Le challenge de la «pureté» sur la peau
Qui êtes-vous, M. LÜDGE ?
Je m’appelle Wolf Lüdge, j’ai 50 ans et je suis l’organisateur du Naturkosmetik Branchenkongress de Berlin depuis 2017. En parallèle, j’ai une entreprise de conseil, dans le domaine des produits naturels bien sûr, mais pas uniquement.
Je fais par exemple du «business coaching» pour des dirigeants d’entreprise ou du management de transition. Dans le passé, j’ai eu en Allemagne des postes de direction, dans des entreprises actives, par exemple, dans la mode bio-équitable, la santé naturelle ou la cosmétique bio.
Qu’est-ce que le Naturkosmetik Branchenkongress de Berlin ?
L’édition de cette année, les 24 et 25 septembre, est la 12e de cette manifestation, dont on peut traduire le nom par «Congrès des professionnels de la cosmétique naturelle». Il a été créé en 2008 par Elfriede Dambacher, qui fut la première en Allemagne, en 1984, à ouvrir un magasin dédié intégralement à la cosmétique naturelle, avant de devenir consultante spécialisée. C’est une rencontre à laquelle participent des acteurs de la cosmétique naturelle et bio du monde entier, avec certes une proportion importante de germanophones –venant d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse– mais pas seulement. Beaucoup de congressistes viennent des autres pays européens, des USA ou d’Asie. Quelques Français sont également présents, pas assez nombreux cependant, à notre grand regret, vu le poids de votre marché, qui ne peut que gagner à regarder ce qui se passe en dehors de vos frontières.
Tous les aspects touchant à la cosmétique naturelle et bio sont évoqués durant ces deux jours, du marketing au commercial en passant par les ingrédients, les outils digitaux ou les tendances.
C’est pour cela que les participants appartiennent à tous les départements des entreprises : R&D, Marketing, Vente, etc. En plus des fabricants ou importateurs, nous avons également des distributeurs, représentant tous les canaux : grande distribution, magasins bio, pharmacies, drogueries… En Allemagne, les drogueries sont un canal de vente essentiel, comparable sur la forme aux parapharmacies françaises, mais avec des milliers de points de vente.
Après le salon Vivaness qui se tient chaque année en février à Nuremberg, notre congrès est la deuxième date incontournable de l’année pour la profession. C’est un lieu de rencontre très important, car non seulement on s’y tient au courant des dernières évolutions du marché et des tendances, mais en plus c’est l’endroit idéal pour échanger et élargir son réseau. La veille du congrès a lieu un Trend tour, c’est-à-dire que nous proposons aux participants de visiter, pendant une demi-journée, des magasins qui illustrent parfaitement les derniers concepts de vente. C’est d’ailleurs pour cela que ce congrès se déroule à Berlin, car c’est une ville qui est un creuset où naissent de nombreuses tendances dont beaucoup connaîtront ensuite une généralisation et le succès.
Le Naturkosmetik Branchenkongress n’a pas d’équivalent en Europe. Il est même sans doute le seul de ce genre dans le monde qui soit aussi grand, avec ses près de 250 participants en 2018.
Le bio offre aux esthéticiennes la possibilité de conquérir une nouvelle clientèle
Comment définiriez-vous la cosmétique naturelle et bio, en comparaison de ce qu'elle était il y a 10 ou 20 ans ?
Aujourd’hui, l’offre est beaucoup plus grande que ce qu’elle était il y a 20 ans ou même 10 ans. Cela se voit facilement par le fait qu’il y a bien plus de marques qu’auparavant et aussi parce que l’offre est devenue bien plus large en matière d’usages.
C’est notamment le cas du maquillage : initialement, on trouvait surtout des soins pour le visage et des produits d’hygiène pour le corps, mais l’offre en maquillage a vraiment explosé, avec beaucoup de nouvelles marques. La facilité d’emploi et le confort des cosmétiques bio ont également nettement évolué vers plus de qualité et d’efficacité.
L’autre point important est qu’en raison de la très forte croissance du nombre d’acteurs et de l’assortiment, le nombre de points de vente a également énormément augmenté : il y a de plus en plus de canaux concernés et donc de plus en plus de possibilités pour les consommateurs d’acheter de la cosmétique naturelle et bio.
Quel est l'avenir de la cosmétique naturelle et bio certifiée ?
Il y a 15 ans, certains «experts» lui prédisaient 30 % de part de marché à court terme. Mais nous en sommes très loin… En France, cette part de marché est aujourd’hui de l’ordre de 8 ou 9 % seulement, avec une part de non certifié.
En Allemagne, la cosmétique naturelle et bio certifiée représente 8 % du marché. En y ajoutant la cosmétique «proche du naturel», on arrive à une part de marché de l’ordre de 16 à 17 %, soit un taux de pénétration assez élevé malgré tout. Je crois que le sujet de la cosmétique «vraiment naturelle» -à savoir mettre de la «pureté» sur sa peau- va continuer à prendre de plus en plus d’importance dans les années qui viennent. On peut tabler sur une croissance constante à deux chiffres, à comparer à la quasi stagnation de la cosmétique conventionnelle.
Les grands groupes conventionnels l’ont bien compris, comme le montre par exemple ce groupe cosmétique français mondialement connu qui d’un côté a lancé en 2018 une nouvelle marque certifiée bio alors qu’en parallèle il rachetait une entreprise allemande pionnière du secteur bio.
Comme ces groupes conventionnels ont de très grosses capacités de développement ainsi qu’un important réseau de distribution, cela va participer à doper la croissance.
Les esthéticiennes sont les professionnelles les mieux placées pour conseiller et orienter les clientes
Quel rôle peuvent -et doivent !- jouer les esthéticiennes ?
Les esthéticiennes, professionnelles de la beauté, sont des personnes de confiance pour leurs clientes. Ces dernières savent que les esthéticiennes sont capables de sublimer leur beauté mais également qu’elles sont là pour les conseiller. Et en matière de cosmétique naturelle et bio, le conseil est justement le nœud du problème. Il faut donner des conseils, beaucoup de conseils, toujours plus de conseils. Écouter, comprendre et conseiller. Pour les consommatrices qui n’ont pas encore fait le choix de la cosmétique naturelle, les esthéticiennes jouent à mon sens un rôle très important pour informer, pour sensibiliser sur tout ce qui touche à la composition des produits et aux ingrédients qui sont mis en contact avec la peau, sans oublier bien sûr tout ce qui concerne la bonne utilisation des produits.
Que diriez-vous aux esthéticiennes qui pensent que la cosmétique naturelle et bio n'est pas encore «À la hauteur» ?
Je leur dirai qu’il faut qu’elles changent leur regard sur la beauté et sur la cosmétique en général. Pour moi, notre approche d’une beauté idéale a été trop longtemps façonnée par le message construit par les «grandes marques» conventionnelles. Or il y a une autre façon de voir les choses, une autre approche à avoir sur la façon d’entretenir et de nourrir la beauté. Je crois qu’il faut ouvrir son esprit et prendre en compte tout ce que représente la cosmétique, c’est-à-dire par exemple comprendre qu’il faut éviter de mettre sur sa peau des substances potentiellement nocives pour la santé et l’environnement, et comprendre aussi que la nature possède une réelle force, très efficace, pour arriver à des résultats. Sans oublier les aspects éthiques…
Il s’avère que les consommatrices (et les consommateurs) sont justement de plus en plus exigeant(e)s sur ces points, tous les indicateurs montrant qu’il s’agit d’une tendance durable. Les esthéticiennes doivent donc répondre impérativement à cette demande. Pour elles, c’est clairement la possibilité de conquérir une nouvelle clientèle, avec une beauté construite sur l’écologie, le naturel et le durable. Les esthéticiennes doivent donc s’informer –évidemment auprès de sources fiables– pour pouvoir conseiller leur clientèle avec professionnalisme et compétence et bien sûr faire le choix d’utiliser une ou des marques bio de qualité.
Est-il important de faire confiance aux marques certifiées plutôt qu'à des marques juste «inspirées par la nature»?
Il y a beaucoup de marques fiables qui font de très bons produits de cosmétique «proche du naturel», c’est-à-dire que leurs formulations ne sont pas 100 % exemptes d’ingrédients issus de la chimie du pétrole mais tendent vers cela.
Mais comme c’est parfois assez compliqué de trier le bon grain de l’ivraie, entre le point de détail «acceptable» et celui qui est plus «gênant», si on veut être vraiment sûr de proposer des cosmétiques qui ne contiennent pas ces ingrédients que les client(e) s ne souhaitent pas avoir sur leur peau -et dont la liste risque de s’allonger de plus en plus- alors il faut se tourner vers des produits certifiés. Voir sur un produit le logo Ecocert, Cosmébio, BDIH, Demeter, Nature & Progrès ou encore Cosmos ou NaTrue est la seule façon d’avoir une réelle garantie. Avec ces logos, on a vraiment la certitude que ce qui est mis sur la peau réduit au maximum les risques pour la santé et l’environnement.
Mais l’important aussi, pour une esthéticienne, au moment de faire le choix d’une marque bio, est de voir le message global porté par celle-ci.
Il faut que la philosophie de cette marque soit claire, transparente, sans la moindre ambiguïté, embrassant tous les domaines que peut recouvrir la définition d’une cosmétique naturelle et bio de qualité. Car si ce message recèle la moindre zone d’ombre, les consommatrices seront en droit d’avoir des doutes et si jamais une faille apparaît un jour, elles auront raison de se sentir trahies.
Comme je l’ai dit précédemment, il y a –et il y aura– de plus en plus de femmes (et d’hommes) qui recherchent une cosmétique réellement naturelle. Pour leur permettre de faire le bon choix, sans erreur ni surtout ambiguïté donc, il est évident que les esthéticiennes font sans nul doute partie des professionnels les mieux placés.