L'audacieuse renaissance des Parfums Cherigan
par Frédérique LEBEL
Les parfums “restent encore longtemps, comme des âmes... à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir”, écrivit Marcel Proust (in Du côté de chez Swann, 1913). C’est l’âme des parfums Cherigan que Luc Gabriel, après de patientes recherches, transmet à travers des fragrances retrouvées, mais aussi des créations contemporaines inspirées de l’électrique et éclectique atmosphère des Années Folles.
Des parfums à l'heure d'hier
Cette maison de parfum, sise au 120 Champs Elysées, offrait aux promeneurs de l’époque une boutique où le nom s’étalait sur la devanture : Cherigan. Un nom simple, facile à retenir, qui évoque à la fois l’amour (cher, chéri) et sous-entend discrètement le métier de gantier que les parfumeurs exerçaient parallèlement jusqu’à la fin du XVIIIème siècle (la corporation des gantiers-parfumeurs fut dissoute en 1791 après la Révolution Française par la loi Le Chapelier). Dans les années 1920-1930, le temps est béni pour les parfumeurs, de plus en plus associés aux luxueuses maisons de mode (Chanel, Patou, Poiret, Lanvin...). Avant le fameux krach boursier, le plaisir est roi, l’euphorie de l’après-guerre se manifeste dans une explosion de couleurs, la naissance du cubisme, les surfaces réfléchissantes, les cuirs riches, les éclairages indirects. Les femmes ôtent leurs corsets, coupent leurs cheveux «à la garçonne». Elles fument, aiment à se retrouver dans les brasseries du quartier Montparnasse, font valser leurs longs colliers au rythme du charleston.
Tabac, Rumba, Cuba...
Dans une grande effervescence intellectuelle et culturelle, les années 20 voient naître l’attrait de l’exotisme, des voyages et de l’aventure. On commence à traverser l’Atlantique en paquebot, on découvre le jazz, les cafés-concerts de la Belle Epoque laissent place au music hall, Satie surprend avec ses audaces rythmiques, Ravel compose son boléro. Le cinéma, lui, devient parlant. Et pendant ce temps là, Cherigan lance sa succursale à La Havane, et ses trois premiers parfums : «Mascarades», «Chance» et «Fleurs de Tabac». Le tabac joue alors la star chez les parfumeurs. C’est le temps des créations de «Tabac Blond» (Caron 1919) évoquant le tabac doux et sucré de Virginie (un ambré cuiré ne contenant aucune fleur de tabac), d’«Habanita» (Molinard 1921), premier parfum oriental féminin à utiliser le vétiver. Indissociable de cet engouement pour le tabac, Cuba est dans les années 20 synonyme de boîtes de nuit, casinos, fringants jet-setters tout de blanc vêtus, clubs de golf prestigieux, et d’une toute nouvelle danse : la rumba. Sur ces nouveaux accords, nés dans les plantations de sucre de canne de l’île, apparaît un parfum à succès : «La Habana Cuba», signé Cherigan, bien sûr.
«Tenir un mythe entre ses mains...»
«J’ai découvert Cherigan dans les archives de la parfumerie. En discutant avec les collectionneurs, les blogueurs, les parfumeurs, en fouillant dans les sites d’enchères en ligne, j’ai pu retrouver des flacons mythiques de la maison, pour certains dans un parfait état. J’en ai même trouvé un avec son émaillage en or pur, un témoignage vivant des Années Folles. Tenir un mythe entre ses mains est tellement émouvant» confie Luc Gabriel.
Dans les années 20, certains flacons Cherigan sont fabriqués par les Cristalleries de Nancy. L’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925 a en effet stimulé les verriers de l’époque qui désirent donner une identité visuelle aux parfums. Pour le renouveau de la marque, Luc Gabriel a créé le design des flacons de 100 ml, dont le fond est laqué d’une couleur unique selon chaque fragrance. Le tube plongeur du spray est invisible afin que cette couleur puisse se réfléchir sans limite. Les petits flacons de 15 ml, contenant les extraits de parfum, sont inédits. Ils ne sont pas équipés d’un spray mais d’un système de diffusion qui renouvelle le geste ancestral de déposer une ou deux gouttes de par- fum sur les endroits les plus chauds et discrets de la peau. Prix : 100 ml : 128 €, 15ml : 52 €.
Iconiques «Fleurs de tabac»
Premier parfum Cherigan, il se devait d’être aussi le premier à être réédité. Composé à 90% d’ingrédients naturels, il marie bergamote d’Italie, jasmin, rose, benjoin de Siam, cèdre de Virginie, bois de santal, fève tonka, labdanum, vétiver, muscs. Ce jus délicieusement poudré et musqué se rapproche de la fragrance originelle qui a été analysée avant d’être reconstruite en respectant les exigences européennes des compositions parfumantes. «Fleurs de Tabac» sera prochainement suivi par deux autres jus iconiques : «Jupons» et «Mascarade».
Parallèlement à ces rééditions, Luc Gabriel propose d’autres parfums inspirés par la vie parisienne des années 20 :
- «The Purple Bar» associe orange, clou de girofle, labdanum, patchouli, vanille et baume de benjoin,
- «Iris Coffee» mêle iris, bergamote, benjoin, café, musc blanc et cardamome,
- «Edo Park» évoque le Japon tel que l’imaginaient les Européens au début du siècle dernier. Une image onirique et traditionnelle retranscrite par des notes d’agrumes, de pin de Sibérie et de cèdre de Virginie, d’osmanthus, de freesia et de bois ambré,
- «Or des Iles», composé d’ylang-ylang, jasmin, vanille, rose, agrumes et musc blanc, décrit olfactivement la luxuriance des lagons et îlots ourlés de mers turquoise,
- «Adhara Oud» célèbre le mystérieux bois de Oud, bercé par des agrumes, du patchouli, du safran, du géranium ainsi qu’un accord cuiré,
- «Lovers in Pink» rend hommage à Marc Chagall et sa série de portraits de son épouse et muse Bella. À l’image d’une bulle de champagne, cette délicate fragrance pétille sous un effet cassis - citron - gingembre, sur un fond boisé, illuminé de roses, de pivoines et de jasmin. Une déclaration d’amour à l’art sous toutes ses formes.
www.cheriganparis.com