Esthétique et cancer : le rôle de l’esthéticienne en ville .1

Communication présentée au 49ème Congrès International Esthétique & Spa (avril 2019, Paris) par :
- Marie-Anne CONORGUES, Socio-Esthéticienne, Formatrice, Spécialisée en cancérologie, Dirigeante Esthétique et Santé Formations, Praticienne pour la Ligue contre le Cancer,
- Christelle LY, Esthéticienne, Spécialiste épiderme, Blogueuse esthétique,
- Carole LAGORCE, Esthéticienne, Formatrice chez Evimeria, santé et bien-être.

Marie-Anne Conorgues
Esthétique et cancer, ce sujet peut être globalement un peu lourd et douloureux, puisque nous avons toutes été amenées un jour à côtoyer la maladie de près ou de loin. Je suis socio-esthéticienne depuis 17 ans, je travaille dans une clinique de cancérologie dans le Sud-Ouest de la France à Pau. Je suis également formatrice et je dirige un organisme de formation en socio-esthétique, Esthétique et Santé.

Christelle Ly
J’ai plusieurs casquettes mais, aujourd’hui, ce qui vous intéresse c’est mon métier d’esthéticienne. Je suis installée dans une configuration un peu particulière, dans une maison de santé avec des professionnels médicaux et paramédicaux, et je suis confrontée à rencontrer des malades en post-traitement de cancer.

Carole Lagorce
Je suis estéticienne depuis 26 ans, j’ai créé mon institut il y a 15 ans à Biarritz et, en parallèle, je suis formatrice en techniques manuelles de bien-être.

État des lieux

Marie-Anne Conorgues
Une de nos premières interrogations est de savoir déjà si les esthéticiennes font face à une augmentation croissante d’une clientèle malade et en post-cancer à l’institut.

Ensuite, nous traiterons des problématiques que vous pouvez rencontrer.

Avant tout, je vais faire un état des lieux.

- Nous assistons à une augmentation croissante du nombre de malades. L’Institut National du Cancer a prévu, entre 2015 et 2030, le double de patients en France !

- Deuxièmement, le système de soin aujourd’hui en France amorce ce que l’on appelle un virage de l’ambulatoire, c’est-à-dire une externalisation des soins pour des raisons économiques.

- Troisièmement, les médicaments sont administrés de plus en plus par voie orale. Le cancer, grâce à l’évolution des traitements anti-cancéreux, devient une maladie chronique, ce qui nous amène à penser que demain les esthéticiennes en ville seront de plus en plus confrontées à des personnes malades.

Concernant le champ d’actions de la socio-esthétique, nous œuvrons activement à la formation des socio-esthéticiennes, depuis 11 ans, vers une formation diplômante.

Aujourd’hui, j’ai honte d’avoir refusé un massage à une personne malade

La difficulté aujourd’hui
Nous exerçons dans des services de cancérologie mais nous n’avons pas toujours des temps pleins à l’hôpital. Et, d’autre part, nous sommes principalement actives sur la période «en cours de traitement». Donc, ça veut dire que lorsque le traitement s’arrête, nos patientes nous quittent et redeviennent vos clientes. Nous ne sommes plus vraiment actrices à cette étape-là de la maladie.

Si nous avons commencé à nous poser des questions sur l’exercice des esthéticiennes en ville, c’est à cause de certaines de nos patientes.

Je vais vous citer le cas de Mme X qui est venue en séances de socio-esthétique à la clinique où je travaille et qui m’a raconté être allée avec son mari faire une thalasso en Bretagne pour s’offrir un temps de pause, une trêve dans la maladie. Lorsqu’elle s’est présentée au spa de la thalasso, l’esthéticienne a refusé de l’accueillir parce qu’elle était malade !

Une autre patiente, Mme Y, m’a raconté être allée chez son esthéticienne en ville et s’être sentie vraiment très mal à l’aise quand il a fallu qu’elle retire sa perruque dans la cabine. Et quand elle lui a demandé, au cours du soin visage, si elle pourrait faire un massage la prochaine fois, l’esthéticienne a refusé parce qu’elle avait un cancer.

L’important est de connaître le point de vue des professionnelles de l’esthétique.

Christelle Ly
Ma première rencontre avec une personne atteinte du cancer a été avec le mari d’une cliente. Ma cliente constatant les effets indésirables dus à son traitement, il souffrait et se plaignait d’avoir des douleurs. Elle voulait que je lui propose un massage. Aujourd’hui, j’ai honte, car, à l’époque, je lui ai dit non. Je ne pouvais pas lui faire de massage au risque de faire migrer les cellules cancéreuses. Je sais aujourd’hui qu’il n’y a pas de recherches qui le prouvent mais, sur le moment, je me suis sentie un peu perdue. Et, comme je suis un peu téméraire, je me suis lancée, je lui ai proposé de faire un massage des mains et des pieds. Donc, le mari de ma cliente est venu dans mon institut et je pense que ce rendez-vous a dû être un supplice pour lui car il souffrait de paresthésie, des engourdissements et des picotements au niveau des mains et des pieds, et il n’a pas osé me le dire. Je me suis dit que je ne voulais plus me retrouver dans cette situation : rencontrer des personnes atteintes de cancer ou en post-traitement. Donc, ma première expérience n’était pas la plus agréable.

Carole Lagorce
Moi, j’ai eu la douloureuse expérience d’avoir une de mes clientes, dont je m’occupais depuis longtemps, qui est arrivée en me disant qu’elle avait un cancer du sein. Ça a été terrible pour moi car c’était une amie. Je ne pouvais pas m’occuper d’elle, je ne pouvais pas lui faire de massage, je ne pouvais pas l’épiler, et je ne pouvais pas la guider…

Quand on passe son CAP d’Esthétique, on nous dit qu’on ne doit faire de soins qu’à des gens sains et qu’on ne doit pas toucher à des personnes malades. Donc, je n’ai pas osé la toucher, j’ai eu cette énorme frustration de ne pas pouvoir l’aider, la soutenir physiquement, de ne pas pouvoir la masser, la décontracter. Ça a été terrible pour moi.

Donc, je me suis renseignée pour savoir ce que je pouvais lui faire, et j’ai découvert Marie-Anne.

Marie-Anne Conorgues
Aujourd’hui, nous pourrions nous questionner quant à savoir si les soins esthétiques sur des clientes malades sont superflus ou au contraire nécessaires. Moi, je pense que les soins esthétiques, à cette période de la maladie, ne sont pas futiles mais au contraire bien nécessaires, et ce à tous les stades de la maladie, avant la mise en traitement, pendant, ou encore durant la période de réhabilitation.



Votre cliente vous annonce sa maladie
Quand vos clientes vous annoncent qu’elles sont malades, il faut que vous puissiez agir et commencer à leur donner des conseils de premiers recours. Il ne s’agit pas pour vous de devenir socio-esthéticienne ou d’avoir une expertise pointue, mais en tout cas de pouvoir donner à vos clientes des conseils qui vont leur être utiles pendant toute la période de leur traitement. Sur cette période «pendant le traitement», il est évident que la maladie entraîne bien souvent des effets secondaires et surtout une énorme fatigue. C’est la raison pour laquelle, pendant leur maladie, vos clientes risquent peut-être de moins fréquenter votre institut. Nous, socio-esthéticiennes, nous les aurons intra-muros pendant le traitement.
Sur le «après traitement», nous, socio-esthéticiennes, ne sommes pas positionnées, en tout cas pas encore, nous y travaillons, mais en ville, à partir du moment où les patientes quittent l’hôpital et se retrouvent seules, si elles veulent bénéficier de soins esthétiques, elles viendront à nouveau dans votre institut.