Marie-Antoinette, une reine parfumée

Tout avait commencé pour le mieux et dans le meilleur des mondes. À son arrivée à Paris, Marie-Antoinette, archiduchesse d’Autriche, est accueillie triomphalement par le peuple français. La dauphine, alors âgée de quinze ans, est éclatante de fraîcheur, paraissant alors mieux que belle à tous les yeux. Partout, on loue sa beauté, sa grâce naturelle et son envie de plaire.

Il apparaît aux yeux des marchands que son mariage avec le dauphin va encourager le commerce de luxe de la capitale.

Les débuts de Jean-Louis Fargeon

Jean-Louis Fargeon, héritier d’une longue dynastie de parfumeurs, se met à rêver lui aussi de servir la dauphine. 

Il est né à Montpellier en 1748 dans une famille ancestrale d’apothicaires et de parfumeurs mais le commerce étant moins florissant, il décide de partir vers Paris pour conquérir la capitale et devenir le parfumeur de la future reine. Grâce à un cousin parisien, il est engagé comme apprenti par la Veuve Vigier, dont le mari avait été parfumeur de Louis XV. À la mort de Louis XV en 1774, Marie-Antoinette devient une très jeune reine de France, aux côtés de son époux le roi Louis XVI, qui n’a que vingt ans. Cette même année, Jean-Louis Fargeon devient «Maître Gantier Parfumeur», le 1er mars. Il est présenté à la reine par la princesse de Guéménée, qui fait partie de la société intime de la reine. Le parfumeur se met alors à collaborer avec le coiffeur Léonard, à qui il fournit des pommades pour les cheveux parfumées au jasmin ou des huiles aux senteurs florales, simples ou composées. Quant à la modiste de la reine, Rose Bertin, elle lui demande de parfumer ses roses artificielles faites de batiste fine, de taffetas et de gaze plâtrée, pour leur donner l’illusion de la réalité.

Le parfum au XVIIIÈME

Le parfum au XVIIIème n’est plus le «contrepoint» du miasme, mettant à distance l’autre en protégeant des épidémies. C’est le siècle du libertinage et le parfum devient le complice du jeu de la séduction. Depuis le règne de Louis XV, l’époque est aux progrès et aux innovations dans le domaine des parfums. Jean-Louis Fargeon se lance dans le perfectionnement de la distillation, inspirés par les travaux scientifiques et obtient des huiles essentielles de plus en plus concentrées. De plus, l’enfleurage, mis au point dans la ville de Grasse sous Louis XV, permet d’extraire le flegme olfactif des fleurs que l’on appelait «muettes» car trop fragiles et qui ne livraient rien à la distillation. Ces révolutions techniques conduisent à un nouveau schéma artistique en parfumerie car le parfumeur dispose d’une palette élargie, s’affranchissant du rythme des saisons. 

C’est ainsi que naît le bouquet floral, dit «aux mille fleurs» pour définir ce parfum, composé à partir de fleurs de toutes les saisons.

Fargeon, qui compte comme clients presque toute la Cour et en particulier Mesdames tantes, filles de Louis XV et Messieurs frères du roi, livre à la Maison de la reine plusieurs douzaines de gants blancs, des paires de mitaines de peau de chien, des bouteilles de lavande, des litres d’esprit de vin, des pots de pommade à la fleur d’orange et de pâte d’amande, de la poudre à la fleur d’orange et des corbeilles de senteur en taffetas parfumé à la poudre de violette et au cypre, sans compter tant d’accessoires. Ainsi, Marie-Antoinette aime ses éventails parfumés, dont elle usait souvent pour cacher ses larmes ou ses sourires moqueurs. Fargeon crée pour elle un vinaigre radical ou esprit de Vénus, à propos duquel il écrit : «Cette liqueur est peut-être la plus pénétrante que je connaisse. Il suffit d’ôter le bouchon du flacon où elle se trouve pour remplir de son odeur tout un appartement, et si l’on porte le flacon ouvert proche du nez, il pénètre au cerveau avec tant de vivacité, qu’il semble que le crâne s’ouvre et se sépare en deux parties. Son parfum est des plus agréables».

Marie-Antoinette aimait aussi ses pommades au citron, à la fleur d’orange double : au concombre, des bâtons aux mille parfums, ou encore des eaux spiritueuses de lavande, des pommades au jasmin, des eaux de Cologne et des sachets parfumés.

Cependant, Fargeon a un rival ! En 1775, Jean-François Houbigant, qui bénéficie du patronage de la duchesse de Charost, a ouvert une boutique au 19 rue du Faubourg Saint-Honoré à l’enseigne de la «Corbeille de Fleurs» et livre également la reine de quelques senteurs. Il lance l’«Eau d’Houbigant», aux propriétés rafraîchissantes et adoucissantes, composée exclusivement de fleurs. Houbigant vend aussi de la poudre pour perruques, des extraits aux mille fleurs, des gants et des éventails, des pastilles à brûler et, en hommage à sa protectrice, une pommade à la Duchesse.

Les fleurs et les parfums sont les ultimes réconforts de Marie-Antoinette

Les goûts de Marie-Antoinette

Contrairement à ses contemporains, Marie-Antoinette a gardé de son enfance passée à Vienne et de l’éducation de l’Impératrice Marie-Thérèse, de bonnes habitudes d’hygiène. La reine prend des bains plusieurs fois par semaine vers onze heures de manière très pudique. Ainsi, la reine n’a pas besoin de cacher ses mauvaises odeurs corporelles par des parfums lourds et entêtants, contrairement à beaucoup de ses contemporains, et adopte le nouveau parfum à la mode : «Le Bouquet aux mille fleurs», beaucoup plus aérien et subtil. Conformément à l’esprit du temps, Fargeon nommait ses parfums «Bouton d’or», «Prés fleuris» ou «Eau de bouquet de printemps».

Toutefois, la mise au point de ces odeurs prétendues naturelles devient de plus en plus complexe, afin de donner à ces eaux surfines tout leur pouvoir d’illusion.

Parmi toutes les fleurs, la rose est l’une des préférées de Marie-Antoinette. La reine se couronne de roses, de branches de lilas de Perse, qui couvrent aussi ses habits et ses chapeaux de guirlandes aux vives couleurs. En 1783, Madame Vigée-Lebrun fait poser la reine une rose à la main. Cette rose revient très souvent dans ses portraits. La reine des fleurs, symbole de Vénus et de la Vierge, devient l’emblème de Marie-Antoinette, qu’elle soit représentée en reine ou en bergère.

Les fleurs et les parfums sont les ultimes réconforts de Marie-Antoinette qui lui apportent jusqu’aux derniers et pires moments de sa vie un profond réconfort. Peu de temps avant la Révolution française, et particulièrement quand les attaques se multiplient contre la reine, Madame Campan raconte dans ses mémoires la scène suivante : «J’entrai un matin à Trianon, dans la chambre de la reine ; elle était couchée, avec des lettres sur son lit, pleurait abondamment : ses larmes étaient entremêlées de sanglots, interrompus par ces mots : «Ah ! Je voudrais mourir. - Ah ! les méchants, les monstres !... Que leur ai-je fait ?...». Je lui offris de l’eau de fleur d’orange, de l’éther... Les fleurs d’orangers donnaient par la distillation une eau très pénétrante, qui outre sa bonne odeur, produisait des effets merveilleux dans plusieurs maladies : d’où son nom aqua naphae. La reine en eut recours à plusieurs reprises.

Le 16 octobre 1793, la reine est condamnée à mort pour haute trahison par le Tribunal Révolutionnaire et monte sur l’échafaud.

La fin de Jean-Louis FARGEON

Quant à Jean-Louis Fargeon, il fut aussi emprisonné pendant six mois et libéré à la suite d’un long procès malgré ses convictions républicaines et tout en étant resté fidèle à la reine. Il échappe ainsi de justesse à la guillotine en pleine terreur, libéré le jour même de la chute de Robespierre. Sous le Directoire, il parfuma la société à la mode prise d’une frénésie de vivre après la Révolution française et que l’on appelait «Les Incroyables, les Muscadins et les Merveilleuses». Sous l’Empire, il devint «Parfumeur distillateur breveté fournisseur de l’Impératrice Joséphine». 

Toutefois, sa santé était ruinée par la prison et il mourut le 9 novembre 1806 à l’âge de cinquante-huit ans, dans son appartement du 11 rue du Roule.