Santé mentale : un tabou persistant...
Explications d'Astrid Chevance, médecin-psychiatre et cheffe de clinique en santé publique à Paris, auteure de « En finir avec avec les fausses idées sur la psychiatrie et la santé mentale » Ed. de l'Atelier.
Les troubles psychiques affectent principalement les cognitions (mémoire, attention, capacité à prendre une décision), les pensées, les comportements et les émotions. Pour autant, la plupart des troubles psychiques entraînent aussi des symptômes physiques (tremblements, douleurs, palpitations, etc.). Les troubles psychiques les plus fréquents sont la dépression, les troubles anxieux, et les addictions. En tout, les troubles psychiques touchent presque 18 % de la population (OCDE 2018). Actuellement, on parle de trouble psychique parce qu’en médecine, le terme de «maladie» est réservé aux troubles pour lesquels on a une étiologie, c’est-à-dire une cause identifiée. Pour l’instant, dans le domaine de la psychiatrie, plusieurs troubles sont iden-tifiés mais aucun n’a d’explication causale simple. Pourtant, d’un point de vue philosophique, on peut tout de même parler de maladie, puisque les personnes sont empêchées dans leur vie du fait du troubleDes troubles non maîtrisables
Les troubles psychiques sont victimes de bien des tabous, du fait notamment du manque de connaissance du public à leur sujet. On croit souvent que les personnes font «exprès», qu’il s’agit d’un «mauvais caractère» ou qu’elles «manquent de volonté». Pourtant la médecin-psychiatre Astrid Chevance rappelle que «Les personnes qui ont des compulsions irrépressibles ne peuvent pas faire autrement que d’effectuer leur toc. Celles qui souffrent de dépression ne parviennent pas à être autrement que triste. Ce n’est pas la peine de leur dire de se changer les idées car le principe même de la maladie est le fait de ne pas pouvoir changer d’idées. C’est le cœur de la maladie psychiatrique : la fixation de pensées, d’émotions, d’hu-meurs ou de comportements, contre lesquelles la personne ne peut rien faire seule… Les maladies psychiques sont perçues plutôt comme des déviances volontaires que comme des maladies. La personne ferait donc exprès d’avoir tel ou tel comportement ou de tenir tel ou tel type de propos. Or, les symptômes de la maladie psychique sont comportementaux, émotion-nels ou cognitifs et personne ne peut les empêcher».
Bien plus de concernés que l'on ne pense...
Une personne sur cinq fait une dépression dans sa vie. Il y a donc bien plus de personnes concernées par la maladie psychique que ce l’on peut croire. «On aurait tous à gagner en disant : «J’ai un problème avec l’alcool. Je suis addicte à telle substance… J’ai des attaques de panique. J’ai un trouble bipolaire, etc.» 18 % de la population a un trouble psychique ! Nous connaissons tous quelqu’un qui a vécu ou qui vit avec un trouble psychique. Ce qui frappe, c’est l’asymétrie entre une telle banalité et une telle omerta. D’autres maladies extrêmement rares comme la mucoviscidose sont très connues du grand public. Le problème est que les personnes ne s’autorisent pas à consulter» explique la spécialiste.
La peur d'aller consulter
Le premier pas à faire pour les personnes en détresse psychique serait d’aller consulter un spécialiste pour faire la part des choses entre un potentiel trouble psychique néces-sitant un traitement et une difficulté passagère. Néanmoins, selon la médecin-psychiatre : «Les personnes n’osent pas aller consulter. Ceci a des conséquences très graves : l’état de santé se dégrade et il faut souvent attendre qu’il y ait une crise suicidaire ou des effets importants sur la vie profes-sionnelle ou familiale pour que les personnes se décident à consulter. Lorsque certaines personnes ont réussi à franchir le pas d’aller voir un psychologue ou un psychiatre, elles n’osent pas le dire car elles ont honte. Or, si on prend en charge la personne assez tôt, on peut éviter des catastrophes psycho-sociales et vitales».
Le conseil
En cas de difficultés émotionnelles, cognitives, de troubles du sommeil ou de l’appétit, de perte de contrôle dans l’usage de certaines subs-tances, et d’idées suicidaires, la médecin-psychiatre recommande d’en parler très précocement à son médecin traitant ou à un psychiatre, tous deux sont à même de poser un diagnostic et d’orienter vers une prise en charge adaptée.
La stigmatisation sociale
Dans l’esprit collectif, une personne qui consulte un psychiatre est souvent suspectée de folie, comme l’explique Astrid Chevance : «Les personnes en souffrance, cherchent à dissimuler leurs troubles pour ne pas porter l’étiquette du «fou» qui est stigmatisante et excluante. Le fait est que le «fou», dans sa défi-nition sociale, est celui qui fait des choses déviantes, qui enfreignent les règles sociales, voire juridiques. Il est ainsi jugé comme étant délinquant et dangereux. Les personnes qui sont en souffrance psychologique veulent s’épargner la double peine de la maladie et de sa stigmatisation. Souvent, il y a une incompréhension totale de ce que sont les métiers de psychologues et de psychiatres ainsi que des soins proposés. Le tabou c’est : sois fort, serre les dents, ne te pose pas trop de questions, ne te regarde par le nombril. On a l’impression que c’est faire acte de faiblesse de prendre conscience de sa maladie psychique».
Le rôle du psychiatre
Il est donc difficile pour certains d’aller consulter, d’autant plus que cela est tabou pour l’individu lui-même, qui peut se sentir hors des normes établies par la société. «Étant donné que les maladies psychiques ont une expression comportementale, émotionnelle ou dans le discours, on n’arrive pas à penser que la personne peut ne pas être en mesure de se maîtriser. Le rôle du psychiatre est de poser un diagnostic, de dire qu’on est dans le cadre d’une maladie, et que la personne a besoin d’une aide extérieure. Le traitement sous forme de psycho-thérapie ou bien de médicaments peut aider le patient à retrouver des pensées, des émotions et un comportement qui lui ressemblent» explique la spécialiste.
Le rôle des proches
Il est très difficile pour les proches de comprendre le changement que le trouble psychique produit chez la personne qui réagit et se comporte différemment. On peut avoir l’impression qu’elle est transformée. «Il y a de l’incompréhension et un sentiment d’impuissance de l’entourage face à la personne malade, notamment lorsque les encouragements n’y font rien… En effet, on ne peut pas soigner une maladie psychiatrique au même titre qu’un cancer, avec des encouragements. C’est notre rôle de psychiatre de donner une grille de lecture aux familles afin de leur expliquer qu’il s’agit d’une maladie. La famille, tout comme le concerné, ne veut pas de cette étiquette de «fou». La famille peut de ce fait démotiver le malade à aller consulter bien que celui-ci en ait bien besoin» détaille la spécialiste.
Une prise de conscience générale
Pour que la maladie psychique soit davantage comprise, il est nécessaire qu’elle soit reconnue, notamment auprès des pouvoirs publics. «Mon impression est que nos sociétés et les pouvoirs publics ont pris davantage conscience de l’importance de la santé mentale. Cela a accéléré le fait qu’aujourd’hui on ne peut plus penser la santé sans la santé mentale. Je vois arriver des personnes qui demandent des soins et qui auparavant n’auraient pas osé. Le fait que les médias aient beaucoup parlé de santé mentale pendant la Covid a contribué à une prise de conscience de la part du grand public. Je ne sais néanmoins si on peut encore parler d’une vraie libération de la parole.»
Les bénéfices du témoignage
Quelques stars comme Stromae et Selena Gomes se sont exprimées autour de ce sujet mais cela reste très difficile, comme le confie la psychiatre : «Le témoignage personnel peut être intéressant dans la mesure où il permet de montrer que la personne a traversé telle chose et qu’elle a réussi à s’en remettre. Ce serait important que l’on puisse avoir davantage de ce type de figures. Il y en a bon nombre aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons qui sont en avance sur nous par rapport à l’importance de la vie psychique».
Les solutions pour briser ce tabou du mental
«Peut-être faut-il éduquer à la vie psychique et ce, dès le plus jeune âge, et notamment sensibiliser les jeunes parents à cette question. Lorsque l’on voit qu’une personne de son entourage ne va pas bien, il ne faut pas hésiter à lui conseiller d’aller consulter. Ceci doit être fait en douceur avec une approche du type : «Tu sais, se faire aider peut être bénéfique. Je connais quelqu’un…». En tout cas il ne faut pas dissuader une personne qui suit une psychothérapie, ne pas colporter des idées reçues, il faut se renseigner et aller chercher les bonnes informations. Enfin, il ne faut pas s’arrêter à un témoignage individuel. Ce n’est pas parce qu’il y a eu une mauvaise expérience avec un service de psychiatrie ou un psychiatre en parti-culier par exemple qu’il faut rejeter la psychiatrie dans sa globalité» conclut la spécialiste.
PSYCHOLOGUE ET PSYCHIATRE, QUELLE DIFFÉRENCE ?
Un psychologue est diplômé d’un master de psychologieUn psychologue est diplômé d’un master de psychologie clinique. Il réalise des psychothérapies. Un psychiatrclinique. Il réalise des psychothérapies. Un psychiatree est unest un médecin spécialiste qui est en mesurmédecin spécialiste qui est en mesure de poser un diagnostic,e de poser un diagnostic, prprescrirescrire des examens médicaux et des médicaments.e des examens médicaux et des médicaments. Certains psychiatrCertains psychiatres réalisent aussi des psychothérapies.es réalisent aussi des psychothérapies.