Le poids des émotions
Les émotions et le poids, pas seulement une affaire d'alimentation
Les émotions peuvent avoir un impact plus ou moins important sur le poids. Ceci n’est pas uniquement dû à l’alimentation. L’activité physique et les addictions sont aussi mises en cause, comme l’explique Alix Mathieu : «Lorsque certaines personnes traversent des émotions intenses, ces dernières peuvent pousser à manger davantage ou au contraire couper la sensation de faim. Elles peuvent aussi avoir un impact sur les envies de nourriture et ainsi pousser à favoriser des aliments plutôt salés, sucrés ou gras pendant certaines périodes. Cependant, les émotions n’ont pas qu’une incidence sur la consommation de nourriture, mais aussi sur l’activité physique, que ce soit une augmentation ou une diminution. Ceci va avoir un impact sur le corps. Il en est de même pour les addictions. En période de stress par exemple, les fumeurs ou les consommateurs de substances vont souvent augmenter leur consommation. Une fois de plus, ceci va impacter le corps.»
La biologie des émotions
En plus de tout cela, il faut prendre en compte l’aspect biologique des émotions. «Elles sont un véritable cocktail d’hormones et de neuromédiateurs qui fluctuent et qui ont une incidence sur le corps, surtout sur le long terme comme avec la dépression par exemple. Les impacts physiques peuvent être une faim excessive ou une perte d’appétit, la fatigue à cause d’insomnie ou d’hypersomnie (excès de sommeil), la perte de libido, et aussi, parfois, des signes non psychiatriques tels que des maux de tête ou des problèmes de digestion» détaille la spécialiste.
Le mécanisme psychologique
Manger en réaction à une émotion a un nom. On appelle cela des prises alimentaires compulsives. «Cela aide en quelque sorte à «étouffer» l’émotion qui peut envahir certaines personnes. Parfois, c’est aussi une réaction qui raisonne avec son histoire et/ou son expérience de vie. Par exemple, si des parents proposaient une friandise pour calmer - face à un affect intense ou à une frustration - lors de l’enfance, alors le sucre peut devenir une véritable consolation. Cependant, cela peut devenir plus grave qu’une simple prise alimentaire. Certaines personnes peuvent développer de véritables troubles du comportement alimentaire (TCA) au fil de leur vie, dans une tentative de gérer leur anxiété et de retrouver une sensation de contrôle sur leur vie en général et sur leurs affects en particulier.»
Le stress, grand responsable des troubles alimentaires
Contrairement aux idées reçues, les émotions négatives ne sont pas les seules qui influent sur le poids. «Cela dépend de chaque personne et de la manière de chacune de gérer ses émotions. En effet, certaines personnes vont être plus susceptibles de se réfugier dans la nourriture en période de stress, alors que pour d’autres, ce genre de période leur coupe complètement la faim. Parfois, le coupable est même le bonheur !
Selon une étude du National Center for Biotechnologie Information, les couples heureux - contrairement aux insatisfaits -, auraient tendance à prendre du poids dans les premières années de vie commune. Cependant, le grand gagnant est le stress ou les périodes d’anxiété, plus encore que la tristesse ou la colère. C’est en effet dans ces moments-là que la majorité des personnes vont avoir une alimentation en «montagne russe», très fluctuante et souvent peu équilibrée» explique la psychologue.
Les facteurs environnementaux ont eux aussi une part de responsabilité
Par ailleurs, il n’existe pas réellement d’hérédité émotionnelle. Les facteurs sociaux occupent une place importante dans la transmission d’habitudes et de croyances alimentaires. «Si de très récentes études identifient quelques facteurs génétiques susceptibles de contribuer à une vulnérabilité face à ces troubles, les théories actuelles se rejoignent plutôt pour dire qu’il s’agit de facteurs environnementaux. Ainsi, lorsque les chercheurs observent des données démontrant clairement que les troubles alimentaires se retrouvent souvent chez plusieurs membres d’une même famille, cela est davantage dû à des facteurs extérieurs comme la pression sociale de la diète et de la minceur, les conflits familiaux, le stress de la performance, etc., qu’à une véritable problématique génétique.»
Les femmes majoritairement touchées
D’après une étude parue dans l’American Journal of Clinical Nutrition en 2013, 52 % des femmes - contre 20 % des hommes - grignotent ou mangent pour apaiser des sentiments négatifs.
Les femmes sont donc majoritairement concernées. Néanmoins, comme l’explique Alix Mathieu : «Tout le monde peut souffrir de ce genre de réactions émotionnelles - de la «prise alimentaire compulsive» aux TCA graves - c’est même un mécanisme très courant qui impacte aussi bien les hommes que les femmes, aussi bien les très jeunes que les plus vieux. On entend même parler d’anorexie du nourrisson dans de rares cas».
Reprendre le contôle grâce au rééquilibrage alimentaire
Des solutions existent afin de ne plus être victime de ses émotions et ainsi reprendre les choses en main. «Le rééquilibrage alimentaire, méthode qui consiste à rééquilibrer la quantité des différents aliments consommés, pour arriver à une alimentation équilibrée, peut être une bonne idée, ne serait-ce que pour avoir une meilleure connaissance de notre alimentation et de notre fonctionnement corporel. Pour ce faire, l’aide d’un nutritionniste peut s’avérer intéressante. Cependant, une thérapie est toujours conseillée, particulièrement si la personne se sent perdre le contrôle de son alimentation. Les prises alimentaires compulsives ne sont pas graves, mais si elles impactent trop la vie du patient, avec un poids qui varie trop rapidement et trop souvent par exemple, alors une thérapie peut aider à mieux gérer ses émotions et donc à moins s’appuyer sur la nourriture dans les périodes intenses. Dans ces cas-là, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) ne sont pas nécessairement la solution» explique la psychologue.
Reprendre le contrôle grâce aux thérapies
La TCC (thérapie cognitivo-comportementale)
La psychothérapie cognitivo-comportementale est un genre de thérapie actif et collaboratif, comme l’explique Alix Mathieu : «Le patient et le thérapeute identifient ensemble les difficultés de la réalité quotidienne du patient et définissent un objectif. Des stratégies de changement et l’apprentissage de nouveaux outils pratiques sont expérimentés grâce à des exercices réalisés entre chaque séance. On effectue aussi des évaluations régulières pour déterminer des progrès effectués au cours du traitement, dont la durée est généralement limitée, grâce à des améliorations rapides des symptômes du patient. On favorisera plutôt une approche centrée sur les émotions (TCE)».
Prise en charge
«Concernant les prises en charge cognitivo-comportementales, nous travaillons souvent à partir d’échelles et de questionnaires d’autoévaluation. Si on travaille aussi les émotions, on se focalise avant tout sur le schéma corporel (la représentation psychique du corps), la reconnaissance des sensations de faim et de satiété, ou encore les croyances alimentaires qui poussent les individus à se priver ou à manger sans s’arrêter» explique la spécialiste.
La TCE (thérapie centrée sur les émotions) «La psychothérapie centrée sur les émotions est une approche thérapeutique grâce à laquelle les problèmes du patient sont considérés comme le résultat de dysfonctionnements de la régulation émotionnelle, conduisant à des schémas répétitifs de conflits, de critiques et de négativité. Ainsi, l’émotion est considérée comme une voie d’action et de changement, et c’est donc sur les émotions que nous allons concentrer le travail. Si le patient en est déjà au niveau du trouble alimentaire compulsif comme l’anorexie mentale1, l’hyperphagie2, ou encore l’orthorexie3, alors une thérapie est nécessaire pour gérer le trouble et le guérir grâce à une prise en charge pluridisciplinaire, notamment psychothérapeutique. Dans ce cas, les TCC proposent des résultats avérés.»
Prise en charge
Dans le cas de prises en charge centrées sur les émotions, Alix Mathieu explique le processus. «Nous aidons les individus à prendre conscience de leurs émotions en leur apprenant à les identifier, les expérimenter, leur donner un sens et d’une manière générale, à mieux les accepter pour mieux les vivre. Les patients sont donc confrontés aux émotions qu’ils redoutent dans l’objectif de les transformer. Par exemple, un patient qui n’arrive pas à gérer sa colère va être confronté par le thérapeute à cette dernière soit par des exercices de jeux de rôles, soit lorsque le patient l’expérimente de manière spontanée pendant la séance. On va alors travailler cette émotion en essayant de comprendre d’où elle vient, pourquoi elle lui échappe et comment mieux la gérer grâce à des exercices parfois, mais aussi grâce à la thérapie en ellemême et à l’alliance thérapeutique mise en place entre le patient et le thérapeute.»
1 L’anorexie et l’anorexie mentale sont des symptômes de la perte d’appétit. Les causes sont cependant différentes. L’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire caractérisé par le besoin obsessionnel de maigrir, contrairement à l’anorexie dont la perte d’appétit est involontaire.
2 L’hyperphagie est un trouble de la conduite alimentaire, caractérisé par une surconsommation d’aliments sans besoin sur le plan métabolique ou énergétique. Beaucoup la comparent à la boulimie mais SANS les actes de stabilisations du poids comme la provocation de vomissement ou encore la prise inappropriée de laxatifs.
3 L’orthorexie est l’obsession de manger de la nourriture saine et le rejet systématique des aliments perçus comme malsains. Avec le temps, les restrictions sont de plus en plus importantes au fur et à mesure que les définitions de «sain» et «malsain» deviennent de plus en plus strictes.