Vivaness 2020 à Nuremberg : une pépinière de tendances

Une croissance enthousiasmante 

Comme chaque année, la présentation des chiffres 2019 du marché allemand de la cosmétique naturelle et bio, faite dans le cadre de Vivaness, était très attendue, comme l’a montré la salle de conférences trop petite pour accueillir tous les auditeurs.

Rien n’est en fait sans doute plus stimulant que d’entendre qu’un marché se porte très bien.

Si les ventes de cosmétiques naturels et bio s’étaient montées en 2018 à 1,26 Mrd € en Allemagne (contre 757 Mio € en France), ce chiffre est en effet passé en 2019 à environ 1,38 Mrd €, soit une progression de +9 % pour la «vraie» cosmétique naturelle et bio, c’est-à-dire certifiée ou certifiable.

En 2018, elle avait augmenté de +8 % en comparaison de 2017.

De son côté, la cosmétique «proche du naturel» (nature inspired en anglais), c’est-à-dire aux composants et allégations proches de la vraie cosmétique naturelle et bio mais contenant néanmoins certains ingrédients rejetés par les cahiers des charges bio, n’a augmenté que de +6,5 %.

Quant à la cosmétique «conventionnelle», elle s’est contentée d’un modeste +1,5 %.

La cosmétique bio a-t-elle tout dit ?

284 exposants de 41 pays à Vivaness en 2018 pour 292 exposants en 2020, venus de 42 pays, dont 30 de 11 pays dans l’espace Breeze dédié aux start-ups et autres TPE, un record.

La richesse de l’offre est agrante, un regard trop rapide pouvant laisser l’impression d’une certaine redondance, avec des produits aux allégations et promesses plus ou moins identiques que l’on retrouve dans chacune des allées du salon.

Arguments résumés sur le stand d’une marque italienne : «Bio-durable, certifié, ultra-délicat, vegan, sans plastique, zéro déchet, biodégradable, écologique, bio, naturel, éthique, éco-packaging».

Idem chez une jeune marque allemande de l’espace Breeze : «Bio, 100 % cosmétique naturelle, 100 % vegan, emballages écologiques et durables, sans parabènes, sans microplastique, sans silicones ni huiles minérales, sans conservateurs».

Ces quelques arguments résument-ils à eux seuls le paysage actuel de la cosmétique naturelle et bio tel que condensé dans ce salon ?

D’autant plus que certains d’entre eux sont clairement inutiles dès lors qu’il s’agit de produits certi és (comme, entre autres, le «sans silicones ni huiles minérales» ou le «sans parabènes»).

Pire, certaines allégations sont même à la limite de la légalité, comme le «non testé sur animaux», puisque cela est de toute façon interdit dans l’Union européenne depuis des années !

Lors d’une précédente édition, un directeur commercial récemment arrivé dans la branche nous avait dit : «Ce n’est que ça, Vivaness ?».

En fait, une telle réflexion a surtout des chances de se retrouver dans la bouche de quelqu’un qui ne sait pas regarder et qui ne sait pas déceler les petits détails qui font la différence et suscitent de plus en plus l’intérêt potentiel des consommateurs.

Des allégations qui prêtent parfois à sourire 

Le problème, sur ce marché de la cosmétique bio qui a atteint de toute évidence une vraie maturité, réside dans la nécessité absolue, pour tous les acteurs, surtout les nouveaux, de se démarquer.

Constatation préalable : la «folie» du vegan est retombée, non que cela ne soit plus d’actualité, mais parce que cela est devenu quasiment un standard sur le marché allemand.

Une caractéristique qui n’a certes pas le même poids en France, mais qui n’est cependant pas à négliger chez nous, surtout auprès des générations les plus jeunes : comme le démontre un nombre croissant d’études, de plus en plus de Français sont sensibles à la souffrance animale.

Et si le véganisme ou même le végétarisme ne concernent qu’une minorité de nos concitoyens, bien plus nombreux sont ceux qui, bien que mangeant de la viande, du poisson et/ou des produits laitiers, considèrent qu’il n’y a aucune raison d’utiliser les animaux pour concevoir des produits de beauté !

Cette recherche de différenciation se traduit parfois par des propositions pouvant faire douter de leur potentiel commercial, voire faire franchement sourire, comme cette société lithuanienne qui proposait du «dentifrice aphrodisiaque» (sic) ou cette autre, suédoise, proposant un concept «clé en main» avec des étagères spécifiques pour leurs produits (quel point de vente aura vraiment de la place à réserver ainsi à une marque de niche ?).

Surfant sur la tendance des cosmétique solides, deux sociétés allemandes présentaient l’une ses nouveaux dentifrices en comprimés (ce qui n’est pas une innovation) mais aussi et surtout des shampooings en comprimés unidoses, et l’autre des sachets également unidoses de bain de bouche en poudre utilisable même sans eau.

Hormis un éventuel intérêt pour un usage «nomade» (encore qu’un petit flacon se loge facilement dans un sac à dos), la praticité n’est pas agrante. 

Quand la cosmétique se fait solidaire 

Moins «non conventionnel» et sur un autre plan, une marque française de cosmétique à base de produits de la ruche mettait entre autres en avant, pour se différencier sur un marché «apicosmétique» déjà bien chargé, son origine 100 % France et son partenariat avec un réseau de 70 apiculteurs membres du réseau «Un toit pour les abeilles».

Cette démarche solidaire -un des aspects positifs de la mondialisation parfois critiquée- se retrouve aussi, exemple parmi d’autres même si cela n’est pas nouveau, chez une marque d’origine marocaine (mais basée en Bavière) dont la signature est une huile d’argan sourcée auprès d’une coopérative de femmes au Maroc, dans le cadre d’un partenariat équitable.

Parmi les belles originalités, on pouvait noter la présence d’une société américaine se lançant avec des soins inspirés, pour chaque gamme, de traditions de soin orales anciennes, la première sur des traditions celtiques (collectées en Irlande), la prochaine annoncée l’étant sur des traditions des indiens d’Amérique du Sud, la plupart des gammes étant fabriquées localement avec des partenariats dans le pays d’origine de ces traditions.

Une façon intéressante de faire également œuvre de solidarité internationale.

À l’heure où de plus en plus de marques conventionnelles se lancent sur le créneau du bio, non pas par conviction mais par pur intérêt commercial (voir dans notre introduction la différence de croissance entre la cosmétique bio et le conventionnel !), c’est ce genre de détails qui peut faire la différence auprès des nombreux consommateurs et consommatrices à la recherche d’une cosmétique bio réellement éthique. 

«Plus que bio»

Puisque justement de plus en plus de marques conven- tionnelles se «verdissent», certes parfois dans le respect des cahiers des charges bio et pas seulement en faisant du «fake bio» (voir notre article dans Les Nouvelles Esthé- tiques de janvier 2019), de plus en plus de marques se tournent vers des approches et des cahiers des charges qui vont encore plus loin que le bio tel que dé ni par les réfé- rentiels du type Cosmébio/Cosmos ou NaTrue.

Même si cela reste encore marginal (à peine quelques marques se comptant sur les doigts d’une main), on voit ainsi une discrète percée de la biodynamie (certification Demeter) avec des produits dont les textures et les parfums commencent à être très séduisants.

Une performance, car les critères de cette certi cation -que le manque de place nous empêche de détailler ici- sont extrêmement stricts. Une de ces marques certifiées Demeter, bien qu’allemande, associe même la biodynamie au layering d’inspiration asiatique.

Très innovante dans l’esprit, une jeune marque, allemande également, a élaboré des produits dont les ingrédients sont issus de la permaculture bio.

Rappelons rapidement que la permaculture est un concept particulier d’agriculture directement inspiré de la nature et fondé sur la construction d’écosystèmes locaux.

Les plantes sont cultivées côte à côte de façon à se potentialiser, à éviter l’emploi d’intrants chimiques (engrais ou pesticides) et à entretenir et à valoriser les sols et la biodiversité naturelle. 

Un des objectifs est également d’éviter de recourir à des énergies non renouvelables.

Pour les végétaux utilisés comme ingrédients par cette marque, le travail de la terre est ainsi fait entièrement à la main, tous les ingrédients étant cultivés en interne, avec séchage des plantes au soleil, distillation à l’ancienne sur feu ouvert, le tout sans aucune machine ni emploi d’électricité.

La gamme se limite à des distillats de plantes pour le visage, avec à chaque fois une seule plante pour un bénéfice précis, mais elle illustre bien cette tendance à offrir du bio «premium» dans ses exigences, à l’instar de la biodynamie.

Une voie certaine, comme le solidaire, pour une bio toujours plus «verte» et durable face à ces marques conventionnelles qui se verdissent donc par pur intérêt commercial.

Colorations et parfums, de plus en plus de choix 

Pour revenir aux familles de produits, s’il en est une qui voit de plus en plus de produits certifiés, c’est bien celle des colorations capillaires. S’il n’y avait qu’une seule marque (allemande) certifiée il y a à peine quelques années, une douzaine de marques étaient présentes à Vivaness 2020.

Parmi elles, deux nouveautés majeures, d’une part une marque spécialiste de ce créneau qui ne faisait que du «proche de la nature» mais qui se met «enfin» au certifié et une autre, française comme la précédente, surtout réputée à ce jour pour ses soins visage et corps, qui se lance aussi sur ce créneau, avec d’emblée une gamme large et attractive.

L’offre en parfums bio s’élargit également doucement. Nous avons entre autres noté la première eau de Cologne certifiée Cosmos Organic, made in France, déclinée en plusieurs fragrances très réussies, ou encore une eau de parfum danoise ne contenant aucun des 26 allergènes à déclaration obligatoire.

Parmi les nouveaux acteurs dans ce domaine, nous avons par ailleurs remarqué un nouvel exposant sur ce salon : une entreprise espagnole, qui s’était fait jusqu’ici une réputation en fournissant des parfums d’ambiance pour un fabricant d’automobiles ou encore des parfums de luxe uniques (aux prix astronomiques) pour de riches émirs.

Son arrivée sur le marché bio, avec des eaux de Cologne aux parfums très agréables, illustre une nouvelle fois l’attraction qu’exerce aujourd’hui l’univers de la beauté naturelle et bio...

Même si en l’occurrence la certification espagnole qu’elle affiche est moins exigeante que celles que nous connaissons en France.

Une tendance qui ne faiblit pas : la cosmétique sans eau 

Impossible de ne pas remarquer l’augmentation de la cosmétique «sans eau». Cela passe par une quantité croissante de produits 100 % huile(s) -au parfum par contre parfois peu apte à séduire le plus grand nombre- ainsi que de beurres et baumes, pour le visage, le corps ou les lèvres, là à l’inverse avec des parfums non seulement très variés mais aussi très gourmands, inspirés de l’alimentaire.

Le «sans eau» allégué est parfois relatif, puisqu’en fait il s’agit quelquefois d’un simple remplacement de l’eau pure par de l’eau orale.

Mais ne pas mettre d’eau consiste également à proposer des produits en poudre, avec là aussi la nécessité de se différencier, comme ce savonnier allemand proposant des contenants en métal façon salière, dont les 100 g sont équivalents à «un litre de savon liquide, gel douche ou shampooing et 60 g de savon à barbe».

Le savon, qui est d’ailleurs le premier des «cosmétiques solides», attire de plus en plus de fabricants, décliné sous de nombreux parfums et formes, ciblant des types de peau précis (alors que le savon est pourtant loin d’être l’ami de la peau du visage).

Mais c’est bien la cosmétique solide au sens strict (soins corps, cheveux et visage) qui est présente chez un nombre croissant de marques, y compris chez certains acteurs bio bien établis qui n’avaient pas encore ce type de produits et ne veulent visiblement pas que cette tendance leur échappe.

L’enjeu makeur des emballages écologiques 

Pour terminer, impossible de ne pas mentionner une autre tendance de fond omniprésente, illustrée par le «monstre de plastique» du début de cet article.

C’est celle des emballages «écologiques», véritable leitmotiv chez une majorité de marques, tendance liée d’ailleurs à celle des cosmétiques solides par la réduction recherchée des déchets polluants et/ou inutiles.

Arpenter les allées de Vivaness revient à dresser un catalogue complet des solutions aussi diverses que variées qui s’offrent aux fabricants.

Sans oublier les étuis en carton brut (carton cannelé), le «carton d’herbe», les tubes de bioplastique contenant une part de bres de pin, les pots en bois issus de déchets de menuiserie, les tubes en carton issu de papier recyclé pour des produits en poudre mais aussi pour des rouges à lèvres, les baumes à lèvres en boîtes aluminium, les sachets en kraft et autres...

Notons néanmoins que cette éco-conception des emballages a aussi déjà largement attiré l’attention des marques conventionnelles, autre occasion pour elles de «verdir» leur image.

Mais ne nous trompons pas : les consommateurs voudront de plus en plus une cosmétique à la fois bio, éthique et durable, respectueuse des hommes et de la planète... et bien sûr efficace.

Pour satisfaire en même temps toutes ces exigences, seule la vraie cosmétique bio engagée est à notre sens sur la bonne voie.