Cosmétiques biologiques, France VS Allemagne
La curiosité n'est pas toujours un vilan défaut !
«Hinter d’Barri gébt’s aü Litt» est un vieux proverbe alsacien connu dans la vallée de Munster (célèbre pour son odorant mais délicieux fromage), qui se traduit par «Derrière la montagne il y a aussi des gens». Signe du «bon sens paysan», il signifie qu’il ne faut pas rester replié sur soi-même mais s’intéresser à ce qui se passe plus loin.
C’est de toute évidence l’attitude qu’il faut avoir en matière de cosmétique bio, nombreux étant malheureusement les acteurs français de cette branche à considérer que la France étant «le» pays de la beauté ainsi que «le» pays de la bio, nous n’aurions pas de leçon à recevoir des autres ou d’inspiration à puiser ailleurs.
Certes, la France est depuis longtemps le deuxième marché européen pour la cosmétique bio et le troisième au monde. Le premier du monde, ce sont les USA, forts de leurs 327 millions d’habitants, et le deuxième, premier en Europe, c’est donc l’Allemagne, dont la taille de la population (83 millions) et le mode de vie sont bien plus proches de nous que les USA, pays parfois étrange à nos yeux d’Européens, notamment quand on parle de bio et de naturel, voire de beauté.
Concernant la France, l’association Cosmébio a révélé le 20 septembre 2019 les chiffres d’une enquête exclusive sur le marché français de la cosmétique bio et naturelle, réalisée par Ecovia Intelligence, annonçant un chiffre d’affaires record de 757 Mio € en 2018, soit un bond de +18,7 % par rapport à 2017 et une part de marché qui atteindrait 6,4 % des ventes totales de produits cosmétiques.
Mais en Allemagne, selon les chiffres a priori très fiables divulgués également fin septembre 2019, lors du Naturkosmetik Branchenkongress de Berlin (Congrès international de la cosmétique naturelle et bio, où les participants français brillent toujours par leur absence), le marché a atteint en 2018 un chiffre encore plus élevé : 1,26 Mrd € et 9,2 % de part de marché. Rapporté au nombre d’habitants, cela fait 11 € par personne en France et 15 € en Allemagne, soit 36 % de plus Outre-Rhin.
Les grandes caractéristiques du marché allemand
Le marché bio cosmétique allemand mérite aussi qu’on s’y attarde car il a été sans le moindre doute pionnier en la matière : le premier cahier des charges, celui du réseau de magasins naturels Neuform (certes moins sophistiqué que les référentiels actuels) y est né dès les années 1950, celui du BDIH a été lancé en 2001 (contre 2002 pour Cosmébio) et le référentiel international NaTrue, élaboré majoritairement par des marques allemandes dès 2006 (Cosmos n’étant arrivé qu’en 2010, avec une application obligatoire au 1er janvier 2017).
Quelles sont, de façon globale, les grandes tendances actuelles en Allemagne ? Comme en France, le refus des ingrédients «douteux» ou «suspects» («No nasties») est de plus en plus agrant et les cosmétiques végans et basés sur le naturel deviennent des produits de consommation de masse, dans tous les circuits de vente.
Mais il faut surtout noter l’arrivée de nouvelles marques sur le créneau du «inspiré du naturel» et de la «clean beauty» (nouvelle forme de greenwashing dont nous reparlerons dans un prochain article) qui rend la frontière avec le «vrai» naturel et bio de plus en plus dif cile à comprendre par les consommateurs.
Un « ou artistique» savamment entretenu par les marques conventionnelles qui en jouent largement pour leur plus grand bénéfice.
Les Allemands ayant été de tout temps sensibles à l’écologie (cf. le poids politique ancien du parti écologiste, bien qu’il soit actuellement en déclin), la protection de l’environnement et la question du réchauffement climatique ont pris une place importante dans l’univers cosmétique, les consommateurs étant souvent prêts à payer plus cher pour des produits «durables».
Enfin, il faut souligner que les marques locales, formulées à partir d’ingrédients régionaux, mais dont l’envergure de distribution reste parfois limitée, sont très présentes dans le paysage commercial.
Une cosmétique qui aime de plus en plus la nature
Arpenter les allées du Salon Vivaness à Nuremberg (voir encadré), comme nous le faisons depuis une vingtaine d’années, est extrêmement instructif pour voir dans le détail ce qui fait avancer aujourd’hui la cosmétique bio, en conquérant de plus en plus de consommateurs.
C’est donc notamment le cas en matière de développement durable. Une approche qui dépasse de loin la simple question des formulations «naturelles et bio» qui ont marqué la naissance de la cosmétique bio.
Ainsi, on voit de plus en plus de marques qui garantissent l’utilisation exclusive d’électricité «verte» et d’énergie «renouvelable» (ce qui cependant ne signifie pas forcément que le courant qu’on reçoit est «vert», mais correspond à des compensations carbone et/ou des garanties d’investissement dans le durable).
Par contre, depuis plusieurs années, on peut voir par exemple à Vivaness une marque danoise (certifiée Ecocert) qui se targue d’utiliser une énergie «100 % d’origine éolienne».
À noter aussi qu’en parallèle de l’empreinte carbone, «l’empreinte eau» est de plus en plus prise en considération par certaines marques, c’est-à-dire l’impact sur l’eau que peut avoir la fabrication ou l’utilisation d’un produit. Une prochaine tendance en France ?
L’impact écologique des emballages - pots ou tubes - est systématiquement au cœur des préoccupations des fabricants bio. Les plastiques et cartons bien entendu recyclables, intégrant des matériaux recyclés (jusqu’à 100 %), sont un minimum.
Mais on voit aussi de plus en plus de contenants élaborés avec des matériaux issus de sources naturelles renouvelables comme les bioplastiques (à partir de sucre de canne, d’amidon de maïs, d’huile de ricin...) ou même avec du carbonate de calcium (craie, coquillages...).
Autre tendance : les notices disparaissent (les textes sont imprimés à l’intérieur des étuis qu’il faut déplier) quand ce n’est pas les suremballages.
Et à propos de plastiques, la question des microplastiques - évidemment interdits dans les cosmétiques certifiés (voir notre article dans LNE n°722 de février 2019) - est récurrente, même chez les fabricants conventionnels.
Des vertus ciblées pour rassurer
La place manque ici pour lister toutes les tendances fortes du marché bio allemand, des ingrédients fermentés aux produits pour hommes en passant par l’hygiène buccale, les formules stimulant le microbiome cutané ou encore le cannabis (depuis plusieurs années, comme aux USA).
Forcé de faire un choix, nous citerons ici les tendances liées - plus ou moins directement - au DIY («Do it your- self» = «fait maison») qui, comme en France, a trouvé de l’écho en Allemagne auprès de certains consommateurs.
Car en parallèle d’ingrédients bien connus qui sont toujours des «grands classiques», comme l’huile d’argan ou l’aloe vera, d’autres sont directement issus des formules partagées par les adeptes du DIY et connaissent un réel engouement : charbon actif, curcuma, huile de coco...
Qui dit «fait maison» dit aussi «fait main», et justement de plus en plus de PME vantent leur fabrication artisanale («handmade»), arguant de produits faits «avec amour» (sic) et avec une attention particulière, une transparence maximale et le moins d’ingrédients possible.
Cette tendance s’inscrit bien sûr dans l’inquiétude croissante des consommateurs face à des formules complexes susceptibles de contenir des ingrédients «douteux».
Et en poussant encore plus loin cette logique d’une fabrication «authentique» et respectueuse de la qualité des ingrédients utilisés, de plus en plus de marques s’engagent sur la voie de la cosmétique «fraîche».
Non, il ne s’agit pas de produits à conserver au réfrigérateur, mais de l'engagement à fabriquer les produits au fur et à mesure des besoins (c’est-à-dire des commandes effectives des distributeurs) voire à produire les ingrédients à partir de plantes fraîches au moment même de la mise en production.
Nombre de ces tendances, très présentes depuis plusieurs années à Vivaness, commencent à arriver en France, comme l’a montré la partie cosmétique du récent salon Natexpo à Paris-Villepinte, fin octobre 2019.
Pour continuer à regarder vers le futur proche de la cosmétique bio, il est donc de plus en plus justifié de continuer à s’intéresser de près à ce qui se passe hors de nos frontières. N’hésitez pas à franchir le Rhin !