Ma clientèle est 100% masculine !

Je travaillais dans le milieu de la publicité, j'ai fait un bilan de compétences suite à un burn-out, et l'esthétique est apparue comme une évidence. J'ai donc passé un CAP Esthétique en un an, en 2013. En parallèle, j'ai suivi une formation en massage avec un kinésithérapeute et une formation de spa manager. Et les week-ends, j'allais travailler dans un hammam pour gagner en pratique. 

Être salariée pour acquérir de l'expérience 

Après mes études, j'ai voulu réaliser mon rêve : travailler sur une île, au soleil. C'est ainsi que j'ai travaillé pendant trois ans à Mayotte. Durant ces trois années, je me suis perfectionnée dans ma technique et ma rapidité d'épila­tion et aussi dans la puissance de mes massages. Au bout de six mois sur place, je suis même devenue gérante de l'institut ! 

Le besoin d'en savoir plus sur la clientèle homme

C'est fin 2017 que je suis rentrée en métropole. J'avais envie de créer mon entreprise mais je n'avais pas les fonds nécessaires. De plus, je souhaitais me spécialiser dans la clientèle homme, mais il fallait pour cela que j'acquiers de l'expérience avec cette clientèle. J'avais remarqué, que ce soit en France métro­politaine ou à Mayotte, que les hommes étaient très en demande de soins qui leur soient dédiés. Or, très peu d'offres étaient proposées... Alors j'ai cherché un poste d'esthéticienne dans un insti­tut s'adressant à cette clientèle. J'ai ainsi été embauchée pour un CDD de 8 mois. J'ai donc pu me familiariser avec la clien­tèle masculine et apprendre l'épilation du maillot intégrale qui est finalement la seule différente par rapport aux femmes. Et à la fin de mon CDD, je me suis sentie prête pour créer mon entreprise. 

Kitoko, institut de beauté dédié aux hommes

J'ai ouvert mon Institut Kitoko, en mai 2019, à Rennes. Je travaille seule. Mon espace de 36 m2 est compo­sé d'une cabine et d'un espace accueil. Le concept de l'institut est centré sur la clientèle masculine, cela est noté dès mon accroche : «Kitoko, la beauté des hommes». Il peut arriver que je dispense des soins à des femmes mais ce sont en général les compagnes de mes clients. Je propose les soins esthétiques tradition­nels : des épilations (toutes zones), des massages, des soins visage personnali­sés, des soins des mains et des pieds, et des gommages corps. Je ne fais que du manuel. J'ai fait le choix de ne travailler qu'avec des marques françaises : 66°30 (marque française de cosmétiques bio, pour homme, spécifique visage), BeautyMed (marque bre­tonne avec des produits naturels), Nominoë (marque bre­tonne pour le visage et le corps). 

Déconstruire les stéréotypes

Lorsqu'il s'agit de la clientèle homme, généralement, les esthéticiennes ont des idées reçues du type : «Un homme qui vient en institut est un pervers», «Ce n'est pas normal pour un homme de vou­loir épiler son maillot», etc. Mon but, à travers le concept de mon institut, est de démocratiser l'esthétique. Nous vivons dans une société fondée sur un modèle patriarcale, c'est donc à nous aussi de changer cela.

Si nous voulons être à éga­lité avec les hommes, il est nécessaire de leur proposer des soins auxquels ils n'ont «soi-disant» pas le droit. 

La clientèle homme : une clientèle fidèle au profil varié

Les hommes sont très fidèles à leurs commerçants, à leurs bonnes adresses. Ilachètent pour des besoins spécifiques comme un contour des yeux car ils ont remarqué des rides, des poches à cet endroit... En revanche, il faut que la ré­ponse soit immédiate et surtout que cela fonctionne! Ma clientèle s'étend de 16 à 94 ans, ce sont des hommes actifs ou des retraités, principalement des CSP +. J'ai aussi des clients avec de petits revenus mais pour qui le bien-être est important pour leur épanouissement personnel. Il y a aussi des hommes qui viennent pour la première fois, après une rupture ou une nouvelle rencontre, dans ce souffle : nou­velle vie, nouvel homme, un homme plus ouvert d'esprit.  

Attirer les hommes en institut

Souvent, les hommes pensent que l'ins­titut est un domaine qui ne leur est pas dédié. J'ai réussi le pari de n'attirer que des hommes. 

Une décoration non genrée

Pour les attirer, cela passe par la décoration. Ainsi, j'ai décoré mon institut dans des tons neutres beige, écru. Le sol est en pierre, dans des tons de marron. Il n'y a que mon logo qui est bleu canard. 

Une communication ciblée 

Je communique beaucoup sur les réseaux sociaux. En sto­ry, je poste des informations concernant les disponibilités, notamment les créneaux pris rapidement : pause du midi et soirée, j'ai en ce moment plus d'un mois d'attente ! Je poste sur les nouveautés, les soins spécifiques (le peeling par exemple), les marques, les actifs, je formule des propo­sitions de soin, etc. Lorsque j'ai ouvert, j'ai mis en place une campagne d'affichage dans le centre de Rennes. Je travaille avec un directeur artistique spécialisé dans les codes du luxe, Jean-Charles Guillet. C'est lui qui a créé mes affiches. J'ai voulu contrer les codes traditionnels de la communication. Par exemple, pour vendre un gel douche, on choisit généralement un corps de femme nu, cela me choque et je ne comprends pas le concept... Alors, pour promouvoir mon concept, j'ai fait le choix de mettre des torses nus d'hommes, une moitié du torse avec des poils et l'autre épilée. Cela a beaucoup inter­pellé. J'ai également fait le choix de mettre en avant le torse d'un homme noir, ce qui est très rare... Cette communication a cartonné ! Au quotidien, je mets en avant les offres du mo­ment dans ma vitrine. 

S'adresser aux hommes

Les clients qui viennent me voir n'y connaissent en majorité pas grand-chose en termes de soins et de cosmétiques. 

Amener les hommes vers des prestations soin et/ou détente 

La majorité de mes clients viennent dans un premier temps pour une épilation comme celle du dos. Et puis, ils se rendent compte qu'il y a quelques soins à réaliser chez soi pour en­tretenir une épilation. Ensuite, ils vont prendre l'habitude de se faire épiler le dos et vont vouloir tester un massage. Leur conjointe vont leur offrir un soin du visage, ce qui va les amener vers le soin... Certains viennent pour un massage suite à un cadeau et ne sont pas très à l'aise. Mon objectif est de leur donner envie de revenir et, sans prétention, cela fonctionne dans 98 % des cas ! 

Les hommes se confient en cabine, comme les femmes !

Finalement, les hommes sont des clients comme les femmes, je leur parle en toute franchise. Je leur fais comprendre, tout comme pour les femmes, que c'est leur moment à eux et qu'ils peuvent communiquer en toute bienveillance avec moi. Beaucoup viennent à l'institut juste pour avoir un moment pour se poser, parler. Certains se confient au même titre que les femmes. En revanche, cela nécessite davantage de mise en confiance par rapport à une femme. Je leur pose beaucoup de questions à propos de leur vie, leurs vacances, leur famille, leur travail, leurs hob­bies... J'apprends à les connaître, je retiens, et au prochain rendez-vous, je rebondis sur la conversation précédente, ou bien nous parlons de l'actualité. J'es­saie vraiment de mettre le client à l'aise, de m'intéres­ser à lui. C'est très gratifiant pour moi de savoir que mes clients me font confiance et se confient à moi. Je n'ai jamais eu de problème en cabine avec mes clients, contrairement à ce que l'on pourrait croire. 

Une clientèle qui achète 

La clientèle homme est très fidèle à son commer­çant. Lorsque les hommes ont trouvé un produit qui leur plaît et qui leur convient, ils vont le racheter. Les hommes sont très réceptifs aux échantillons. Pendant les vacances par exemple, c'est l'occasion de tester plusieurs doses lors de leur séjour. Ils sont très francs dans leurs retours. Certains sont à l'affût des nou­veautés. De façon générale, la vente fonctionne bien dans mon institut, je réalise environ 15 % de vente. 

Une clientèle passionnante 

Je travaille beaucoup et j'aime ça ! Je travaille du lundi 13h au samedi 16h. Je reste ouverte le soir jusqu'à 19h30 et souvent jusqu'à 20h, voire 21h en été. Je me donne les moyens pour satisfaire ma clientèle et me faire connaître. Mon taux horaire n'est pas élevé mais je suis fière de mon parcours et cette année je vais m'augmenter de 200 euros ! Je suis patiente, j'ai l'énergie et l'envie de toujours faire mieux et grandir. 

Je ne lâcherais ma clientèle homme pour rien au monde ! Les hommes sont très sym­pathiques, je ris avec eux et c'est très impor­tant dans notre métier d'avoir une très bonne entente avec sa clientèle. Il n'y a rien de mieux pour faire le plein de motivation au quotidien! La clientèle féminine est beaucoup dans le jugement, elle pense qu'elle saura toujours mieux que l'esthéticienne... Je n'ai pas ce problème avec mes clients. 

L'avenir de la clientèle masculine en institut

Je pense que la clientèle homme va de plus en plus se développer en institut. Il faut que les esthéticiennes se forment à cette clien­tèle, que l'on créé des lieux pour les hommes. Les instituts sont très genrés, rose poudré, même pour les femmes c'est un peu lassant... Lorsque je vais en formation, de nombreuses gérantes s'interrogent sur ce que je fais et me posent des questions. D'autres sont cho­quées par le fait que je suis spécialisée dans les hommes et m'insultent presque... Après, c'est une clientèle qui peut ne pas corres­pondre à tout le monde, cela dépend de la personnalité de l'esthéticienne. 

Message aux esthéticiennes

Je pense que ce serait une bonne chose d'ouvrir davantage la profession aux hommes et d'être moins dans les clichés. Il ne faut pas oublier que l'on vend du rêve ! Nous sommes une profession respectable, il est temps d'avoir confiance en nous et arrêter de nous sous-estimer. Ce n'est pas parce qu'on est «une simple esthéticienne avec un CAP» que l'on doit rester au SMIC toute sa vie ! Nous faisons partie de la vie de nos clientes et de nos clients, ne l'oubliez pas. Valorisons notre profession afin de les valoriser aussi !