Les nouveaux enjeux de la beauté

Entretien avec Manon PAGA, Planneur stratégique chez Futurebrand, Agence de design et de stratégie de marque (MCCANN WORLDGROUP), décrypte ce que sera la beauté de demain


Dans l’univers de la beauté, la course à l’innovation pousse les marques historiques à se surpasser et à devenir des acteurs essentiels dans la redéfinition du monde de demain: un monde où la beauté apparaît comme un mouvement porteur de nouvelles valeurs. Révolution du microbiome, futur de la data, beauté engagée, inclusivité, rituels plus intuitifs, quête de soi et personnalisation, beauté cyclique, minimalisme, intelligence artificielle, rencontre entre médecine et cosmétique… la beauté de demain se dessine à mille lieues de la beauté d’aujourd’hui.

Pourquoi tout a changé ?

Il y a eu une prise de conscience considérable, en particulier des nouvelles générations, sur nos façons de consommer et pas uniquement dans le domaine de la beauté. En ce qui concerne cette industrie, elle a, pendant des années, imposé des standards de beauté compliqués à atteindre et sans jamais tenir compte de l’environnement. Tout cela n’est plus du tout en phase avec les générations actuelles qui sont prêtes par exemple à dépenser plus d’argent dans des produits responsables. Elles sont extrêmement portées sur la responsabilité sociale, environnementale… Face à cela, les marques doivent s’adapter et s’actualiser en conséquence.

S’adapter ou disparaître ?

Dans le secteur de la beauté, les marques, qui veulent séduire et conquérir de nouveaux publics et la nouvelle génération, n’ont pas le choix, elles doivent répondre à ces nouvelles attentes. Il existe toujours des marques historiques, notamment des marques de luxe, qui peuvent encore se permettre de ne pas être totalement à jour au niveau de la responsabilité par exemple. Mais il est intéressant de noter que ces marques ont un public vieillissant et, si elles veulent conquérir de nouveaux clients, il faudra qu’elles actualisent leur façon de faire. Plus que jamais, les marques sont vraiment «attendues au tournant», elles ont un rôle à jouer. On ne compte plus les études qui démontrent à quel point les consommateurs attendent que les marques changent la société, plus que les gouvernements ou les acteurs politiques en qui les gens n’ont plus confiance. Les marques doivent s’engager pour mener de nouvelles révolutions, c’est plus d’actualité que jamais.

Les tendances à suivre en institut ou spa

Ce qui compte aujourd’hui, c’est l’expérience délivrée sur place. La personnalisation compte énormément, l’expertise aussi. Pendant des années, il y a aussi toutes ces démarches de naturalité qui sont devenues des prérequis et plus vraiment des éléments distinctifs. Aujourd’hui, les clientes sont en attente d’expériences plus intuitives, qui vont mieux s’adapter à leur mode de vie actif en leur proposant des temps de soins compressés sur des plages horaires très larges, jusqu’à l’esthéticienne qui se déplace où l’on souhaite et non plus la cliente qui vient. L’idée est de faciliter au maximum l’expérience client en fluidifiant l’attente, la prise de rendez-vous et tout ce qui est autour du moment précis afin de se concentrer uniquement sur l’expérience soin en elle-même. 

C’est déjà le cas mais ça va aller beaucoup plus loin avec la beauté à la demande et la data.

Tout est possible aujourd’hui grâce à une ouverture des consciences

La personnalisation à l'extrême

De nombreuses marques travaillent sur la personnalisation et la data pour proposer des produits et des services beaucoup plus personnalisés, plus précis. Par exemple la marque de soins capillaires Prose propose, avant de commander son produit, un questionnaire extrêmement précis avec entre autres la ville où la cliente vit pour tenir compte du taux d’humidité, de la pollution, du pH de l’eau… Toutes les données personnelles de la cliente mais aussi des données environnementales sont prises en compte pour délivrer un produit avec une personnalisation très poussée. Au-delà de fournir un soin à la demande et personnalisé, on évite aussi le gaspillage car il n’y a plus de surproduction, juste des formules à la demande.

En skincare, Neutrogena vient de lancer «Skin360», un outil qui, relié à son smartphone, permet d’analyser l’état de la peau en temps réel (niveau d’hydratation, taille des pores, présence de rides) pour ainsi adapter sa routine de soin et en suivre l’évolution.

Et dans le futur ?

Il y a énormément de tendances dans le secteur de la beauté, ça donne le vertige et ça peut faire un peu peur, mais, à l’intérieur de ces tendances, on peut vraiment identifier des lames de fond sociétales qui vont au-delà des tendances et qui touchent tous les secteurs, par exemple l’éthique, la personnalisation, l’efficacité.

Les micro-tendances

On voit énormément de micro-tendances qui naissent de ces macro-tendances et certaines vont moins perdurer que d’autres. Le rapport que chaque individu entretient avec la beauté est tellement vaste que ça ouvre un infini de possibilités:

- De la tendance du wellness, des micro-tendances sûrement à plus court terme émergent comme la spiritualité, l’astrologie, la beauté lunaire (basée sur les cycles de la lune) ou les produits à base de résidus de chanvre, très en vogue aux USA.

- De la tendance globale autour de la santé et la médicalisation, il y a cette micro-tendance autour de l’hormonal beauty où comment la beauté prend en compte les cycles féminins, les menstruations.

- En phase avec la nouvelle valeur de naturalité, nous voyons apparaître la tendance de la Seasonal Beauty : des soins de beauté en phase avec les saisons de l’année.

- Dans une volonté de simplicité et d’attrait pour le minimalisme, il y a les «beauty rejecters» qui revendiquent l’idée que de ne rien mettre du tout sur sa peau de temps en temps la fera aller sûrement mieux, notamment via le fait de déstresser les consommateurs. En effet, pendant des années, on a vendu des routines beauté très complexes avec des dizaines de produits qui, finalement, culpabilisent les consommateurs qui ont alors l’impression de ne jamais faire assez et assez bien, de ne jamais pouvoir atteindre les promesses du produit.

À ce jour, il est difficile de déterminer si ces micro-tendances deviendront des macro-tendances, mais elles sont très nombreuses et connaissent parfois un réel succès. Ce qui est intéressant, c’est qu’elles sont parfois contradictoires entre elles: des marques revendiquent des bénéfices presque chirurgicaux face à des marques qui valorisent la simplicité et le minimalisme avec presque rien.

Un marché ultra-saturé et pourtant…

À première vue, le marché de la beauté est plus que saturé, mais c’est aussi un marché extrêmement porteur et prometteur quand on voit son évolution business ces dernières années. Et forcément, des entrepreneurs veulent se lancer. Nous sommes dans une dynamique d’hyper-segmentation où l’on cible de plus en plus des micro-communautés, les marques veulent s’adresser de façon unique à chaque consommateur, à tel point qu’on pourrait penser que demain il y aura une marque par client! Il y a une acceptation des différences entre les personnes, les individualités et cela laisse donc place à énormément de positionnements différents et donc de nouvelles marques.

Les marques veulent s’adresser de façon unique à chaque consommateur

La recette du succès

Tout est possible :

- Vous pouvez créer votre propre univers, votre propre micro-tendance et, dans ce cas, il faut vous poser la question du sérieux et de l’efficacité car, on le sait, les consommateurs veulent de l’efficacité, donc si vous leur apportez une nouvelle science, une nouvelle micro-tendance sur le marché, il faut qu’elle soit justifiée, crédible et cautionnée.

- Vous pouvez suivre une tendance actuelle en la réactualisant, en la rendant cohérente avec une nouvelle cible. Il y a des micro-tendances qui s’adressent à des cibles bien précises. Comment les actualiser pour d’autres cibles? 

N’oubliez pas aussi le positionnement que vous souhaitez avoir: comment rendre accessible une tendance très luxe, très premium ou, à l’inverse, comment rendre une tendance accessible plus luxe ?

Les tendances sont nombreuses dans le milieu de la beauté, voyez-les comme un outil d’innovation à manier, pour créer des choses nouvelles à partir de ce qui existe déjà.

La clef du succès reste l’efficacité. La cliente d’aujourd’hui est hyper avertie, elle se renseigne, les consommatrices parlent entre elles. Une marque de beauté ne pourra pas perdurer dans le temps si elle n’a pas une efficacité et une expertise extrêmement poussées et développées. 

Cela peut paraître banal mais c’est pourtant le point de départ des marques de beauté qui réussiront demain.

À contre-courant ?

Si vous ne vous remettez pas du tout en question, notamment sur les pré-requis comme la naturalité, la responsabilité…, vous risquez de vous retrouver dépassée. Vous pouvez refuser de suivre les tendances. Il y a toujours, pour chaque tendance, sa contre-tendance qui arrive des années plus tard. Par exemple, pendant des années, nous avons été dans des logiques hyper hygiénistes où l’on valorisait la pureté de la peau, le nettoyage en profondeur, il fallait être «propre» et, aujourd’hui, de plus en plus de produits valorisent les bactéries, sans parler de la valorisation de la pilosité. On est passé d’une logique hyper hygiéniste à une logique plus biologiste si on peut dire, qui accepte un peu plus le corps dans sa réalité, dans sa naturalité. Il y a six ans, on aurait évoqué cette tendance de mettre des bactéries sur son corps, d’accepter ses poils, personne n’y aurait cru et pourtant, nous y sommes aujourd’hui.

Oui, on peut aller contre les tendances et il y a d’ailleurs des acteurs qui vont contre les tendances et bousculent les normes trop présentes depuis des années. Il faut juste que le contre-mouvement soit justifié, sérieux, et qu’il amène vraiment quelque chose au marché pour perdurer.

Exemple de contre-tendance
Gallinée est une marque de soin de la peau et des cheveux qui a mené une réelle révolution et pour la bonne cause. Les produits sont formulés à base de probiotiques pour nourrir les bonnes bactéries de la peau. Cette marque, qui a un discours sur la préservation du microbiome, a été fondée par une ancienne pharmacienne. 

C’est une des marques qui a posé l’expertise du microbiome sur le marché de la beauté et qui parle des bactéries avec un discours extrêmement positif, extrêmement expert. Gallinée a apporté quelque chose de nouveau sur le marché.

L’exemple de SEPHORA

Sephora est un acteur majeur de la distribution beauté qui n’a pas été déstabilisé malgré l’arrivée de toutes les marques de niche ainsi que de toutes les marques pures player qui sont sur le digital.

Sephora a réussi à embrasser le mouvement de ces nouvelles marques de niche, ces nouvelles tendances, et propose ainsi aujourd’hui une offre qui est un équilibre parfait entre les grandes marques historiques leaders et les marques de niche hyper pointues avec, en plus, beaucoup d’exclusivités.

Récemment, aux USA, Sephora a lancé un incubateur, Sephora Accelerate, qui aide les femmes à créer leur propre marque de beauté.

Sephora est vraiment l’exemple parfait de la marque qui, au lieu de rejeter en bloc la montée en puissance des marques de niche, les innovations perpétuelles où chacun essaie de créer sa marque, a réussi à tout intégrer, grâce à ce business model innovant. L’enseigne reste donc très actuelle alors qu’elle aurait pu être en grand danger.



FutureBrand (McCann Worldgroup) est un réseau international d’agences de stratégie et design de marque.
Avec plus de 600 talents dans le monde, experts en stratégie, design et innovation, la société aide les marques à résister à l’épreuve du futur et à connaître une croissance durable, en créant des expériences de marques articulées autour d’une vision claire.



Innovations VS Moyens financiers

Les marques émergentes sont plus que jamais présentes dans l’univers de la beauté, elles arrivent avec des innovations et une agilité que les grosses marques n’ont pas, elles peuvent ainsi lancer des innovations sur le marché en six mois, là où un leader aura besoin d’un an et demi. C’est une menace. Mais il faut aussi les voir comme quelque chose de complémentaire parce que les marques de niche amènent de nouveaux sujets sur le marché et les marques historiques ont les moyens, un historique, un savoir, une clientèle pour les implanter à large échelle.

Peut-on encore innover ?

Tout est encore possible. Il faut regarder au-delà du secteur de la beauté et savoir puiser son inspiration partout: la data, l’informatique, la nourriture, tout! 

Il faut se demander comment en tirer les forces, comment les adapter à l’industrie de la beauté et si on arrive à croiser les expertises de plusieurs industries en les rattachant à l’univers de la beauté, il y a un boulevard d’innovations possibles.

Tout est possible aujourd’hui parce que nous vivons dans une société où de manière générale tout est possible. «J’ai 26 ans, en tant que nouvelle génération, je me rends bien compte qu’on a la chance aujourd’hui de pouvoir entreprendre, innover, on nous donne les clefs, c’est beaucoup plus facile, on a aussi une ouverture des consciences.» conclut Manon Paga.