Pourquoi les femmes sont-elles moins bien soignées que les hommes ? (2)

Les violences médicales

Les violences psychologiques

Les femmes qui se rendent chez le médecin peuvent se retrouver confrontées à des violences physiques ou verbales et ce, dès leur entrée dans le cabinet, comme l’explique le Dr Martin Winckler : «Beaucoup de médecins, hommes ou femmes, se comportent avec les femmes comme s’ils étaient habilités à porter des jugements sur elles. Ces jugements se portent sur leur aspect physique ou leurs choix de vie, comme celui par exemple de ne pas avoir d’enfants. Bon nombre de femmes de plus de 30 ans qui n’ont pas d’enfants et qui se rendent chez le médecin sont ainsi jugées ! Toutes les violences découlent de cette posture de jugement : «Madame, vous avez 5 kilos de trop, vous ne mangez pas bien, vous avez des rides, etc.».

L’absence de demande de consentement

La question du consentement est prédominante selon le Dr Martin Winckler : «Les médecins ont ce privilège de pouvoir toucher les gens. Or, il en va de la médecine, comme des relations interhumaines normales, on ne touche pas une personne si cette dernière ne l’a pas autorisé. Le problème est que certains médecins le font quand même. Dans le code de déontologie que tous les médecins devraient respecter, il est écrit noir sur blanc qu’un médecin ne peut faire aucun geste sur un patient sans son autorisation. Par conséquent, pendant des années lorsque j’exerçais en tant que médecin dans un centre de planification familiale, je voyais des femmes arriver en consultation, qui avaient le comportement suivant : elles posaient leur sac, se déshabillaient et montaient sur la table d’examen. Au bout d’un moment je leur ai dit : «Attendez, asseyez-vous d’abord, on va discuter».

Les femmes pensent souvent que lorsqu’elles se rendent chez le médecin, elles doivent être auscultées. Or, ce n’est pas le cas, d’après le Dr Martin Winckler : «Il n’est pas nécessaire d’être examinée pendant une consultation. Je vais prendre un exemple qui est très courant, la preillegalillegalscription de pilule. Elle ne nécessite pas d’examen clinique, simplement une prise de tension. La deuxième violence est donc cette absence de demande de consentement qui consiste à se précipiter sur les femmes pour les toucher, sans leur autorisation et sans nécessité médicale. Quand bien même y en aurait-il une, il faudrait avoir le consentement de la patiente».

Les violences physiques

Par ailleurs, les violences envers les femmes émanant de certains médecins peuvent être également physiques et provoquer de la douleur, comme l’explique le Dr Martin Winckler :« Bien souvent, les médecins réagissent de la façon suivante : lorsque la patiente leur dit que cela est douloureux, ils vont répondre que cela n’a pas d’importance, que cela va passer et que c’est pour leur bien. Cela se voit beaucoup lors d’examens du type pose de spéculum ou de stérilet. La pose d’un stérilet doit être indolore. Je me suis tracassé pendant des mois à me demander comment pourrais-je poser un stérilet sans que cela ne soit douloureux. Il n’y a pas de raison que cela fasse mal. En France, tout le monde disait que cela était normal, en opposition aux médecins des États-Unis et l’Angleterre qui disaient le contraire».

Sur les femmes enceintes

Il serait donc possible de repérer les violences selon plusieurs caractéristiques qui sont : le jugement, l’absence de consentement et la brutalité, considérée comme justifiée. Le Dr Martin Winckler souhaite illustrer cela par un exemple qui cumule toutes ces formes de violences : la femme enceinte. «Cela peut commencer par une critique sur la prise de poids anormale de la femme. «Madame, vous avez pris 5 kilos de trop !» La physiologie de la grossesse est complexe, elle varie d’une femme à l’autre. Ensuite, cela touche la femme qui accouche. On l’oblige à le faire dans une position non physiologique, allongée sur le dos. Toutes les positions autre que sur le dos sont davantage physiologiques : debout, accroupie, sur le côté. Il suffit de regarder comment les mammifères mettent bas. Toutes les femelles mammifères accouchent couchées sur le côté.

Et puis tout est à l’avenant : «Madame vous criez trop», par exemple. Les gestes qui pourraient être évités comme l’épisiotomie et les forceps sont aussi un problème, tout comme les décisions que les médecins peuvent prendre sans demander l’avis de la femme. Il faut savoir que cela n’est pas universel. Les Anglais vont jusqu’à dire que les personnes les plus habilitées à faire accoucher une femme sont les sage-femmes et non pas les gynécologues. Les violences procèdent d’une culture ambiante, d’une culture française très pétrie de catholicisme, dans laquelle la personne d’autorité est celle qui décide parce que c’est celle qui a la supériorité morale».

Ces femmes qui arrêtent de consulter...

Les violences que peuvent subir les femmes ont des conséquences graves qui en poussent certaines à refuser de continuer de consulter. Il n’existe pas de chiffres officiels, comme l’explique le Dr Martin Winckler : «Par définition, nous ne pouvons avoir des chiffres, seulement si l’on fait des enquêtes sur une population donnée. Malheureusement, les médecins français n’en font pas, particulièrement sur les effets nocifs que peuvent avoir leur comportement. Leurs confrères américains, anglais et scandinaves eux, en font. En France, des chiffres permettent d’y arriver de façon indirecte. Si l’on regarde par exemple la fréquence des épisiotomies à l’accouchement, cela varie de façon importante d’un CHU à un autre, bien que sur toute la France la population soit comparable. Pourquoi à Besançon y a-t-il moins de 2 % d’épisiotomies, alors qu’à Paris il y en a entre 30 et 50 % ? Ce n’est pas parce que les femmes rencontrent davantage de difficultés à accoucher à Paris… Cela signifie qu’il y a des pratiques, qui sont des pratiques collectives, entretenues par l’environnement médical et des médecins qui ne suivent pas les recommandations scientifiques. Les recherches de l’OMS montrent qu’une épisiotomie n’est presque jamais nécessaire ! Cela est également lié à la hiérarchie de la médecine. Cela émane de l’idéologie des médecins, de leur formation, de la façon dont on leur donne des exemples, dont on leur parle des patientes. Cela est également dû au sexisme de la profession médicale».

Moins d'essais cliniques sur les femmes

Liés aux stéréotypes de genre

Les femmes pâtissent du manque de leur représentation dans les essais cliniques de médicaments et dans le cadre de recherches sur certaines maladies, comme l’explique la journaliste Delphine Bauer : «Il est question de représentation. L’infarctus est réputé comme étant une maladie d’homme. Or, le mode de vie des femmes a changé et ressemble davantage à celui des hommes aujourd’hui : consommation d’alcool et de tabac, stress, alimentation grasse, etc. Il en est de même pour des maladies comme le Sida, à laquelle on a collé l’étiquette de «cancer du gay». En effet, cette maladie a été, au début de son identification dans les années 80, davantage observée chez les homosexuels hommes.

Tout cela a participé à une invisibilisation d’autres patients, dont les femmes. À savoir, plus de la moitié des nouvelles contaminations au Sida sont présentes chez des femmes. En interviewant des femmes qui ont contracté le virus dans les années 80, nous avons appris que leur présence lors d’essais cliniques était quasi nulle à ce moment-là ! Lorsque les trithérapies -traitement médicamenteux ayant trois principes actifs différents- sont arrivées pour les femmes, les effets secondaires chez elles étaient très sous-évalués. Presque aucune d’entre-elles ne bénéficiaient de l’accompagnement nécessaire afin d’étudier les éventuels effets indésirables qu’il aurait pu y avoir sur leur corps».

Une recherche essentiellement menée pour et par les hommes

L’une des raisons qui explique que certains traitements médicaux ne sont pas adaptés aux femmes est que les recherches sont essentiellement menées sur des populations masculines, comme le détaille le médecin gynécologue : «Les essais de médicaments se font principalement chez les hommes. On commence à dire qu’il faut chercher du côté des femmes car nous ne réagissons pas tous de la même façon aux médicaments. À contrario, du côté des hommes, la recherche sur la contraception est quasi inexistante. Le biais épistémologique et la philosophie des sciences ont fait que jusqu’à présent la recherche était davantage menée par les hommes et orientée sur la santé de ceux-ci. Les femmes se sont tout de même saisies de cela, mais ont été contraintes d’être proactives pour faire avancer les choses».

Des scandales autour des médicaments

Bien des médicaments se sont retrouvés au coeur de scandales ces dernières décennies : la Dépakine, traitement antiépileptique, l’Androcur médicament prescrit pour traiter certains problèmes hormonaux, ou encore le Médiator, prescrit en cas de surcharge de graisse dans le sang. Une grande majorité de femmes ont été victimes d’effets secondaires graves suite à la prise de ces médicaments. La journaliste Delphine Bauer détaille les données : «Le nombre de victimes dépend du médicament. Pour la Dépakine, 100 % des victimes ont été des femmes, entre 75 et 80 % pour le Médiator, et 75 % pour l’Androcur. Le cas de l’Androcur est très particulier car c’est au départ un médicament conçu pour lutter contre le cancer de la prostate. Il y a donc également une inversion des proportions, par rapport à l’autorisation de mise sur le marché initial et l’usage qui en est fait dans la réalité. Le centre mondial de pharmacovigilance, situé à Uppsala en Suède, a déclaré que les femmes sont à 60 % victimes des effets indésirables des médicaments dans le monde. Elles sont plus nombreuses car elles prennent davantage de médicaments que les hommes, ces médicaments pouvant avoir des effets délétères sur leur santé. On leur prescrit pour certaines maladies des traitements qui ne sont pas adaptés parce que le bon diagnostic n’a pas été posé, du fait de biais de genres lors des consultations médicales».

Mais alors, quelles sont les solutions ?

La prévention et la formation

Selon le Dr Catherine Vidal, une action peut être menée sur la formation des médecins ainsi que sur l’information au public : «Un effort important doit être poursuivi pour sensibiliser les professionnels de santé à prendre en compte les différences et les inégalités de santé liées au sexe et au genre. Cela concerne la formation initiale au cours des études et aussi la formation continue des praticiens des professions médicales et paramédicales. Les campagnes d’information auprès des associations de malades et du grand public sont tout autant indispensables pour la prévention au bénéfice de la santé des femmes et des hommes».

La diversité dans la profession médicale

Afin de faire évoluer les choses et de permettre un accès à la santé plus serein pour les femmes, il faut garder à l’esprit que cela est long, bien que cela soit faisable, comme l’explique le Dr Martin Winckler : «L’état dans lequel se trouve la profession médicale française aujourd’hui était le même au Canada il y a 40 ans. Plusieurs éléments font changer les choses. Premièrement, la diversité. Il n’est pas seulement question de féminisation, il faut que la profession médicale soit ouverte à un plus grand nombre de personnes de sensibilité différente. Cela se traduit par des personnes d’origines ethniques différentes, des identités de genre différentes ou des préférences sexuelles différentes. Cela ferait changer les choses de l’intérieur».

Des sanctions appliquées

Par ailleurs, le Dr Martin Winckler explique que les violences médicales ne pourront disparaître qu’à la condition que des sanctions soient réellement appliquées lors d’abus aussi bien de la part des étudiants en médecine que des médecins : «Un étudiant en médecine, qui pratique n’importe quel geste violent, sera la première fois recadré et la deuxième fois renvoyé. Il faut que cela soit vrai pour les étudiants, mais aussi pour les chefs de service. C’est sur ce point que cela n’est pas évident. Le fait que les médias en parlent permet de progresser. Présenter les choses en disant que ce n’est pas normal qu’un médecin insulte, maltraite, se moque et pratique des gestes douloureux, permet de faire quelque chose. La France est en retard par rapport à d’autres pays comme le Canada, l’Angleterre et certaines régions des États-Unis comme la Californie ou le Minnesota».

Des essais cliniques plus inclusifs

Certaines maladies concernent de plus en plus de femmes comme le cancer du poumon, influencé par le mode de vie. Il y a une uniformisation des causes et des maladies, d’après la journaliste Delphine Bauer : «Je pense que de plus en plus d’efforts sont effectués de la part du corps médical et de la recherche clinique pour inclure les femmes dans les essais cliniques. Nous commençons à prendre conscience des effets délétères de ne pas les y inclure. Mais cela reste encore assez genré. Les femmes sont peu représentées dans les pathologies qui touchent le plus les hommes comme le Sida et les pathologies cardiaques. Elles sont en revanche très présentes dans les essais pour certains cancers comme celui du sein, qui pourtant peut aussi toucher les hommes. Le gros effort à faire est d’inclure les femmes dans les essais cliniques du cancer du poumon ou du Sida, et qu’elles ne soient pas cantonnées aux essais gynécologiques».

Rassurer les femmes

Par ailleurs, la journaliste Delphine Bauer explique qu’un discours pédagogique pourrait être plus rassurant : «Les femmes peuvent également être effrayées de rentrer dans des essais cliniques. Elles peuvent craindre d’être malades, en plus d’avoir la charge de toute leur famille. Différentes données relèvent de la biologie mais également du social. Il faut les prendre en compte. Peut-être faut-il avoir un discours plus pédagogique et plus rassurant auprès des femmes. Cela permettrait peut-être d’aborder les choses afin de les rendre davantage volontaires».