Ne négligez pas la génération silver !

Conférence présentée par Régine Ferrère, au colloque PhysioBell' Vivre la ménopause autrement ! (octobre 2022)

Qui sont les séniors ?

Derrière ce terme très générique, la définition est très floue et variable selon les interlocuteurs. Une étude de l'INSEE indique même qu'être dans la catégorie Sénior pourrait débuter dès l'âge de 35 ans. Pour la plupart des études, on est senior à partir de 65 ans. 

Les sociologues parlent : 

- des baby-boomers pour ceux qui sont nés entre 1943 et 1959, dans une explosion démographique à la fin de la Seconde Guerre mondiale,

- de la génération X pour les hommes et les femmes nés entre 1960 et 1980.

En 2021, une femme française de 40 ans a une espérance de vie d'encore 45,3 ans contre 39,1 ans pour les hommes. À partir de 60 ans, elle peut espérer vivre 26,9 années de plus contre 22 ans pour les hommes. Ce n'est donc qu'à 51,5 ans qu'on se trouve à la moitié de sa vie d'adulte. Un paradoxe pour une société qui faisait du «jeunisme» son credo économique et social. Ainsi, d'ici pratiquement deux ans, la grande majorité de vos clientes seront des séniors. 

Combien sont-ils ?

L'INSEE fixe à 50 ans l'âge des seniors. Au 1er janvier 2018, la France compte 67187 millions d'habitants. Le vieillissement de la population française se poursuit. Les personnes âgées d'au moins 65 ans repré­sentent 19,6 % de la population, contre 19,2 % un an auparavant, et 18,8 % deux ans auparavant. Un Français sur trois aura 60 ans ou plus en 2035. Les seniors seront 20 millions en 2030 et près de 24 millions en 2060. Le nombre des plus de 85 ans pas­sera de 1,4 million aujourd'hui à 5 millions en 2060. En tant qu'esthéticienne, vous êtes donc sur un marché exponentiel ! 

La représentation des séniors dans la société

Au niveau des marques de cosmétiques 

Les femmes séniors ont été reléguées pen­dant longtemps au rang de grands-mères ou de «jolies grands-mères». 

Au niveau des marques de cosmétiques 

Les femmes séniors ont été reléguées pen­dant longtemps au rang de grands-mères ou de «jolies grands-mères». 

• Jane Fonda a été une pionnière en ac­ceptant en 2006 de faire la publicité de L'Oréal pour la ligne de cosmétiques «Age Perfect». Jane Fonda a 83 ans. Elle s'affiche avec ses rides, bien qu'elle ait subi quelques opérations de chirurgie. Elle dit: «Je suis la plus grande preuve possible que la beauté ne s'arrête ni à 30, ni à 40, et surtout pas après 50 ans!». 

• La marque Dove a mis en avant en 2007 des mannequins féminins et séniors, sans tabou. Dove est une marque qui met éga­lement en avant des femmes avec des ron­deurs. Tout simplement, la marque met en avant des personnes qui existent et non pas des personnes à l'apparence modifiée avec des logiciels !

• Il y a 10 ans, Inès de la Fressange rejoi­gnait l'écurie des égéries L'Oréal pour in­carner le fond de teint «Accord Parfait» et le soin anti-âge «Revitalift TR 1 0». À 65 ans, ce mannequin emblématique des années 80 est l'ambassadrice du chic à la française.

Au niveau de la presse 

On remarque que la tranche des moins de 45 ans est traitée dans Marie-Claire et Marie-France. La tranche des plus de 70 ans est traitée dans Pleine Vie et Notre Temps. Entre 45 et 70 ans, ces femmes n'existent pas! 

Au niveau de l'entreprise 

Le monde du travail a longtemps cherché à se débarrasser des seniors souvent consi­dérés comme trop coûteux et difficiles à manager... Les entreprises ont préféré embaucher des jeunes, plus souples, qui s'exécutent. Cette posture est devenue intenable au niveau économique. Il suf­fit de s'adresser à la plupart des artisans, plombiers, zingueurs, mécaniciens : tous sont unanimes sur le fait qu'ils ont perdu la génération intermédiaire des 50 ans qui formait les apprentis. 

Le cas des instituts de beauté 

Depuis ces dix dernières années, nous avons perdu petit à petit de l'expertise et ce lien intergénérationnel qui est essentiel dans la transmission des savoirs. En esthétique, nous répétons à nos élèves, à l'école, qu'une fois en institut, il sera rare pour elles de se retrouver avec des collègues de leur âge. Les membres de l'équipe auront des âges différents et il faudra que les choses fonctionnent tout de même. Or, nos élèves ne sont pas habituées à cela pendant leurs études. Elles ne s'exercent qu'entre elles. Dans la branche beauté, 43 % des salariés ont moins de 27 ans. Cela a été accentué avec l'augmentation de l'apprentissage. À l'autre extrémité de la pyramide, 4 % ont 55 ans et plus et ce sont majoritairement des chefs d'entreprise. Ces derniers s'inquiètent pour la passation de leur entreprise. En référence, les 55 ans et plus pèsent plus de 15 % de la population active (Source lnsee 2016). Si les séniors rencontrent des difficultés en entreprise liées parfois à la mobilité, ils peuvent être employés en tant que manager. 

Au niveau de la sémantique 

Bien que le dictionnaire français soit riche, un seul mot est utilisé pour nommer des individus d'âge différent : les séniors. Au ni­veau des soins, nous avons trois mots : anti-âge, pro-âge et happy aging. Ceci est la preuve que notre société éprouve des difficultés à prendre en compte les séniors. Pour les autres tranches d'âge, on va parler de : nourrisson, bébé, enfant, adolescent, jeune, puis d'adulte. Après 45 ans, nous avons un seul mot pour désigner les séniors, un seul mot ! Il est donc temps de travailler sur une sémantique appropriée. 

La tendance pro-âge exit l'anti-âge

De plus en plus de consommatrices décident de ne plus s'em­pêcher de vieillir et s'intéressent davantage au bien vieillir. Un changement de paradigme se dessine, peu à peu accéléré par les deux années Covid qui nous ont permis de réfléchir sur le sens de la vie. On parle de pro-âge ou de «happy aging». On accompagne désormais la beauté des femmes matures avec des produits adaptés à leur peau. On ne les fait plus rêver en leur faisant croire que leurs rides vont disparaître ! Enfin on n'hésite plus à s'adresser clairement aux séniors. L'offre la plus importante était celle de l'«anti-âge». Terme inadéquat car il nie le processus inéluctable de l'âge, alors que ce n'est pas l'âge qu'il faut combattre, mais les effets du temps qui passe qui sont à traiter. Pour certaines marques proposant de l'anti-âge, les publicités mettent en avant des femmes entre 30 et 40 ans. On commence aujourd'hui, timidement, à voir des visages de femmes de 60 ans.

Le rapport à la vie professionnelle et sociale

La vie professionnelle 

Entre 45 et 54 ans, les séniors sont encore dans la vie active. Les enfants sont grands. Les séniors ac­cèdent alors à une certaine aisance financière. Ils sont le plus souvent au sommet de leur carrière. Mais on remarque de plus en plus qu'ils sont obli­gés de subvenir aux besoins de leurs enfants. Les «Tanguy», ces jeunes, étudiants ou non, qui ne quittent pas le foyer familial, sont légion. 60 % des étudiants et 25 % des actifs de moins de 30 ans vivent toujours chez leurs parents. 

Les 55-65 ans sont dans une phase de transition entre la vie active et la retraite. Ils participent encore majoritairement au marché du travail. Ce phénomène a tendance à s'accentuer en rai­son de l'allongement des années de cotisations conjugué avec une entrée de plus en plus tar­dive dans la vie professionnelle. 

La vie sociale 

Les 65 ans et plus ont du temps libre, mais leurs revenus ont tendance à diminuer. Ils n'en­tendent toutefois pas s'isoler de la vie sociale. Ils voyagent, font des projets d'avenir, s'engagent dans le bénévolat ou l'humanitaire... Les seniors sont plus de 5 millions à être investis dans le mi­lieu associatif. Ils sont aussi un fervent soutien de la solidarité familiale. 

Les revenus et le niveau de vie des séniors 

Les revenus des séniors sont supérieurs à ceux des plus jeunes et à ceux de leurs ainés. Le ni­veau de vie des séniors est légèrement supérieur à celui de l'ensemble de la population. Les plus de 55 ans possèdent un patrimoine immobilier plus important, renforcé par l'épargne accumu­lée. Si on intègre ces éléments, on obtient une mesure du niveau de vie bien plus élevée. Les seniors assurent depuis 2015 plus de la moitié de la demande globale française 

- 64 % pour la santé,

- 60 % pour l'alimentation,

- 58 % pour l'équipement,

- 57 % pour les loisirs,

- 56 % pour les dépenses d'assurance.

La demande de produits et de services liés à l'autonomie et à l'aménage­ment du domicile devrait doubler d'ici 2035. Face à cette transition démo­graphique, les entreprises françaises devront s'adapter à ce nouveau marché en pleine expansion pour répondre aux besoins croissants des seniors.

Les séniors, les esthéticiennes et la vente

Cette situation est qualifiée de «septième ciel» par les économistes. Le marché des soins de bien-être et de beauté est le seul en France à bénéficier de cette situation. La valeur du marché mondial de la cosmé­tique est estimée à 425 milliards. L'Europe représente le foyer principal de consommation, avec un marché de 72 milliards d'euros. Le vieillissement de la population recèle de nouvelles opportunités de développement. En France, un produit cosmétique sur deux est acheté par une femme de plus de 55 ans, mais voilà, pas ou peu, en institut car la vente de cosmétiques en institut ne représente hélas qu'un faible pourcentage du chiffre d'affaires et c'est un gros problème. 

Analyse générationnelle

Chaque génération a son propre calendrier de vie. On constate une franche rupture entre les générations, en ce qui concerne la consommation des soins de beauté et de bien-être, rupture qui se traduit sous plusieurs aspects. 

Les femmes nées avant 1945 ne se sentaient pas concernées par la cosmétique et n'ont pas acquis, depuis, le réflexe «soin de soi». Pour ces femmes nées avant 1945, on n'observe pas d'effet d'apprentissage. Pour les générations nées après 1945, depuis celles qui ont connu mai 68 jusqu'à la «génération Internet», on note une très forte progression des dépenses de beauté au cours du cycle de vie. Les générations nées après 1945 ont intégré des notions très nouvelles par rapport aux générations précédentes : 

- (ré) appropriation du corps,

- montée assumée de l'hédonisme,

- approche holistique de la santé, 

- prise en charge sociale de la santé,

- augmentation du confort et du niveau de vie, 

- développement des voyages.

Ceux qui avaient entre 15 ans et 30 ans en 1968 ont aujourd'hui entre 55 et 70 ans. Nous sommes passés d'un concept de «beauté» vers une demande de «bien­être» et de «mieux être». Le boom du spa en découle directement...

Les nouvelles générations, boostées par le com­merce en ligne, non seulement consomment plus sou­vent, mais dépensent davantage à chaque fois qu'elles consomment. 

Une évolution naturelle de la demande

En 2019, la consommation en soins de beauté se répar­tit de la façon suivante : 

- les 55/64 ans représentent 40 % des dépenses,

- les 65/74 ans représentent 20 % des dépenses.

À partir de 45 ans, la sensibilité pour les stratégies de prévention des «effets de l'âge», du «bien-être et mieux-être» prend de plus en plus d'importance. Cer­taines marques ne s'y trompent pas.

Les aspirations des séniors 

Ils se sont réconciliés plus ou moins avec l'image d'eux­mêmes et apprécient d'être «chouchoutés». Ils ont envie de «convenience». Ce qu'ils entreprennent doit être à leur mesure, facile d'accès et d'usage, sans «prise de tête». Entre 65 et 70 ans, ils se définissent comme la génération la plus heureuse. 

Au niveau psychologique

Les femmes souhaitent : 

- garder suffisamment confiance en elles pour réinves­tir un nouveau rôle après la maternité, l'éducation des enfants et la carrière professionnelle, 

- se rassurer sur leur capacité à vivre bien leur âge et les effets du temps qui passe, 

- trouver et assumer leur place dans l'échelle généra­tionnelle.

Au niveau physique

Les effets du temps qui passe se font plus ou moins ressentir :

- le relâchement de la peau,

- la modification de la silhouette et la prise de poids, 

- les modifications hormonales de la ménopause ou de l'andropause, 

- la vue qui baisse,

- la mobilité articulaire qui faiblit,

- l'organisme qui n'a plus la même endurance,

- l'effort de prévention des risques de santé que l'on doit intensifier.

Quelques pistes de réflexion

Au niveau du retail 

Il ne suffit pas de présenter une gamme de soins anti-âge pour répondre à la demande des séniors. Les séniors sont en effet plus exigeants que cela. Par l'expérience et le savoir-faire, ils ont perdu la naïveté des consommateurs novices. La démarche pour séduire ce segment de marché doit être beaucoup plus experte. Quelques majors ont heureusement investi ce créneau, mais trop peu encore. En revanche, ce que l'on appelait avant la crise sanitaire, «les petites marques» ont clairement investi le marché de l'anti-âge en retail. 

Au niveau de l'institut et du spa Alors que les systèmes de prise en charge sociale n'ont ni les solutions, ni les moyens de répondre à ces préoc­cupations, les thalassos et les thermes ont développé ces dernières années des techniques ancestrales ou hi-tech qui apportent de vraies réponses à ces préoccupations montantes. La thalasso ou le thermalisme ont mieux intégré le phénomène du fait de leur clientèle historique. Le spa est bien dans cette continuité, d'autant depuis que la crise sanitaire est passée par là. Mais, au quotidien de l'exploitation des spas, et surtout des instituts de beauté, on est encore trop souvent éloigné de ce marché. Un formidable champ d'action s'ouvre donc pour la prévention au quotidien hors du cadre médicalisé pris en charge. 

Les aspirations de séniors 

En termes de lieux

Soucieux de calme et d'espace, ils aiment le confort et le luxe sans expo­sition. Ils fréquentent les hôtels de caté­gorie supérieure et de charme. Ils sont curieux, voyagent pour découvrir, sont plus ouverts sur leur environnement et moins «égocentrés» sur eux-mêmes, leur couple ou leur cellule familiale. 

En termes d'offre 

Ils sont moins naïfs par rapport aux allé­gations ou promesses intenables. Ils sont en attente de réponses en termes de bénéfice tangible, qu'il s'agisse du mieux-être ressenti ou de l'efficacité des soins. 

En termes d'aménagement et de conception des espaces

Cette clientèle sénior doit pouvoir se diriger facilement dans l'espace de l'institut ou du spa. L'adaptation est plus compliquée à 60 ans qu'à 20 ans, les réflexes un peu plus lents. Un effort est donc à faire sur la signalétique trop souvent absente dans l'institut ou le spa. Il faut prendre en compte la baisse de l'acuité visuelle. li faut intégrer cette réalité dans la conception de l'éclairage du spa et de l'institut. Les escaliers et les sols sombres sans marquage sont à éviter car ils donnent une impression d'insécurité quand la presbytie s'est installée. Demandez à une grand-mère ce qu'elle ressent quand l'esthéticienne lui demande de monter ou descendre de la table de massage par le biais d'un escabeau ou de se retourner sur le ventre, et la laisse finalement se débrouiller seule... Imaginez quand il s'agit d'entrer dans un appareil UV ou un cocon polysensoriel ! Il y a donc un effort à faire pour rendre naturel l'acte d'accompagnement en prévoyant des tables électriques réglables en hauteur, des tables suffisamment larges pour se retourner sans appréhension. 

En termes de craintes 

Les séniors craignent de glisser sur le sol mouillé dans la douche ou autour du bassin, ou dans les cabines de soins hydre, surtout quand ils viennent de recevoir des massages à l'huile. Choisissez des matériaux antiglisse. Prévoyez des accès sans seuil. Il faut que vous compreniez la difficulté pour un sénior à entrer dans un bain, surtout quand il s'agit d'un bain à enjamber comme le bain japonais ou une baignoire de balnéo, ou à descendre dans un bassin quand on souffre plus ou moins de vertiges ou de limi­tation des mouvements. Prévoir des marches d'accès, des barres de maintien ou une aide du praticien : ceci implique de former le personnel à assurer cette aide sans risquer lui-même l'accident de travail par un geste inadapté. 

En termes de service, il faut :

- du personnel formé à l'accueil des séniors, qui comprend qu'on ne s'adresse pas à un adulte de 55 ans et plus, comme à un adulte de 25 ans, 

- du personnel parfaitement formé aux critères d'hygiène sécu­rité. Servez-vous de la Norme Afnor SPEC, «Centres de beauté et de bien-être - exigences et recommandations pour l'hygiène et la prévention des risques sanitaires»,

- un accueil personnalisé qui laisse réellement le temps au client d'exprimer ses besoins, 

- arrêter avec les protocoles immuables! Il faut donner à l'esthé­ticienne une liberté d'action. Par exemple, beaucoup de séniors n'aiment pas les gommages. Vous pouvez les remplacer par un massage plus long et plus appuyé, la cliente sera ravie,

- des vestiaires adaptés, des rangements judicieux à portée de mains pour que la cliente puisse tout y ranger,

- des espaces de repos avec une présentation de l'institut et de ses services sur un écran,

- pas de personnel trop jeune et sans expérience.