Ma vie de formatrice internationale (1)

Anne-Sophie Roger, Formatrice Conceptrice Internationale pour Sisley

Cela fait dix ans que je travaille dans l'univers de la beauté dont six années en tant que formatrice. J'ai occupé le poste de formatrice France pour le groupe Shiseido durant plusieurs années et depuis peu j'ai rejoint Sisley, au sein du pôle international. 

Certaines esthéticiennes ont parfois une image d'Épinal de ce que peut être la formation à l'international. Est-ce que cette image reflète la réalité ? 

C'est un métier de passion comme beau­coup de branches dans l'esthétique. Les missions sont riches et variées. Le plaisir de transmettre est un élément moteur essentiel dans notre évolution profes­sionnelle. Et au-delà de cela, notre rôle premier est de trouver les bonnes straté­gies, les bons leviers en fonction de nos interlocuteurs (conseillères de beauté, esthéticiennes, retailers, indépendants, etc.) pour leur apprendre à déclencher l'achat en point de vente. En fonction du public, nous devons savoir adapter notre discours, ainsi que nos formats de formation (blended learning). Cela de­mande au formateur une grande capacité d'adaptation. Au fur et à mesure de mon expérience de formatrice, j'ai développé des techniques pour m'adapter à chaque type de professionnel.

Quelles sont les difficultés liées à la formation à l'international ? 

La compréhension des besoins de chaque marché est le pôle le plus complexe à assimiler. Les différences culturelles font que l'assimilation des messages est différente et il faut donc les adapter en fonction des cultures de chaque pays. Nous apprenons avec le temps à créer des messages diffé­rents afin de susciter l'enthousiasme autour d'un produit ou d'un protocole en fonction du marché et des habitudes de consommation. Par exemple, sur le marché européen, les routines beauté sont souvent courtes et les consommatrices n'utilisent que quelques produits dans leur quotidien. Tandis qu'en Asie, le soin fait partie intégrante de la culture, les rituels sont plus longs et complets, avec une dizaine de produits uti­lisés chaque jour. 

Quel est votre quotidien ? 

La semaine type d'un formateur est difficile à définir et c'est ce que tout formateur aime dans ce métier! Les missions sont très riches et diversifiées. Dans les maisons pour lesquelles j'ai travaillé, nous avions la chance d'avoir un centre de formation à Paris, où nous recevions les marchés étrangers ainsi que les conseillers français. Il y a toutefois des déplacements à l'étran­ger qui représentent entre 20 et 30 % du temps de travail. Dans notre équipe de formateurs, nous avons la chance d'être assez nombreux, avec différentes spécialités. La répartition des missions se fait de manière très équilibrée. Finalement, le rythme de travail se marie parfaitement à une vie personnelle. 

Pouvez-vous nous donner un exemple de mois, de semaine de formation ? 

Mon premier mois de l'année 2023 a été rythmé par des journées de préparation de contenus de formation pour des lancements de nouveautés, ce qui implique des réunions avec différents services (marketing développement, merchandi­sing, et le directeur de la formation). J'ai pu également animer un séminaire durant une semaine à Paris, puis réaliser une for­mation digitale répartie sur 5 matinées. 

Quel est votre meilleur souvenir en tant que formatrice internationale ? 

Ce sont les moments de partage que l'on peut avoir soit au travers des séminaires, soit lors de soirées de lancement produit. J'ai pu vivre de grands évènements qui étaient organisés dans de très beaux lieux, avec une très belle scénographie et de belles surprises pour nos in­vités. Nous y convions la presse, nos conseillers, nos responsables retailers... Ce sont pour moi des sou­venirs marquants car cela a permis de fédérer les équipes du groupe. Ce genre d'évènement demande de la préparation pour tous les services car tout doit être parfait ou presque. Tel un chef de projet événementiel, mon rôle est de coordonner les évè­nements. Beaucoup de paramètres sont à prendre en compte, comme : 

- s'assurer de la bonne communica­tion sur l'évènement,

- la sélection de la décoration des espaces,

- la sélection de la restauration avec le traiteur,

- briefer les prestataires qui couvrent l'événement (vidéastes, photographes ... ), 

- la création et la représentation des animations lors de la soirée,

- le suivi budgétaire...

C'est un moment très fédérateur pour les équipes et l'équipe forma­tion elle-même.

Quelle est LA qualité indispensable pour devenir formatrice internationale ? 

Il est difficile de n'en donner qu'une seule ! Je dirais la passion car c'est un métier où l'on donne énormément de soi. Certains discours ou gestuelles sont travaillés et répétés pendant plu­sieurs semaines, voire plusieurs mois, pour être bien exécutés et partagés de la manière la plus intéressante possible. Nous visons la perfection pour capter l'auditoire et transmettre les éléments clés pour que les conseillers performent sur le terrain et offrent une expérience client inoubliable. C'est en ce sens que je pense qu'il faut avant tout être passionnée. Il faut ajouter à cela l'aisance d'élocution, le sens de l'organisation et du détail. 

Avez-vous un conseil à donner aux futures esthéticiennes en formation ou aux esthéticiennes en place qui aimeraient s'orienter vers la formation à l'international ? 

Que ce soit pour un poste de formateur local ou à l'international, peu importe si on commence avec un métier qui n'est pas celui dont on rêve, il faut se donner les moyens dès le départ de réussir. En s'in­vestissant dans toutes les missions que votre société vous proposera de réaliser, mêmes si celles-ci ne vous correspondent pas aujourd'hui. Donnez le maximum pour atteindre les objectifs fixés, vous démontre­rez un véritable engagement envers votre marque. Il faut savoir que lorsque l'on est formateur, nous ne sommes que partiellement «nous-mêmes». Que ce soit pendant un stage d'étude ou un travail à temps plein, il faut se donner les moyens, comprendre l'or­ganisation de l'entreprise et faire l'effort d'adhérer à l'image de la maison pour en représenter au mieux ses valeurs. Lors des formations, nous devons repré­senter avant tout les codes de la marque. C'est en partie cela qui m'a permis de grandir et d'atteindre le poste qui me correspond aujourd'hui. 

Vous êtes amenée dans votre quotidien à rencontrer différents profils d'élèves, auriez­vous un conseil à leur faire passer pour se préparer au mieux à suivre une formation ?

Avant une formation, il ne faut pas hésiter à effec­tuer quelques recherches pour s'intéresser au thème de celle-ci, sourcer quelques notions sur le contexte, initier sa propre culture «benchmark», aller réguliè­rement dans différentes enseignes de cosmétiques afin d'être à jour sur l'actualité. La cosmétique est un secteur très dynamique et sans cesse en dévelop­pement, c'est donc une partie à ne pas négliger. À l'issue de la formation, la connaissance des produits et de l'expérience doit être acquise. Notre objec­tif en tant que formateur est que nos élèves soient conquises et convaincues. Car nous le savons, à par­tir du moment où l'on aime quelque chose, il est bien plus facile de vendre ou de le transmettre. 

Y a-t-il des différences en termes de connaissances et de savoir­ faire en fonction des pays ? 

Oui, nous le ressentons sur certains marchés. En France, nous avons la chance d'avoir de nombreux et bons établissements de for­mation, et également d'avoir des normes relativement strictes dans ce domaine. Les es­théticiennes formées en France ont souvent un niveau plus élevé que les esthéticiennes formées dans d'autres pays d'Europe ou du monde. La France est donc plutôt une bonne référence. Les notions de base dans cer­tains pays sont moindres par rapport à celles dont disposent les esthéticiennes formées en France. Ces dernières souffrent beaucoup du syndrome de l'imposteur. Je pense que cela est en partie dû à nos standards d'exigences qui sont plus élevés que dans d'autres pays. De plus, les notions sont en perpétuel renou­vellement, les techniques de soin évoluent, les connaissances cutanées et les formules sont de plus en plus complexes. 


Céline Philibert, Formatrice internationale pour Nature Cos, pour les marques Green Skincare, Miss W Pro et Couleur Caramel

 Je travaille pour Naturecos depuis 7 ans, dont 4 ans et demi à l'export. Je forme dans une soixantaine de pays. 

Est-ce que l'image que vous aviez 

du métier correspond à la réalité ? Globalement oui. Je voyage régulièrement, comme je m'y attendais. J'attendais de pou­voir aller à la rencontre des équipes des formateurs, des commerciaux et des distribu­teurs, de partager des temps forts avec eux et cela est bien le cas ! Et puis, en dehors du temps de travail, beaucoup de pays m'invitent le soir à visiter la ville ou à aller au restaurant. Cela va donc au-delà du côté professionnel. C'est quelque chose auquel je m'attendais et qui est très agréable. 

Y-a-t-il des difficultés particulières auxquelles vous faites face ? 

Pour ma part, cela va se traduire au niveau de la barrière de la langue. Je parle couramment l'anglais, je com­prends l'espagnol, mais on se rend compte, une fois sur place, que certains pays ne parlent pas correctement anglais et qu'ils ne parlent pas d'autres langues... De ce fait, je suis contrainte d'adapter mon lan­gage, utiliser un anglais très simple et parfois mimer ! Le but étant que les formés comprennent au maximum mon message. Au final, j'arrive toujours à me faire comprendre !

Le rythme est-il tenable ?

Cela dépend des périodes. Je peux être amenée à voya­ger jusqu'à deux ou trois fois dans le mois. Depuis le Covid, beaucoup de choses se font en visio. Par exemple, dans le cas de certains pays qui sont nos distributeurs depuis de nombreuses années et dont les équipes bougent beau­coup, je peux être amenée à expliquer à leurs nouveaux collaborateurs l'ADN de la marque et les produits en visio. Je me déplace lorsqu'il y a un réel intérêt comme l'arri­vée d'un nouveau pays parmi nos distributeurs et donc le lancement de la marque là-bas. Les voyages représentent entre 40 et 60 % de mon temps. 

Quel est votre meilleur souvenir ? 

Il y en a tellement! J'ai de très beaux souvenirs dans tous les pays. Lorsque je me rends dans un pays, je me sens comme une princesse. On m'attend, on me chouchoute, on me réserve des hôtels superbes, on m'invite dans de bons restaurants, on me fait visiter la ville... Il y a comme une reconnaissance du fait que je me déplace et que j' ac­corde du temps au pays et aux équipes. 

Quelle est LA qualité nécessaire pour devenir formatrice internationale ? 

Il faut être ouverte d'esprit. Nous sommes confrontées à différentes cultures, et c'est à nous de nous adapter pays par pays. Par exemple, dans certains pays méditerranéens, lorsque j'indique que la formation commence à 9h30, elle ne débutera réellement qu'à 11 h00. Ce n'est pas grave, il faut s'adapter et être patiente. 

Avez-vous un conseil à donner aux esthéticiennes ou aux élèves qui aimeraient devenir formatrices internationales ? 

Il faut toujours exercer ce métier avec passion. Certains sacrifices sont par­fois nécessaires. Par exemple, si un pays a besoin de nous pour un lancement sur telle semaine et que vous avez déjà quelque chose de prévu dans votre vie personnelle, il est nécessaire de prio­riser le travail. Je suis passionnée, nos distributeurs font partie de notre famille professionnelle, il faut donc savoir être disponible pour eux. Il faut également être dégourdie. Lors de mon dernier voyage en République Tchèque, j'ai raté ma correspondance d'avion à cause d'un problème de la compagnie aérienne. Je suis restée bloquée à Düsseldorf, en Allemagne, j'ai dû me débrouiller. Avec des inconnus de l'avion, nous avons loué une voiture et avons fait les 900 kilo­mètres en pleine nuit... Il ne faut donc pas avoir peur d'être confrontée à l'imprévu. 

Qu'attendez-vous des personnes que vous formez ? 

En tant que formatrice, il faut toujours s'adapter à l'audience. Je vais faire en sorte de mettre à l'aise tout le monde et cela passe par des piqûres de rappel, par exemple, si cela est nécessaire. J'attends simplement que les personnes soient dans une écoute active. Mis à part cela, c'est au formateur de faire le reste afin que la formation se déroule le mieux pos­sible. S'il faut répéter, on répète ! 

Y a-t-il des différences de savoirs entre les pays ? 

Tout à fait. Nous avons différents distri­buteurs, dont certains pour lesquels la cosmétique est quelque chose de nou­veau. Il faut encore une fois s'adapter et former des personnes qui ne sont pas sensibles à la cosmétique ou à l'univers du bio. Parfois, je dois expliquer ce qu'est le bio, quels sont les labels... Par exemple, notre distributeur au Viêt-Nam était plutôt spécialisé dans l'alimenta- tion. Ce businessman a compris que le marché cosmétique pouvait être intéres­sant et notamment le bio puisque le bio au Viêt-Nam n'existe pas. À lui ensuite de s'entourer des bons collaborateurs. Au Japon, le bio est tout récent également. 


Justine Marchant, Formatrice internationale Thalgo

Je peux être amenée à former dans les 90 pays où est implantée la marque Thalgo. J'ai environ six ans d'ex­périence dans la formation à l'international. 

Est-ce que le métier correspond à l'image que vous vous en faisiez ?

Oui, même si je n'avais peut-être pas réalisé la dureté réelle de ce métier comme les déplacements qui peuvent se suc­céder avec parfois peu de temps pour bien tout organiser, cela demande une vraie organisation logistique. Il y a aus­si la fatigue psychique car on parle une langue qui n'est pas notre langue maternelle et qui demande beaucoup de concentration pendant toute la durée du séjour, c'est éga­lement une difficulté à laquelle je n'avais pas pensé. 

Le rythme est-il tenable ? 

Le rythme varie en fonction des demandes des distribu­teurs, du plan marketing et des lancements à venir, dans l'ensemble il est tenable. Je n'excède jamais 15 jours de déplacement. La marque organise les déplacements en fonction de la zone géographique, par exemple, je suis en Corée actuellement et mon prochain déplacement sera en Europe pour limiter les effets jet-lag dus aux dé­calages horaires... Nous accueillons également beaucoup à notre siège, dans le Var. Malgré tout, les déplacements à l'étranger représentent entre 60 et 70 % de mon temps de travail. 

Quel est votre meilleur souvenir en tant que formatrice internationale ? 

Entre septembre et novembre 2022, nous avons eu quatre sessions formation pour les distributeurs. Chaque ses­sion s'est toujours très bien passée, j'ai même eu droit à une Ola. À la fin de chaque session, nous remettons les diplômes, cadeaux, etc., et à ce moment, l'un de nos distri­buteurs les plus exigeants m'a fait des éloges. Puis à tour de rôle, ils se sont succédé avant de tous se lever et applaudir. Après seulement quelques mois au sein de la marque, face à plusieurs distributeurs présents depuis de nombreuses années, cela fait plaisir de se sentir compétente et remer­ciée dans un laps de temps aussi court. 

Quel est le secret d'un bon formateur ? 

Soyez vous-même, sincère et travaillez votre patience et votre pédagogie ! Aimez voyager car parfois on part long­temps et on enchaîne plusieurs déplacements dans un laps de temps court. Savoir s'organiser et être autonome sont également très importants pour mieux gérer son agenda. 

Auriez-vous des conseils à donner aux esthéticiennes qui aimeraient devenir formatrice internationale ? 

Voici mes conseils : 

• Être passionnée. Sans cette réelle envie de vouloir atteindre mon objectif de carrière, je ne serais pas là où j'en suis aujourd'hui ! 

• Travailler dur. J'ai sacrifié beaucoup de choses pour en arriver là : des sorties, des évènements en famille, j'ai travaillé les week-ends et jours fé­riés, connu des semaines de 45 heures...

• Apprendre constamment. Il ne faut pas res­ter sur ses acquis, il faut vouloir se dépasser et progresser. J'ai acquis mon niveau d'anglais grâce à mes expériences en hôtellerie mais aussi parce que sur mon temps personnel, j'ap­prenais via des films et séries en VO, lisais des livres en anglais, etc.

• Travailler sur ses points faibles. Pour ma part, je n'ai jamais été une scientifique et pour­tant, aujourd'hui j'adore expliquer en détails et faire comprendre aux autres comment un pro­duit agit, grâce à ses ingrédients et à la synergie au niveau des cellules et de la peau. 

• Remonter en selle. Les erreurs ça arrive, nous sommes des êtres humains et ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ! Soyez indulgente en­vers vous-même. 

• Ne laisser personne vous dire que vous n'y arriverez pas. J'ai souvent entendu ce genre de phrases au cours de ma jeunesse, et aujourd'hui, je suis ravie de pouvoir leur démon­trer le contraire. Ayez confiance en vous et en vos compétences! Depuis mes 14 ans, je savais que je voulais travailler dans l'esthétique, mais ce sont surtout les remarques des professeurs ou des personnes de notre entourage qui nous amènent à douter de nous et de nos capacités. J'ai dû aller à l'encontre de mes propres parents car pour eux je méritais mieux que d'être «juste esthéticienne». Aujourd'hui, je suis heureuse de m'être écoutée, de m'avoir fait confiance, et de leur avoir montré que d'un a priori on peut aller très loin.

Y a-t-il des différences en termes de savoirs dans le monde ? 

Selon certains pays, les diplômes sont parfois plus poussés. Par exemple, les pays de l'est ont souvent un diplôme médical pour faire de l'esthétique et ont des connaissances assez poussées sur la cosmétologie et la biologie. Aussi, en Corée et au Japon, l'esthétique oc­cupe une place très importante. De ce fait, les Japonais sont très en demande d'informations sur le comment, pourquoi et quoi, avec parfois des détails que seul notre R & D est en mesure de nous indiquer. Il peut s'agir d'une question sur un actif, sa provenance, le procédé de culture, d'extraction, son pourcentage dans la formulation, etc. Les pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou l'Irlande ont des gammes de cosméceutiques très développées. Ils pos­sèdent de nombreuses connaissances sur les peelings médicaux. De ce fait, ils s'y connaissent très bien en termes d'AHA/BHA/PHA.