Esthétique et cancer

Quand le cancer fait effraction dans la vie d’une personne, il vient perturber tous les repères auxquels cette personne était préalablement habituée, modifiant son rapport à son corps, à sa vie personnelle et professionnelle, la maladie et les traitements venant bouleverser tous ses modèles de santé et de bien-être. En effet, le dépistage précoce, gage de meilleurs résultats de prise en charge, provoque ce paradoxe évoqué par les patients d’une maladie silencieuse qui se révèle par les traitements de soins.

Ainsi, souffrir d’un cancer, c’est quitter un état de santé décrit par l’OMS comme “un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité “.

La forte prévalence du cancer

Malgré les efforts et les avancées dans les traitements et les soins du cancer, nous observons une forte prévalence de cette maladie dans la population générale et elle reste un enjeu majeur de santé publique. Les différents Plans Cancer, depuis 2003, ont porté leur attention sur la sensibilisation des soignants à une prise en charge globale et, plus particulièrement, à l’impact psychique du cancer sur les patients. Ainsi, les équipes de soin ont vu se diversifier les approches ayant pour but d’apporter le plus de bien-être possible aux patientes. C’est dans ce cadre-là que les soins de support se sont développés et que des approches non-médicales ont trouvé leur place afin d’aider à mieux vivre les effets secondaires des traitements et de la maladie. 

Parmi ces effets, les modifications corporelles ont un impact significatif sur l’image de soi.

Les soins onco-esthétiques participent à un accompagnement corporel de la souffrance et de la douleur, à la reconstitution de l’image de soi pour retrouver estime de soi.

Le rôle des ateliers onco-esthétiques

L’Association Belle & Bien a participé au développement des soins esthétiques en cancérologie.

Depuis 2001, l’association a proposé à de nombreux services hospitaliers d’organiser des ateliers onco-esthétiques, au cours desquels des bénévoles esthéticiennes et accompagnatrices dispensent des activités pédagogiques et une forme de soutien psychologique lié à l’attention à soi. Ces groupes et l’expérience des bénévoles ont permis d’établir un constat empirique qui présageait que l’accompagnement onco-esthétique était un moyen de faire prendre conscience aux patientes de l’importance du “prendre soin de soi “.

Au regard de ce premier constat, l’association a mené une enquête de mesure d’impact de ses activités onco-esthétiques entre le mois de septembre 2022 et le mois de juin 2023. 338 femmes ayant participé à un atelier ou à une classe Belle & Bien ont pu répondre à un questionnaire avant et après leur participation.

Cette étude quantitative a permis d’établir les chiffres suivants :

• 93,6 % des participantes pensent que l’utilisation de produits de soins et/ou de maquillage a un impact sur la confiance en soi. De plus, après leur participation, l’utilisation quotidienne de produits de soins a progressé de 69,3 % à 86,2 % et celle de produits de maquillage de 34 % à 41,8 %.

• La participation à un atelier ou une classe Belle & Bien améliore :

- pour 76,7 % des femmes : le bien-être,

- pour 23,3 % des femmes : la confiance en soi.

Le corps n’est plus vu comme objet de souffrance ou de trahison

• Après leur participation à un atelier ou une classe, 90 % des bénéficiaires disent avoir développé une nouvelle routine beauté.

Force est de constater, avec ces retours à majorité positive, que le fait de participer aux ateliers ou aux classes Belle & Bien permet aux femmes de prendre conscience de l’importance de prendre soin de soi au quotidien et leur apporte un bien-être social : se regarder et être regardées, se porter de l’attention et du soin, retrouver, confiance en soi, se réestimer.

C’est pourquoi, un travail de recherche qualitatif a été effectué au sein de l’association, en partenariat avec l’École de Psychologues Praticiens. Cette recherche a pour but de faire émerger un nouveau savoir autour du paradigme qui consiste à penser qu’une évolution de la prise en charge des malades, du soin exclusivement somatique vers une prise en charge plus globale prenant en compte tous les besoins des patientes, pourrait exercer une influence sur la manière dont la patiente se saisit des recommandations médicales et le niveau d’observance qu’elle y attache.

Cette observance est au cœur d’enjeux socio-économiques et individuels majeurs qui permettent d’envisager une possible augmentation des chances de rémission et de survie.

Prendre soin de soi

Face au cancer, les patientes sont à la recherche d’une prise en charge globale qui intègre une approche psychocorporelle basée sur le «prendre soin de soi» tout au long du parcours de la maladie. Dans le cadre d’entretiens, elles relèvent que prendre soin de soi peut faire partie du traitement, notamment du fait des bénéfices physiques et psychiques qu’elles ont éprouvés.

Les ateliers de soins onco-esthétiques proposés par Belle & Bien sont orientés dans ce sens et contribuent à retrouver un bien-être général. En effet, le réinvestissement du corps, non plus comme un objet de souffrance et de trahison mais comme un objet de sensations plaisantes, permet une meilleure gestion de la toxicité des traitements. Il constitue également un apport dans l’instauration d’une nouvelle contenance corporelle et psychique grâce au recours au toucher direct de la peau et à l’instauration d’une dynamique de groupe.

Ainsi, les soins esthétiques pendant la maladie peuvent avoir une influence sur

• l’image corporelle : c’est-à-dire sur la façon dont le corps est vécu et perçu par tous les sens,

• le travail de la maladie réalisé par les patientes devant vivre avec la maladie, et les objets de la maladie et des soins dans leur quotidien,

• et être un support de l’observance, notamment en soutenant la mobilisation des patientes dans les soins.

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Au cours de ces entretiens semi-directifs, deux grandes thématiques ont émergé : la première autour des transformations du corps, la deuxième autour de l’importance que revêt la participation aux ateliers onco-esthétiques et l’émergence de l’expérience de bien-être retrouvé.

Les transformations du corps

Le premier thème évoque le discours des femmes face à l’effraction de la maladie dans leur corps et dans toutes les sphères de leur vie. Cette effraction est vécue comme un traumatisme au cours duquel les participants à l’étude ont exprimé leurs difficultés à entrer dans cet épisode de la maladie, leur expérience d’une certaine errance avant de pouvoir se reconnaître «malade».

De plus, le corps est vécu comme porteur de souffrance et “d’inquiétante étrangeté “avec une perte de contrôle sur ce corps à l’origine de la trahison.

L’impression d’être une femme et non plus une malade

Cela engendre une forme de passivité et une mise en avant des limites du corps, liées à la maladie elle-même mais aussi aux traitements. Le champ lexical de la monstruosité, de l’effroi et de l’horreur démontre cette subjectivité et signe l’instauration du travail de la maladie, comme l’énonce Pedinielli, en abordant la question de la représentation du corps et/ou de l’organe dans la maladie.

Le bien-être retrouvé

La deuxième thématique porte sur les apports des ateliers onco-esthétiques et la façon dont ils permettent aux femmes de se réapproprier quelque chose d’elles-mêmes, à la fois dans leur corps, mais aussi dans le regard intérieur et extérieur : «apprendre à connaître son visage pour le mettre en valeur est très agréable», «on oublie pour un instant sa maladie et on se sent à nouveau une femme», «un atelier qui donne envie de prendre soin de soi».

Les ateliers sont évoqués comme une possibilité de remettre en mouvement une forme de prendre soin/bien-être qui est délaissée au profit du soin curatif. De plus, le caractère collectif met en exergue une certaine sororité dans l’adversité : «“L’effet groupe “ : voir les autres se transformer m’a permis de croire que moi aussi, je pouvais…».

Ce “prendre soin “est porteur d’une combativité retrouvée, d’une action délibérée pour prendre soin de soi à nouveau, et de résilience : «ce bon moment où enfin on s’occupe de notre apparence, si malmenée».

Ces recherches ont permis de faire émerger une corrélation entre le vécu des patientes et la littérature.

Conclusion

Les soins onco-esthétiques permettent un travail sur l’image de soi de telle façon que le corps, l’estime et la confiance en soi puissent être réinvestis positivement. De plus, le “prendre soin “, redécouvert au cours de l’atelier, permet aux participantes de sortir d’une passivation imposée au profit d’un processus de résilience et d’affirmation de soi qui seront peut-être un point de départ à l’observance nécessaire pour faire face à la lourdeur des traitements.

Le positionnement des participantes est, alors, beaucoup plus revendiqué et porteur d’une recherche de bien-être physique et psychique par le recours à un “prendre soin de soi “. «Tout était douceur, professionnalisme, l’impression d’être une femme et non plus une malade.»