes, avec des symptômes respiratoires, digestifs ou cardio-vasculaires, par exemple, ou même des douleurs. Lorsque nous avons des émotions, des neuromédiateurs sont libérés par le système nerveux dans le sang et dans différents organes, dont la peau. Habituellement, cela n’a aucune conséquence. Parfois, particulièrement si les émotions sont fortes ou si certaines personnes sont plus sensibles de ce point de vue-là, ou si elles sont plus fragiles à un moment donné, il peut y avoir des réactions cutanées perceptibles.»
Existe-t-il des pathologies cutanées dues à des causes émotionnelles ?
«Aucune pathologie n’a de cause émotionnelle. En revanche, le stress peut aggraver n’importe quelle pathologie préexistante ou sous-jacente, spécialement s’il y a une part inflammatoire (eczéma, psoriasis, acné, herpès, pelade, vitiligo, dermatite séborrhéique, peau sensible, etc.).»
Certaines personnes, à la suite d’un choc émotionnel, développent une pathologie cutanée qui perdure pendant de nombreuses années, pourquoi cela ne passe pas avec le temps ?
«Cela montre bien que le stress est un facteur déclenchant ou révélateur mais n’est pas la cause.»
Avez-vous des patients qui viennent vous consulter pour une affection cutanée et dont la cause est émotionnelle ?
«Oui, mais ils se trompent puisque la cause n’est jamais émotionnelle. En revanche, le stress peut révéler une maladie sous-jacente.»
Mais alors pourquoi pensent-ils que la cause est émotionnelle ?
«Tout le monde n’est pas censé avoir des connaissances médicales. On ne peut pas dire que des émotions négatives vont déclencher une maladie comme un coronavirus va déclencher la Covid. Ces émotions ne sont pas un facteur causal mais un facteur révélateur ou déclenchant ou aggravant, mais la cause est ailleurs, par des mécanismes propres à chaque maladie.»
Comment les aidez-vous dans le traitement ?
«Il faut d’abord traiter la maladie elle-même, avec une thérapeutique adaptée et efficace. S’il s’avère que le stress peut déclencher ou aggraver cette maladie, une psychothérapie (il en existe de différents types) peut alors effectivement être très utile.»
Existe-t-il des traitements pour soigner le vitiligo ?
«Oui, bien sûr. Il existe des traitements. Actuellement, ils sont un peu décevants mais la recherche avance.»
On entend de plus en plus parler de prise en charge globale, de la méditation, en plus d’un traitement dermatologique par exemple, qu’en pensez-vous ?
«Une prise en charge globale est effectivement intéressante pour certains patients. Elle peut permettre d’éviter des poussées liées au stress mais surtout d’atténuer les conséquences psychologiques des maladies cutanées, qui sont souvent très importantes. La méditation fait partie des modes de psychothérapie, mais il y en a d’autres, comme les thérapies d’inspiration psychanalytique, les thérapies cognitives et comportementales, l’hypnose ou la relaxation par exemple.»
Les neuro-cosmétiques peuvent-ils être efficaces ?
«Cela pourrait être une belle idée d’agir sur le système nerveux cutané pour l’apaiser, en particulier dans le cadre des peaux sensibles. Ce serait la fonction des neurocosmétiques. Malheureusement, la plupart n’ont aucune efficacité. À l’inverse, il faut mettre en garde les consommateurs contre des cosmétiques qui seraient censés lutter contre le stress, voire la dépression : soit c’est vrai et il faut alors les retirer du marché et sanctionner durement les fabricants car un cosmétique ne doit avoir aucune efficacité en dehors de la peau et donc surtout pas dans le cerveau, soit c’est faux et il s’agit alors de publicité mensongère, ce qui doit aussi être sanctionné.»
Quel message aimeriez-vous faire passer par rapport à la peau ?
«Notre peau nous donne l’essentiel de notre apparence, elle est donc très importante pour nous. Avoir une maladie cutanée est grave car le retentissement psychique peut être majeur. Il faut donc prendre les problèmes cutanés au sérieux. Pour autant, il ne faut pas tomber dans les filets de certains qui en abusent et font des promesses qui ne pourront jamais être tenues.»