Parcours d'esthéticienne : Réjane Sallé, socio-esthéticienne pour reconstruire

Objectif : devenir socio-esthéticienne 

À l’époque, la formation de socio-esthéticienne n’était proposé qu’au CODES à Tours qui exigeait en prérequis deux ans d’expérience professionnelle dans l’esthétique. Après mon BTS, j’ai donc travaillé neuf mois à l’Île de La Réunion dans un centre de minceur, puis je suis revenue à Toulouse pour travailler dans un spa. Ces deux expériences ont conforté mon souhait de me spécialiser dans la socio-esthétique. La réappropriation et le ressenti corporel étaient pour moi plus intéressants à développer que la vente de prestations et de produits.

La formation au CODES

En 2009, j’ai donc pu accéder à la formation de socio-esthétique du CODES, j’ai été diplômée en mai 2010. La formation de socio-esthéticienne réunit le pan médical et le pan social. On découvre en grande partie les effets secondaires de certains traitements et les pathologies que l’on peut rencontrer dans le métier. On nous dispense également des enseignements autour du domaine médical avec de l’oncologie, de la dermatologie, de la gynécologie, de la psychiatrie et de la rééducation mais aussi dans le domaine social et médico-social avec de l’addictologie, du handicap, de la précarité ou de la détention. Ainsi, nous avons connaissance de la plupart des publics que nous pouvons rencontrer. Nous apprenons à travers plusieurs modules à travailler en structure avec des élaborations de projet, des bilans d’activités, des transmissions, etc. Cela nous permet par la suite d’adapter tous nos soins esthétiques à des personnes qui ont des particularités ou un parcours de vie atypique qui va modifier l’image qu’elles ont d’elles-même, l’insertion sociale, professionnelle et personnelle.

Des stages qui permettent l’accès à l’emploi

Lors de ma formation au CODES, j’avais fait un stage dans un foyer d’accueil médicalisé au sein duquel il n’y avait pas de socio-esthéticienne, j’ai pu pratiquer des soins esthétiques auprès d’hommes et de femmes ayant des handicaps moteurs et/ou mentaux. Après l’obtention de mon diplôme, j’ai pu faire des permanences en tant que vacataire externe au sein de cette structure.

Les stages de formation de socio-esthétique permettent de faire connaître la profession mais aussi aspirer à un partenariat.

Le goût pour le social 

Ma formation au CODES m'a permis de découvrir que j'étais plus attirée par l'univers social que médical. Donc, j'ai orienté mes recherches d’emploi en ce sens et cinq mois après mon embauche dans le foyer d’accueil médicalisé, j’ai été embauchée à Bordeaux dans une association d’accompagnement de personnes en situation de prostitution et victime de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle (IPPO). Par le biais de cette association, j’ai découvert le GAPS qui aide les personnes en situation de séropositivité. Ces deux associations ont marqué le début de ma vie professionnelle dans le milieu que j’affectionne. Aujourd’hui, l’association IPPO a fermé, mais le CEID a ouvert un pôle qui propose des services similaires pour laquelle je travaille aujourd’hui.

Des missions difficiles à trouver

Néanmoins, il est difficile de vivre de ce métier, surtout en début de carrière. Les structures n’embauchent pas à temps plein une socio-esthéticienne, c’est très rare. De 2013 à 2015, je me partageais entre Bordeaux et Paris où je suis intervenue à La Pitié Salpêtrière auprès du département de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Je travaillais aussi à Emmaüs Solidarité. En 2015, je suis revenue à Bordeaux où j’ai développé mon réseau associatif, ce qui m’a permis de travailler dans d’autres structures spécialisées dans l’insertion, l’hébergement et l’accompagnement de femmes victimes de violences. Depuis 2019, j’ai enrichi mon expérience en travaillant avec deux associations supplémentaires spécialisées dans les violences faites aux femmes :

Une prise en charge personnalisée 

Les prises en charge sont différentes dans les méthodologies et les philosophies de chaque structure. Dans le monde médico-social, dans la structure Handivillage 33 pour laquelle je travaille depuis 2010, les résidents peuvent vivre dans un foyer d’accueil médicalisé. L’accompagnement n’est pas le même que dans des structures à des fins uniquement sociales. Les personnes accueillies sont différentes, les parcours et les problématiques aussi. La méthodologie de travail est donc à adapter en fonction des personnes et des associations.

Je prodigue des soins d’esthétique traditionnels comme des soins visage, des beautés des mains, des modelages du corps, des épilations, des maquillages, en fonction de leurs capacités motrices, psychologiques, émotionnelles et financières. J’adapte mes prises en charge en fonction des attentes, des besoins et des objectifs de la personne qui peut être aussi bien un homme qu’une femme. Par exemple, il peut s’agir d’un maquillage correcteur de marques, brûlures, hématomes ou un maquillage embellisseur pour une image sociale ou encore pour aider à améliorer l’estime de soi. La règle d’or est le non-jugement et la découverte de ce qu’il y a derrière une demande de maquillage. Ainsi, pour chaque soin réalisé, il y a des connaissances sur la personne, sur son parcours et sur ses besoins.

Le scan corporel

Dans le suivi psychocorporel que je propose, la plupart du temps, je fais un scan corporel par le biais d’un questionnaire lors de ma première rencontre avec les bénéficiaires. Ceci va me permettre de découvrir quelles sont ses attentes et les habitudes hygiéniques et esthétiques passées, présentes et futures. Ce questionnaire fera ressortir des thèmes esthétiques que la personne souhaite aborder. Cela part de l’hygiène de base au plus artificiel des conseils. Ceci est valable pour les prises en charge individuelles.

Les ateliers collectifs

Pour les ateliers collectifs, le thème est souvent prédéfini. Les participant(e)s qui s’inscrivent, adhèrent et acceptent le thème choisis. Les échanges sont moins personnels et plus dans le partage. Les personnes que je vois rencontrent d’autres professionnels tels que des psychologues, des travailleurs sociaux, des médecins ou des juristes.

Créer la confiance

L’accompagnement socio-esthétique participe à un suivi global pluridisciplinaire. La participation à un suivi, tel que je le propose, se fait en grande majorité avec l’accord de la personne. Dès lors que la démarche est volontaire, le lien de confiance est rapidement créé et les bénéfices se font ressentir rapidement. Les personnes à qui l’on recommande de venir me rencontrer ne se livrent qu’avec parcimonie jusqu’à ce que le lien de confiance se créé. Le fait de travailler dans le non-jugement permet de libérer la parole et permet également à la personne d’être actrice de ses choix hygiéniques et esthétiques. La gratuité des soins permet de ne pas avoir une temporalité imposée à l’avance et laisse le temps au bénéficiaire.

Traiter chaque zone indépendamment 

Grâce à ce scan corporel, différentes thématiques vont émerger que je vais travailler avec la patiente. Le thème le plus demandé est l’accompagnement sur le toucher corporel, notamment pour les femmes victimes de violences. Elles ont des syndromes de stress post traumatique avec des symptômes d’évitement, d’intrusion et d’hyper éveil. Ainsi, se toucher soi-même lorsque l’on a un corps qui a été violenté, fait parfois ressurgir les traumatismes subis. Chaque partie du corps a une mémoire. Je vais donc travailler chaque partie indépendamment les unes des autres, de manière à avoir une acceptation, une définition des ressentis et aussi une découverte.

Par exemple, lors d’un soin du visage, je prête une attention particulière aux ressentis des personnes qui ont eu la mâchoire fracturée, ayant dû faire de multiples fellations, ou ayant eu un poing ou un objet enfoncé dans la bouche. Si la zone est trop compliquée, je sépare les parties du visage pour travailler sur les odeurs, le toucher des produits pour arriver à ce que la personne reprenne possession de son visage. Ma pratique s’applique à chaque partie du corps pour que les personnes puissent se réapproprier leur corps et leur image. En tant qu’esthéticienne, je propose tous les thèmes que j’ai appris au cours de mes formations esthétiques et mes expériences professionnelles, auxquels s’ajoutent les thèmes qu’une socio-esthéticienne peut proposer comme la création de produit, le conseil en image, le conseil en communication non verbale, etc.

L'accompagnement individuel pour reconstruire l'estime de soi

Cela peut passer par le massage, également par l’auto-soin, par le toucher sur vêtement, sur peau ou avec un outil de massage comme une balle ou bien des bâtons de massages. Les séances individuelles prennent du temps parce que la reconstruction de l’estime de soi et la découverte de son ressenti est difficile. Des personnes sont victimes d’amnésie traumatique, ce qui fait que le corps parle mais la personne ne se souvient pas des violences subies. Le corps va réagir, ce qui va permettre une levée progressive de l’amnésie. La personne doit être à l’écoute de son corps.

Le ressenti : plus important que tout !

Un rendez-vous se divise en trois temps, il y a en premier lieu un temps d’échange, puis un temps de pratique et/ou conseils et enfin un temps d’analyse. La priorité est non le soin mais comment la personne le ressent et c’est dans cette analyse que la socio-esthéticienne excelle. Ainsi, des soins purement esthétiques tant dans les produits utilisés que dans les étapes peuvent être transformés en pratique socio-esthétique dès lors qu’il y a un apport de connaissances, un travail de reconstruction, une analyse comportementale et des ressentis du bénéficiaire.

Une prise en charge parfois difficile 

Ma pratique de la socio-esthétique se fait sur la base de l'acceptation puisqu'il s'agit d'une thérapie psycho-corporelle, il y a des moments qui ne sont pas évidents. Il y a parfois des syndromes de dissociation qui se font, c’est-à-dire le moment où la personne se déconnecte de ses sensations corporelles et émotionnelles. Lors des violences, la douleur physique ou mentale est telle que pour survivre, l’esprit se protège et sort du corps. Pour certaines personnes, le fait d’être touchée entraîne une dissociation même si c’est dans un état contexte relaxant. Il faut donc pouvoir avoir une alliance thérapeutique pour gagner ce lien de confiance et ainsi faire revenir les patients pour travailler sur un ancrage psychique et faire découvrir à l’esprit que le toucher peut être agréable.

Le travail d’équipe : essentiel

Mon accompagnement ne peut pas se faire sans l’intervention d’autres professionnels. C’est pour cela que je travaille avec une équipe pluridisciplinaire dans chaque structure médecins, psychologues, ergothérapeutes, ostéopathes, réflexologues, danse-thérapeutes, art-thérapeutes, juristes, travailleurs sociaux, chaque professionnel a ses forces. Nous travaillons main dans la main pour permettre un accompagnement complet.

L’amour du métier

J’adore mon métier. Je ne me dis pas qu’il est difficile au quotidien de côtoyer un public de ce type car cela me fait prendre conscience que j’ai de la chance dans ma vie.

La vie des personnes qui ont connu des violences extrêmes, l’immigration ou encore le handicap est difficile, leur réalité n’est pas ma réalité. Et pour autant, je peux contribuer à leur apporter une connaissance et leur faire découvrir leur corps. Aussi, nous découvrons ensemble l’image qu’elles souhaitent renvoyer, ce qui est tout l’intérêt de mon travail. C’est très gratifiant de voir le bien-être ressenti par le biais de mes mains et/ou de mes connaissances en tant que socio-esthéticienne que je peux apporter. C’est un métier magnifique que je suis fière d’exercer.

Le rôle de la socio-esthétique

Je considère que la socio-esthétique a deux missions, l’une est plus centrée sur le plaisir et l’autre sur la reconstruction. Cette pratique permet d’aborder des sujets épineux comme les représentations de la beauté, les ressentis corporels, l’hygiène ou son manque. Mes collègues y voient une force dans les propositions d’accompagnement. Une reconstruction psychique peut passer par une reconstruction corporelle. La thérapie psychocorporelle va permettre à la personne de découvrir qui elle est, qui elle souhaite être en milieu social, personnel ou professionnel. Si mes collègues ne sont pas du même domaine, c’est une complémentarité. Si mes collègues sont dans le même domaine, c’est un soutien.

Des recontres marquantes 

Les personnes que l’on rencontre ont des parcours de vie qui sont tels, que je suis confrontée tous les jours à mes propres représentations, mes propres a priori. Par exemple dans la prostitution : sont-elles toutes victimes de la traite des êtres humains ? Sont-elles au contraire libres de leurs choix ? Sont-elles dans un réseau ? C’est ce qui marque dans les rencontres que j’ai pu faire au cours de ma carrière. Ces personnes ont bousculé mes représentations.

Par exemple, j’ai connu une grand-mère qui continuait de se prostituer pour vivre, et entretenir son fils lourdement handicapé, elle a vécu toute sa vie comme ça. J’ai pu accompagner une personne transgenre dans tout le processus de sa transformation. C’était passionnant d’avoir suivi son évolution et son épanouissement. J’ai rencontré une femme dont toutes les parties de son corps avaient été violentées par son mari. Chaque partie de son corps était un souvenir des violences vécues et aucune partie ne pouvait procurer du plaisir. Un jour, elle m’a dit que chaque fois qu’elle partait d’une séance que je faisais avec elle, elle enlevait une pierre de son corps et que son corps s’allégeait au fur et à mesure de notre suivi. C’est pour ça que je fais ce métier, pour voir l’évolution et la reconstruction de ces femmes qui font preuve d’une résilience extrême.

Message aux esthéticiennes

Certaines d’entre vous font de la socio-esthétique par le suivi de clientes fidèles. Vous connaissez leur vie au fur et à mesure des années, leurs craintes et leurs faiblesses. Vous leur apportez un moment agréable, une bulle d’oxygène. Lorsque vous massez une personne, vous pouvez remarquer des marques, des cicatrices, leur peau vous raconte leur histoire et cette peau ne peut mentir. Nous faisons un très beau métier. Nous touchons les personnes et nous nous faisons aussi toucher.