La reprogrammation cellulaire : le futur de la jeunesse ?

Nous avons interrogé le Dr Gérard Redziniak, spécialiste en recherche biologie cutanée, dermatologie, cosmétologie et compléments alimentaires.

Le phénomène du vieillissement cutané

Avant toute chose, le Dr Gérard Redziniak tient à rappeler le fonctionnement du vieillissement cutané : «Le phénomène du vieillissement, l’inflammaging, est provoqué par un enchaînement d’événements oxydatifs, dus à l’exposome et donc à l’environnement, à la pollution, aux UV, au stress, au mauvais sommeil, à la mauvaise alimentation, etc. Cet environnement agressif provoque la dégradation cellulaire et moléculaire. Cette usure fait que le capital jeunesse des cellules s’amenuise. Les cellules vieillissent également avec le phénomène de méthylation qui inhibe le travail de certaines cellules».

L’environnement et les gênes

Notre vieillissement serait bien moins rapide si nous vivions dans un environnement dénué de tout facteur vieillissant. «Dans un environnement complètement maîtrisé, on vieillirait beaucoup moins vite. Le vieillissement chronologique, inscrit dans nos gènes, est responsable à hauteur seulement de 20 % environ, comparé au vieillissement dû à l’exposome, responsable à 80 % du vieillissement global.»

Qu'est-ce que la reprogrammation cellulaire ?

La reprogrammation consiste à refaire travailler les gènes qui ne fonctionnent plus. Le Dr Gérard Redziniak explique la genèse de ce type de médecine régénérative : «Les premiers travaux scientifiques qui ont été réalisés sur la reprogrammation cellulaire remontent au début des années 2000. Ils ont été réalisés par le Prix Nobel de médecine et de physiologie, le chercheur japonais Shinya Yamanaka. Ce prix lui a été décerné à la suite de ses recherches sur la transformation des cellules somatiques, cellules matures qui composent notre corps et qui stoppent leur activité en raison du vieillissement. Shinya Yamanaka est parvenu à faire remonter le temps et faire revenir ces cellules à un stade presque embryonnaire». Ce sont les résultats de ses travaux qui ont permis une meilleure connaissance de ce qu’est la reprogrammation cellulaire. «Grâce au travail de Shinya Yamanaka, nous pouvons reprogrammer bon nombre de cellules, ce qui est assez incroyable» fait remarquer le Dr Gérard Redziniak.

Une découverte majeure pour la médecine réparatrice

Récemment, une étude menée par une équipe de scientifiques du Babraham Institute à Cambridge a montré des résultats intéressants : en travaillant sur les fibroblastes d’une cellule de peau, l’équipe a montré qu’en emmenant les cellules in vitro dans des boîtes de Petri, les gènes «horloges» de la peau qui vieillissent peuvent à nouveau travailler comme des cellules plus jeunes. «Pour ce faire, ils ont injecté un virus comparable à une seringue moléculaire, comme un cheval de Troie, les quatre gènes fondamentaux de la jeunesse dans une cellule de peau de 50 ans, afin de reprogrammer les protéines nécessaires à la jeunesse cellulaire. En une petite fenêtre de temps, ils ont constaté qu’il était possible de remettre au travail des fibroblastes comme s’ils avaient 30 ans de moins. Ils retravaillent comme des fibroblastes de 20 ans, tout en restant des fibroblastes et non pas en revenant à l’état de cellule embryonnaire comme l’avait fait Shinya Yamanaka.» Ces travaux pourraient également être exploités pour la maladie d’Alzheimer, les retombées de cette reprogrammation sont donc très importantes.

Les limites de la reprogrammation cellulaire

En termes d’éthique, cela amène certaines limites, notamment quant à la manipulation des embryons qui est induite. «Cela implique que nous sommes en mesure de modifier dans un spermatozoïde ou un ovule la cartographie génétique. Il peut y avoir des débordements, il faut donc être très vigilant. De plus, amener la cellule vers un stade embryonnaire et donc en poussant trop loin l’injection du cheval de Troie, cela peut créer des cellules cancéreuses. Encore une fois, la vigilance est le maître-mot » tempère le Dr Redziniak.

Le futur de la reprogrammation cellulaire

Le Dr Gérard Redziniak salue le récent travail qui a été fait pour les vaccins contre le Covid. «Nous avons observé un certain nombre de choses grâce aux travaux qui ont été réalisés avec les vaccins contre le Covid, à la technologie ARN messager. On injecte l’ARN messager, grâce à des vecteurs que l’on appelle liposomes, dans la cellule qui est capable de fabriquer une protéine qui permet au système immunitaire de fabriquer des anticorps.»

L’ARN Messager : la clé

Le Docteur croit en cette technologie pour le futur. «En ce qui concerne l’avenir du secteur de l’esthétique et de la cosmétique, si l’on continue sur la lancée de la reprogrammation cellulaire, ce sera via la technologie de l’ARN messager. Cette approche ne touche pas le génome mais elle «photocopie» l’ADN. Il n’y a donc pas de problème d’éthique et cela est bien moins agressif. Les travaux d’aujourd’hui sont très inspirants malgré le fait qu’ils posent des limites éthiques. Il existe des solutions douces pour faire de la reprogrammation cellulaire par le biais de l’ARN messager pour pouvoir demain refaire travailler les cellules âgées» poursuit le Dr Redziniak. «Aujourd’hui, existe une avancée sur la vectorisation et je pense que d’ici plusieurs années, avec une recherche fondamentale poussée, il sera possible de cibler le vieillissement et faire remonter l’horloge du temps aux cellules. Il ne faudra néanmoins pas tomber dans une approche très marketing comme 9 marques de cosmétiques sur 10 aujourd’hui» poursuit le spécialiste.

L’ARN dans les cosmétiques

Il s’agit peut-être du futur de la cosmétique anti-âge, une nouvelle génération de cosmétiques. «Nous connaissons déjà des actifs dermo-cosmétiques qui arrêtent les processus liés à l’inflammaging : molécules naturelles anti-oxydantes, anti-inflammatoires, anti-méthylation de l’ADN (process en grande partie responsable de la perte d’activité des «gènes de la jeunesse»). Dans les cinq prochaines années, il est fort probable que nous trouvions dans des produits dermo-cosmétiques des actifs de type nucléotides (ARNm par exemple ou ARN anti-sens) qui, véhiculés et formulés dans des galéniques très spécifiques, puissent agir sur l’horloge biologique des cellules cutanées et leur permettent de remonter le temps.»


Le Dr Gérard Redziniak

Le Dr Gérard Redziniak exerce depuis 40 ans dans le monde de la recherche en biologie cutanée, dermatologie, cosmétologie et compléments alimentaires. Après un doctorat en Biophysico-Chimie Moléculaire, il a dirigé le Département de Recherche Appliquée des Parfums Christian Dior (Groupe LVMH). Il a ensuite dirigé le Pôle Scientifique du Groupe Yves Rocher, puis les directions R & D de plusieurs groupes parmi lesquels Naos (Esthederm-Bioderma), Amore Pacific Europe et Uriage. Pendant ce parcours industriel, il a eu également l’opportunité de présider la Société Française de Cosmétologie de 2008 à 2011. Cette société savante lui a d’ailleurs confié la présidence du Comité d’organisation du Congrès International de Cosmétologie (IFSCC Congress Paris 2014).