Le pouvoir invisible du microbiome .2
Chez L’Oréal dans ce domaine, qu’étudiez-vous depuis 10 ans ?
Pour L’Oréal, utiliser le potentiel des bactéries en cosmétique est une histoire qui a commencé il y a plus de 30 ans avec Vitreoscilla filiformis, une bactérie extraite d’une source thermale. L’histoire a continué et se poursuit aujourd’hui avec la caractérisation des microbiotes spécifiques de différentes régions de la peau.
C’est ainsi que L’Oréal a établi des collaborations avec des équipes scientifiques renommées (Institut Pasteur à Paris et à Shanghaï, New York University, Karolinska Institutet à Stockholm, Max Planck Institut à Tübingen…, etc.) pour caractériser le microbiome des peaux saines, des peaux grasses, du scalp pelliculaire ou non, et pour comprendre les interactions établies entre les micro-organismes et leur hôte, dans des conditions normales ou de perturbations physiologiques.
Inspirés par les travaux sur la santé intestinale publiés par des équipes universitaires, nos premiers travaux ont porté sur l’étude de peaux présentant certains problèmes comme l’eczéma ou l’atopie. Chez l’enfant, ce type de désordre n’apparaît que dans des zones bien spécifiques, ce qui laisse penser qu’une cause locale participe à la manifestation de la crise : cette zone coïncide très bien avec une spécificité de la signature microbiologique. Les premiers résultats publiés ont porté sur l’atopie et l’identification d’extraits de bactéries capables d’apporter des bénéfices sur l’eczéma.
Aujourd’hui, le défi pour la recherche consiste à comprendre comment se modifient les microbiomes, identifier et évaluer l’implication des facteurs génétiques et environnementaux dans leur variation.
L’objectif est de trouver les moyens de prévenir les variations, de rééquilibrer les communautés de micro-organismes.
Sur quoi portent vos dernières études ?
En parallèle, nos équipes ont aussi montré au niveau du scalp les implications du microbiome chez les sujets souffrant de pellicules sur le cuir chevelu : la présence excessive de la levure malassezia (naturellement présente) et la diminution de certaines autres bactéries (Staphylococcus epidermidis, C anes) sont associées à la présence de pellicules. Du coup, l’enjeu est donc de diminuer la présence de ces levures pour corriger ces états pelliculaires.
L’environnement joue-t-il un rôle sur l’état du microbiome ?
Oui. Plus récemment nous nous sommes intéressés au déséquilibre du microbiome en lien avec pollution et vie urbaine. De manière intéressante, nous avons montré que des personnes qui vivent dans un environnement urbain pollué ont un microbiome déséquilibré par rapport à celles qui vivent dans un environnement rural moins pollué. D’autres équipes de recherche ont confirmé ces mêmes tendances. Les facteurs environnementaux, spécifiques à l’individu, tels que par exemple son lieu de vie, sa profession, ses vêtements ou sa consommation d’antibiotiques peuvent aussi moduler la colonisation de sa peau par les bactéries.
Enfin, l’étude de bactéries présentes sur la peau des personnes vivant dans un environnement pollué ouvre de nouvelles pistes de recherche pour comprendre le déséquilibre et le lien avec les signes cliniques observés tels que désordres pigmentaires, états acnéiques…
Nous aurons bientôt des diagnostics quotidiens et ainsi utiliser les bons soins
Comment intervient-on sur ces micro-organismes ?
Il y a trois façons d’intervenir pour apporter des bénéfices à la peau :
- La première, c’est de les nourrir en apportant des éléments nutritifs capables de favoriser leur développement : il s’agit, par exemple, de sources de carbone comme des sucres, des corps gras et des minéraux. On les appelle des prébiotiques.
- La deuxième voie, ce sont les postbiotiques, un ensemble de molécules naturellement secrétées par les bactéries à la surface de la peau, qui miment ce que font les bactéries. Par exemple, certains acides gras à chaînes courtes participent à la récupération d’une bonne fonction barrière dans l’intestin.
- La troisième voie est une forme de greffe de bactéries.
La difficulté, c’est d’avoir des bactéries vivantes, stabilisées, de les conserver sous une forme qui leur permette de retrouver leur efficacité quand elles sont appliquées sur la peau. Il y a là un enjeu technologique de formulation sur lequel nos laboratoires de développement se concentrent activement.
À quoi peut-on rêver demain dans ce domaine ?
Le futur verra le développement de nouvelles approches diagnostiques basées sur la caractérisation du microbiome et de nouveaux régimes nutritionnels et stratégies thérapeutiques pour corriger les déséquilibres.
L’équilibre et la diversité des microbiomes seront régulièrement contrôlés grâce à des tests diagnostiques. Et demain, les traitements seront personnalisés.
La prochaine étape sera de pouvoir utiliser l’arsenal vivant du microbiome pour corriger les signes de l’âge, mieux prévenir les changements de notre peau et mieux traiter les désordres : corriger les taches et les irrégularités du teint, prévenir leur apparition.
À plus long terme, on pourra intervenir sur cet écosystème bactérien directement sur la peau ou en changeant ses habitudes de vie. On pourra aussi bientôt anticiper ces perturbations pour prévenir certaines pathologies comme les allergies cutanées ou l’apparition des pellicules sur le cuir chevelu. Ou décrypter le dialogue qu’entretiennent les bactéries avec le système immunitaire de la peau à l’origine des désordres cutanés.
Manipuler cette flore sensible est encore à un stade de recherche, mais les connaissances avancent rapidement.
Différentes stratégies sont à l’étude, comme l’utilisation de bactériophages, des virus qui suppriment de façon très sélective les bactéries nuisibles, ou encore l’usage de pré-biotiques, des molécules capables de modifier l’écosystème bactérien en favorisant la croissance de certaines espèces cutanées.
Enfin, grâce à des outils connectés en cours de finalisation, on pourra aussi procéder à un diagnostic quotidien, détecter en quelques minutes les changements du microbiome associés aux désordres de la peau et du cheveu, et déterminer par exemple quand utiliser un shampooing antipelliculaire avant même l’arrivée de cette desquamation disgracieuse. Et ainsi, prévenir les récidives de l’acné, de l’eczéma, voire éviter le recours aux antibiotiques.
Face aux multiples pouvoirs du microbiome cutané, la conviction de L’Oréal est que ce nouveau domaine de recherche ouvre un champ infini de possibilités pour améliorer l’état de notre peau ou de notre cuir chevelu. Il ne s’agit plus de s’intéresser uniquement aux cellules de la peau mais à l’ensemble de l’écosystème microbiome cutané pour apporter de nouvelles performances. Nous ne considérons pas le microbiome simplement comme un monde complexe vivant à la surface de notre peau et qu’il faut respecter mais également comme un véritable allié pour apporter demain des solutions nouvelles à la cosmétique classique.