Cosmétique bio : vers un horizon ensoleillé ou menacé ?
Le succès des marques labellisées
60 % de part de marché pour les marques labellisées Cosmébio
Dans notre article sur le Salon Vivaness 2020 paru dans Les Nouvelles Esthétiques du mois de mai 2020, nous avons rappelé les derniers chiffres concernant le marché de la cosmétique bio alors disponibles pour la France, qui étaient ceux de l’année 2018 :
757 millions €, soit une dépense moyenne par habitant de 11,30 € (contre 1,26 milliard € en Allemagne soit 15,30 € par habitant). Depuis quelques temps, l’augmentation annuelle de ce marché tourne autour de plus ou moins 10 % par an en France.
Le 29 septembre 2020, Cosmébio, l’association française des fabricants de cosmétique bio bien connue, a tenu son assemblée générale, décalée en raison de la situation sanitaire, présentant à cette occasion plusieurs nouvelles données chiffrées.
En 2019, le chiffre d’affaires des adhérents de l’association (464 dont 43 nouveaux depuis le 1er janvier 2020, contre 435 l’année précédente) a augmenté de 27 %, atteignant 533 millions €.
Chiffre qui inclut logiquement les nouveaux adhérents et qui, ramené à un nombre comparable d’entreprises membres, montre néanmoins une belle augmentation de l’ordre de 25 %.
Les autres marques
Ce CA des adhérents de l’association ne représente cependant bien sûr qu’une partie du marché français de la cosmétique bio, car il y a en plus des marques françaises certifiées mais non adhérentes de Cosmébio ainsi que d’autres labels bio, notamment NaTrue.
Et comme on le sait, les marques allemandes (notamment Dr Hauschka, Logona, Lavera, Santé, Annemarie Börlind…), non certifiées Cosmébio/Cosmos, ont en particulier toujours joué un rôle important dans l’Hexagone, sans oublier la marque suisse Weleda, un autre pionnier.
À quoi il faut ajouter de très nombreuses autres marques, originaires entre autres d’Italie, d’Espagne, des USA, de Lettonie, d’Israël, etc., également présentes sur le marché français.
900 millions €
Au total, selon Cosmébio, le marché français aurait dépassé les 900 millions € en 2019, confirmant une croissance moyenne de 11 % depuis 2004.
Les 626 marques portant le logo Cosmébio (qui applique le référentiel Cosmos depuis le 1er janvier 2017, à l’instar des certifications allemande BDIH, britannique Soil Association et italienne ICEA) détiendraient ainsi environ 60 % de part de marché en France.
Ces 626 marques représentent actuellement 13 161 produits, dont 5 089 basés sur le nouveau référentiel Cosmos, les autres ayant été formulés et référencés avant le 1er janvier 2017.
La grande distribution : premier lieu d'achat
Il y a quinze ans encore, la cosmétique bio n’intéressait principalement qu’une minorité de consommateurs militants, de fabricants pionniers et de distributeurs engagés, essentiellement les magasins bio.
Aujourd’hui, tous les yeux sont par contre tournés vers ce créneau, certes toujours loin d’être majoritaire – il représente moins de 10 % du marché cosmétique français qui se monte à environ 11,4 milliards € – mais qui, comme évoqué à l’instant, persiste à croître de façon constante, alors qu’à l’inverse le CA de la cosmétique conventionnelle stagne, et même recule légèrement (-1,2 % fin 2019 et même -3 % fin 2018 selon certaines sources).
D’une distribution confidentielle dans le réseau bio, les cosmétiques bio sont de fait passés à une accessibilité très large. D’ailleurs, comme l’ont révélé les résultats d’une étude réalisée par le cabinet Senseva, également présentée lors de l’AG de Cosmébio le 29 septembre 2020, 37 % des consommateurs de cosmétique bio ont fait leur premier achat en grande distribution (super- et hypermarchés, supérettes).
Les magasins spécialisés bio n’apparaissent qu’en deuxième position (lieu d’achat pour 21 % des consommateurs), suivis des pharmacies et parapharmacies (13 %), d’Internet (10 %), des parfumeries (6 %), des fabricants en direct et des marchés (5 % chaque)…
Les instituts ferment la marche avec seulement 4 % des consommateurs qui y font leur premier achat bio. Pour les acheteurs récents (moins de 2 ans), la grande distribution est encore plus citée, avec 45 %, contre 14 % pour les magasins bio. Pour les autres circuits, la différence n’est quasiment pas significative.
C’est donc la grande distribution qui fait aujourd’hui gagner de plus en plus d’acheteurs à la cosmétique bio, la plupart des enseignes de GMS ayant d’ailleurs leur propre marque bio.
Les acheteurs de cosmétique bio
90 % des acheteurs de cosmétique bio sont également consommateurs de produits alimentaires bio et 70 % de produits d’entretien bio.
On observe d’ailleurs que ces acheteurs sont également motivés par le zéro déchet, les packagings réutilisables et rechargeables, ainsi que les ingrédients locaux. L’âge moyen a diminué (42 ans),
61 % des acheteurs étant des femmes et 39 % des hommes. Des femmes qui achètent plus sur Internet que les hommes, les catégories socio-professionnelles supérieures se tournant plus vers les magasins bio et les plus de 65 ans vers la grande distribution.
Du côté des produits, ce sont d’abord les soins visage qui sont plébiscités (31 % des acheteurs), devant les produits capillaires et les produits d’hygiène pour le corps (24 % chacun).
Un optimisme à moduler ?
Toujours selon la même étude Senseva 2020 pour Cosmébio, 50 % des Français achètent aujourd’hui des cosmétiques bio, alors qu’ils n’étaient que 31 % lors de l’enquête de 2016, soit une belle augmentation de 61 %.
52 % de personnes ont également répondu avoir augmenté leur budget pour l’achat de cosmétiques bio, passé de 30 € en 2016 à près de 46 € en 2020.
Mais à y regarder de plus près, ces chiffres encourageants sont cependant à moduler.
En effet, ils concernent les Français ayant acheté au moins un cosmétique bio au cours des 12 derniers mois.
Certes, cela ne change rien à l’augmentation encourageante de ces pourcentages, mais de façon concrète, le fait d’acheter un cosmétique bio, ou même deux ou trois dans l’année fait-il de ces personnes de «vrais consommateurs convaincus» de cosmétique bio ?
Chacun(e) d’entre nous peut faire le calcul : entre les gels douche, les savons, les nettoyants et crèmes pour le visage, les shampooings et conditionneurs capillaires, les crèmes pour les mains, le maquillage pour les dames et les crèmes de rasage ou savons à barbe pour les messieurs, ce sont des dizaines et des dizaines de produits de soin et d’hygiène que nous achetons chaque année.
À notre sens, la cosmétique bio (certifiée) sera vraiment «entrée dans les moeurs» et fera de ses acheteurs des consommateurs bio investis lorsque - estimation subjective bien sûr - au moins 40 ou 50 % des achats annuels de chacun seront des cosmétiques bio, et encore mieux au moins 80 ou 90 %.
Car même si 100 % des Français achetaient seulement un ou deux produits bio en une année, il serait honnêtement difficile de dire que la cosmétique bio a remporté son pari.
Le premier critère d’achat : les ingrédients
Autre point que nous avons relevé dans cette étude Senseva 2020 : le label de certification bio n’est pas le premier critère d’achat. Avec 31 % de consommateurs pour qui c’est le cas (contre 42 % en 2016), il est assez loin derrière l’observation (que l’on suppose critique) des ingrédients, qui est le premier critère pour 46 % des répondants (contre 34 % en 2016).
La clean beauty
Or, on assiste depuis quelques années - et encore plus depuis un ou deux ans - à l’offensive de la «clean beauty», qui se présente comme une alternative «plus lisible» à la cosmétique bio certifiée.
Certains médias beauté et féminins écrivent même régulièrement que face à la «complexité» des cahiers des charges de cosmétique bio (Cosmébio/Cosmos et NaTrue pour ne citer que les principaux), la clean beauty permet de mieux s’y retrouver en matière de cosmétique «saine et écologique».
Ce qui est une contre-vérité absolue, car s’il est vrai que certains détails des labels bio sont parfois complexes pour les néophytes, il n’existe à l’inverse aucun cahier des charges reconnu,(ni certifié par un organisme indépendant en général),de clean beauty, chaque marque (ou parfois enseigne,de magasins, comme les chaînes de parfumerie) ayant,adopté un référentiel qui lui est propre !
Que la présence d’un label de cosmétique bio certifiée, soit de moins en moins le critère principal d’achat pour les consommateurs de cosmétique bio (et/ou naturelle), au profit d’une liste d’ingrédients supposée «propre» (sûre) est à notre sens une épée de Damoclès pour la vraie cosmétique bio engagée, «éthique à 360 degrés», qui ne se contente pas d’éliminer les ingrédients inquiétants les plus médiatisés.
Une épée de Damoclès d’autant dangereuse pour les marques bio que les avocats actuels de cette clean beauty sont des acteurs majeurs, souvent des entreprises internationales, qui ont une force de frappe, en matière de communication, bien plus importante que les marques bio certifiées.
Tout ceci sans oublier la norme ISO 16128, publiée fin 2017, qui a introduit une définition fort critiquable de la cosmétique naturelle, et d’ailleurs extrêmement critiquée par les associations de fabricants pionniers de la cosmétique bio.
Pour nous, tous les feux sont donc loin d’être au vert pour la cosmétique bio. Ils seraient plutôt à l’orange clignotant, signe de danger.
Quid de la cosmétique bio «d'après»
C’est un lieu commun que de parler actuellement du «monde d’après». Depuis le printemps 2020 et l’arrivée sous nos latitudes de la pandémie de Covid 19 due au coronavirus SARS-CoV-2, l’idée d’une révision du mode de fonctionnement de notre société est dans tous les esprits, en matière de santé, d’environnement, de solidarité et de bien d’autres choses encore.
Il est a priori difficile de dire si cette crise sanitaire viendra confirmer ou au contraire freiner la consommation de produits bio, qu’il s’agisse d’alimentaire ou de cosmétique.
Mais les premiers indicateurs semblent montrer que c’est plutôt l’hypothèse d’une croissance des critères liés à la santé et à l’environnement qui est la bonne. La hausse de la consommation bio devrait donc se poursuivre.
Quid des produits de beauté dans le «monde d’après» ? Sans nul doute une demande de plus en plus forte pour des produits vraiment naturels et éco-responsables.
Mais dans ce cas, il ne peut être question de demimesures ou de demi-vérités. Arguer de produit bio et naturel à 90 et 95 %, c’est laisser dans l’ombre les 10 ou 5 % d’ingrédients non naturels qui, demain, avec l’avancée des connaissances, montreront aussi peut-être leurs défauts et leurs limites.
S’adonner au greenwashing représenté par la norme ISO 16128 et la clean beauty n’est pas, pour nous, la meilleure façon de respecter le consommateur ainsi que nous le répétons souvent.
Qu’un grand nombre de ces consommateurs ne soient pas sensibles aux arguments de naturalité et veuillent continuer à acheter ce que les fabricants bio appellent la cosmétique conventionnelle est évidemment leur droit le plus strict.
Mais les consommateurs qui veulent de leur côté des cosmétiques naturels, équitables et écoresponsables sur tous les plans, ne doivent pas se voir proposer des produits qui, en creusant un peu, ne répondent pas intrinsèquement à leurs voeux réels, avec une partie, fût-elle relativement minoritaire, d’ingrédients controversés mais pas toujours connus des spécialistes.
La confusion ainsi créée risque de provoquer une déception et une défiance de la part de ces consommateurs bio. Et ils risquent de ne pas le pardonner aux marques et aux distributeurs lorsqu’ils s’en rendront compte.
Les labels, gage de confiance
La cosmétique bio est incontestablement une voie d’avenir, que les esthéticiennes ne peuvent pas ignorer, nombre d’entre elles l’ayant déjà compris depuis plusieurs années. Mais comme dit plus haut, ce n’est pas avec des demi-vérités qu’il faut répondre aux attentes des consommateurs.
Et s’il existe bien sûr par ailleurs sur le marché des produits non officiellement certifiés mais à la composition irréprochable, dont les fabricants sont totalement engagés dans une philosophie durable et écoresponsable, aujourd’hui, la solution la plus simple pour honorer la confiance des client(e)s est de se tourner vers des marques bio certifiées, dont la qualité, il faut le rappeler, n’a plus rien à envier dans la plupart des cas à la cosmétique conventionnelle.
Le reste n’est donc souvent que du greenwashing se contenant de surfer sur une tendance de fond, à savoir la demande croissante de produits réellement naturels voire bio et non juste avec une belle histoire marketing. Vos client(e) s sont dans ce cas ou le seront demain ? Proposez-leur d’emblée des produits qui ne les décevront pas.