Cosmétiques durables : état des lieux d'un marché complexe
Une marque de cosmétiques ne naît pas du jour au lendemain. Il faut établir une stratégie marketing, mettre en place un cahier des charges, créer les formulations, choisir un packaging, etc., les étapes sont nombreuses. En 1975, sous l'impulsion de la ministre de la Santé Simone Veil, la France a été le premier pays européen à créer une réglementation (Loi n°75-604) sur les cosmétiques. Aujourd'hui, la loi a évolué et les industriels doivent se soumettre à un certain nombre de tests pour voir leurs produits autorisés à la vente. Néanmoins, cette réglementation stricte, et indispensable à la sécurité des consommateurs, l'est encore plus lorsque l'on parle de durabilité des produits comme l'explique Eva Lagarde, fondatrice de la plateforme de contenus pédagogiques Re-sources : «La problématique principale des marques aujourd'hui est de comprendre les enjeux réglementaires qui sont liés au développement durable. Avant, cela concernait la formulation et les ingrédients. Aujourd'hui, les emballages sont aussi concernés. Les marques doivent mettre en conformité leurs emballages, ce qui est très difficile pour elles. Il y a des enjeux différents en fonction des pays, des réglementations différentes selon les continents ... De plus, le consommateur exerce une certaine pression sur les enjeux de développement durable».
Des produits durables sous tous les angles
Les consommateurs étant de plus en plus au fait de l'urgence climatique, leur demande évolue. Mais face à une offre pléthorique et des notions peu définies et encadrées - notamment lorsque l'on parle de cosmétiques cleans et durables -, ils ne savent plus vers quelle marque se tourner ni sur quels critères se baser et se demandent finalement ce qui est véritablement durable. «La durabilité se base sur deux grands critères :
- Environnementale : c'est l'enjeu de la réduction de l'impact des produits sur l'environnement, de toute la chaîne de fabrication et d'utilisation des formules et des emballages.
- Sociétale : c'est la garantie d'un bon impact social avec la question de la diversité dans les entreprises mais aussi du bon traitement de ses fournisseurs, y compris depuis la culture des plantes jusqu'à la transformation et la fabrication (fair trade, etc.). La question de la diversité et de l'accessibilité des produits est également de plus en plus importante. Maintenant, nous sommes sur des critères un peu différents avec des produits accessibles à tous» explique la spécialiste.
Il est vrai qu'au regard de l'évolution de l'industrie, difficile de ne pas remarquer que l'on veut du non-genré, des produits qui s'adressent à toutes les peaux, peu importe la couleur et le type de celle-ci. Le discours a changé selon Eva Lagarde et les entreprises prennent le tournant: «Dans les entreprises, au service RSE (Responsabilité Sociétale et Environnementale), dans les années 2010, on s'est fortement basé sur le E (entreprise), mais depuis 2022, c'est sur le S (sociétal) que l'on s'est penché».
Une entreprise inclusive au sein de sa structure
La marque de maquillage e.l.f a sorti un rapport Développement Durable en 2022. Son focus principal était sur les People of colour (personnes de couleur), tant au niveau de son conseil d'administration que de sa direction, ce qui n'était pas le cas avant. Ce genre d'engagement est important, puisque cela intéresse les consommateurs d'après Eva Lagarde : «Avant d'acheter, ils vérifient ce que la marque dit. Je suis beaucoup d'influenceurs sur les réseaux sociaux et je constate que les personnes vérifient de plus en plus les rapports publiés par les sociétés. Les entreprises qui ne respectent pas ce qu'elles prêchent sont facilement pointées du doigt».
Dove, pionnier de la cosmétique inclusive
Au niveau des produits, la marque Dove réalise régulièrement des campagnes intégrant différentes couleurs de peau et même anti-grossophobes. La marque va désormais plus loin et réalise des campagnes qui aident les jeunes filles à sortir des normes de beauté, un bon exemple de l'utilisation de la diversité.
Le packaging : le nerf de la guerre
Les marques travaillent beaucoup sur la conception de packagings recyclés mais cela n'est pas toujours évident car les consommateurs freinent ce développement d'après Eva Lagarde : «Les consommateurs veulent du 100 % recyclé mais étant donné qu'ils sont habitués à des standards assez élevés de fini et de qualité, ils ne sont pas prêts à avoir des packagings gris. En effet, le recyclé ne permet pas d'avoir un packaging blanc, brillant ... C'est pour cette raison que les entreprises y vont de façon incrémentale. C'est difficile pour les entreprises car dès qu'elles n'utilisent que 30 % de matières recyclées, elles se font pointer du doigt car elles n'en utilisent pas 100 %. Mais si c'était du 100 %, les consommateurs n'achèteraient pas les produits... Dans 5 ou 10 ans, on y sera sans doute, mais pas aujourd'hui».
Une industrie facilement vilipendée car très féminine...
Peut-être plus que tout autre secteur, celui des cosmétiques est régulièrement au cœur de polémiques. Et pour Eva Lagarde, cela est le fait d'un mépris d'un secteur essentiellement féminin : «Les entreprises sont accusées de greenwashing alors qu'en réalité elles n'en font pas, sauf exception car il y a toujours des mauvais élèves... L'industrie cosmétique est, de façon générale, très attaquée. Pour moi, cela est dû au fait que ça soit en grande partie une industrie «de bonnes femmes». Nous ne sommes pas prises au sérieux et, de ce fait, nous devons d'autant plus nous défendre. Les marques se préparent, développent des produits, forment les équipes en interne, mais cela prend du temps car il s'agit d'un changement de paradigme complet».
Les consommateurs et les cosmétiques, un rapport nuancé
L'industrie cosmétique est sur-consommée. On se retrouve facilement face à un phénomène de fast-beauty.
Le cœur de cible, pour les marques qui s'insèrent sur ce marché, tout comme dans la mode, sont les millenials. Malgré tout, d'après Eva Lagarde, les consommateurs se sentiraient assez concernés par l'impact de leur consommation sur l'environnement : «Kantar avait mené une étude en octobre 2022 qui mettait en avant le fait que dans le monde, nous sommes 20 % d'éco-actifs - consommateurs qui n'achèteront pas de produits qui ne sont pas greens et qui poussent leur entourage à faire de même. La part d'éco-activité augmente. Les éco-actifs mettent en place beaucoup d'actions et sont très impliqués pour influencer leur entourage. Une tendance de baisse de consommation s'instaure et de meilleure consommation (moins d'énergie, moins d'eau ... ). Le consommateur est bien plus conscient du déchet qu'il génère lorsqu'il consomme des produits, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années».
Quelles innovations pour le futur ?
Sur les packagings
Le consommateur demande du produit recyclé, de la recharge, des formules biodégradables... Pourtant, il y a très peu de consommation de produits réutilisables, «peut-être 5 % par rapport à ce qui est diffusé» déclare Eva Lagarde. Pour la spécialiste, cela évoluera d'ici 5 à 10 ans. Une fois de plus, il est question d'un changement de paradigme et de façon de consommer. La consigne par exemple implique encore plus le consommateur dans sa démarche de consommation puisqu'il doit ramener son produit en boutique pour le recharger ensuite.
En ce qui concerne le vrac, la disponibilité est limitée. Nous sommes habitués à un marché accessible partout et à tous, ce qui n'est pas le cas pour l'instant avec le vrac bien que les réseaux de distribution se développent. «L'avènement du jetable a eu lieu dans les années 70-80, en même temps que l'avènement du plastique. Nous sommes entrés dans une société de consommation jetable. Nous faisons machine arrière sur près de 50 ans de consommation jetable, ce qui peut prendre du temps... » détaille Eva.
Par ailleurs, la spécialiste explique que les packagings de demain seront davantage pensés en fonction des galéniques des produits. «Avec l'essor pour le sans eau qui va prendre de plus en plus en puissance, les packagings vont également être pensés en ce sens. Les syndets (produits de nettoyage sans savon sous forme solide ou liquide) par exemple ont tendance à coller lorsqu'ils sont sous forme solide. Je pense que d'ici 2-3 ans, il y aura un travail sur ces packagings spécifiques.»
Sur les galéniques
Les produits sans eau sont une vraie tendance. Et il n'est pas impossible qu'avec la sécheresse et les pénuries d'eau qui s'intensifient d'année en année, les personnes soient de plus en plus conscientes de la consommation de cette ressource. «Les galéniques sans eau comme les produits solides, les syndets, les huiles et les poudres sont intéressantes. Des innovations sont en train de se développer dans les laboratoires. Et cela est valable autant dans le sourcing des ingrédients que dans la fabrication des produits en usine.
Pour l'instant, nous sommes dans le démarrage, les galéniques ne sont pas très agréables et ce n'est pas non plus facile à doser. Les poudres font aussi l'objet de beaucoup de gaspillage. On entend dire que cela consomme beaucoup plus d'eau pour réhydrater le produit qu'une galénique classique à base d'eau. Il n'est donc pas garanti que l'on utilise finalement moins d'eau» détaille Eva.
Sur les ingrédients
La biotechnologie est l'avenir de la beauté selon la spécialiste: «La biotech blanche qui consiste en la culture des bactéries, des micro-organismes, la biotech bleue avec les algues et ce qui est issu du monde marin, et la biotech verte avec les plantes sont très intéressantes. La biotech verte permet de faire pousser des plantes en laboratoire. Il y a quatre saisons par an mais il n'y a qu'une seule saison où les plantes poussent dans la nature : au printemps. Avec la culture verticale en laboratoire, on peut avoir jusqu'à six pousses d'une même plante ! Aussi, en laboratoire, on peut extraire des cellules de plantes rares dans la nature pour les faire pousser. Cela donne des résultats très intéressants sur les actifs. Il n'est pas impossible que tous les produits deviennent 100 % naturels grâce à la biotech».