Allégations cosmétiques : Fini de faire couler le «sans» ?

Du «sans huiles minérales» au «sans parabènes», un message constant

À l’instar de l’agriculture biologique, quand les premiers référentiels de cosmétique bio sont nés, ils se sont entre autres construits sur le renoncement à une longue série de composants chimiques et/ou potentiellement nocifs : huiles minérales, silicones, conservateurs, colorants et parfums de synthèse. Les allégations du type «sans» ont ainsi été largement utilisées, portant sur de plus en plus d’ingrédients au fil de la médiatisation de certaines substances : sans parabènes, sans sulfates, sans phtalates, sans nanoparticules, sans perturbateurs endocriniens…

Pour ne pas perdre de clients, la cosmétique conventionnelle ne tarda pas à reprendre à son compte ces allégations «sans», mais en ne focalisant que sur les substances les plus médiatisées : sans parabènes, mais avec d’autres conservateurs douteux ; sans huiles minérales, mais avec d’autres ingrédients de synthèse ; sans ammoniaque dans les colorations capillaires, mais avec d’autres composés chimiques agressifs ; etc.

Mais à force de promettre du «sans», des abus furent faits, à la fois chez les marques conventionnelles et, il faut le reconnaître, chez les marques bio : par exemple «sans tests sur animaux», alors que ceux-ci sont interdits depuis 2013 ; ou encore «sans conservateurs» dans des produits qui, techniquement, n’en ont pas besoin car ne présentant aucun risque de détérioration microbiologique (par exemple des formules sans eau ou contenant une teneur élevée en alcool).

À force de promettre du «sans», de nombreux abus furent faits

Une remise à plat venue des autorités européennes

Depuis plusieurs années, les institutions européennes avaient annoncé qu’elles allaient mettre de l’ordre dans ces dérives dues à un marketing débridé. C’est chose faite depuis le 1er juillet 2019.

Dans la continuité du Règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques, et notamment son article 20, la Commission européenne avait en effet publié le Règlement (UE) n° 655/2013, entré en vigueur le 11 juillet 2013, «établissant les critères communs auxquels les allégations relatives aux produits cosmétiques doivent répondre pour pouvoir être utilisées». S’appliquant à toutes les allégations «sous la forme de textes, de dénominations, de marques, d’images ou d’autres signes figuratifs (…), quels que soient le support ou le type d’outil de commercialisation utilisé, les fonctions du produit alléguées et le public cible». Ce règlement définit des critères communs de bonnes pratiques pour les allégations, qui sont : conformité avec la législation, véracité, éléments probants, sincérité, équité et choix en connaissance de cause.

Le 1er juillet 2019 marque la date d’entrée en vigueur d’un texte complémentaire, à savoir le «Document technique sur les allégations cosmétiques», version du 3 juillet 2017, qui a «pour objet de fournir des orientations» pour l’application du règlement précité.

Parmi ces orientations figurent notamment des précisions sur les allégations du type «sans». 

Ainsi, elles ne doivent pas être autorisées lorsqu’elles concernent un ingrédient qui est de toute façon interdit dans les produits cosmétiques. Idem «quand elles se réfèrent à un ingrédient qui n’est généralement pas utilisé dans la catégorie spécifique du produit cosmétique concerné», par exemple l’allégation «sans conservateurs» dans un produit dont la composition ne rend pas leur présence nécessaire, comme les parfums riches en alcool. Globalement, les revendications «sans» (ou similaires) ne sont pas autorisées quand elles impliquent un message dénigrant, notamment quand elles reposent principalement sur une perception négative présumée sur la sécurité d’un ingrédient ou groupe d’ingrédients, l’exemple le plus notable étant l’allégation «sans parabènes», interdite.

Autre précision, la revendication «sans allergène/substances sensibilisantes» n’est pas permise, une absence complète du risque d’allergie ne pouvant pas être garantie, de même que la revendication «sans parfum» lorsqu’un produit contient un ingrédient ayant une fonction parfumante dans la formule, indépendamment de ses autres fonctions possibles.

Les revendications «sans» sont autorisées quandelles permettent «un choix éclairé»

Par contre les revendications «sans» sont autorisées quand elles permettent «un choix éclairé» à un groupe spécifique d’utilisateurs, comme «sans ingrédients d’origine animale» pour les vegans ou «sans alcool» par exemple dans un bain de bouche destiné à toute la famille.

Ces textes n’ont en théorie pas force de loi, mais sont une référence pour l’Administration. Dans la pratique, les fabricants doivent donc les appliquer. Certains pays, comme le Portugal, ont d’ailleurs annoncé qu’ils allaient inscrire ces dispositions dans leur loi nationale.

En France, la recommandation de l’ARPP

Pour la France, l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité), qui publie depuis 1974 des règles de déontologie pour toutes les branches de l’industrie et du commerce, a intégré en octobre 2018 ces éléments dans la 8e édition de sa «Recommandation Produits Cosmétiques», elle aussi applicable depuis le 1er juillet 2019. Sont ainsi concernées les allégations «sans», «hypoallergénique», «peau sensible», la notion d’hydratation «en profondeur», la nécessité de preuves sur l’efficacité annoncée des produits, la distinction entre tests objectifs et tests de satisfaction, etc.

Est également visée l’appellation «cosmétique bio» et «cosmétique naturel». Dans ce dernier cas, malheureusement, l’appellation est autorisée pour un produit «si son contenu naturel/d’origine naturelle, au sens de la norme ISO 16128 ou de tout autre référentiel au moins aussi exigeant, est supérieur ou égal à 95 %». La norme ISO 16128, pourtant fort critiquable, devient donc une référence possible.

Force est cependant de constater que pour l’instant, ces allégations «sans» continuent à être utilisées, notamment par des marques conventionnelles qui mettent ainsi en avant l’absence dans leurs formules des ingrédients les plus controversés, passant néanmoins sous silence la présence d’autres ingrédients d’origine chimique, refusés en bio.

Il est urgent de mettre en avant les «plus» de la cosmétique bio

Des dispositions peu appréciées par les fabricants bio français

Lors de l’assemblée générale de Cosmébio le 25 juin 2019, son président Romain Ruth a estimé que cette interdiction des allégations «sans» est une attaque directe contre la cosmétique certifiée, inspirée par les marques conventionnelles qui veulent ainsi empêcher les marques bio de communiquer sur une information demandée par les consommateurs. Mais ce sont toutes les marques, bio ou non, qui sont sensées se soumettre à cette nouvelle obligation : le «handicap» créé par l’interdiction des allégations «sans» est donc le même pour tout le monde.

Il faut cependant souligner que nombreux sont les responsables de marques bio à reconnaître que la communication trop longtemps centrée sur les «sans» de la cosmétique bio n’a pas aidé à valoriser les «plus» de celle-ci. Plutôt qu’un handicap, cette nouvelle donne doit donc être l’occasion de se recentrer enfin sur les qualités des produits bio, aujourd’hui incontestables, tant en matière d’efficacité que de confort et de plaisir d’emploi. Et aussi de mettre surtout en avant les engagements réellement éthiques et durables, cohérents en somme, des marques bio, ce que le conventionnel est incapable de faire dans la plupart des cas.

Dans l’immédiat, plusieurs responsables de marques bio ont annoncé qu’ils continueraient à utiliser des allégations «sans», quittes à devoir se défendre devant la justice.

La «clean cosmetic», nouvelle stratégie du conventionnel ?

Néanmoins, valoriser la cosmétique bio en mettant surtout en avant ses «plus» nous paraît d’autant plus urgent que le conventionnel semble avoir trouvé une nouvelle façon de proposer du «sans» (mais un «sans» bien sûr moins poussé qu’en bio !) sans le dire… On entend en effet de plus en plus parler de «clean cosmetic» ou de «clean labelling» à propos de marques et produits qui seraient «clean» (propres), c’est-à-dire ne contenant pas les ingrédients les plus controversés. Une importante chaîne de parfumerie internationale a d’ailleurs créé ses propres normes de «clean beauty», lui dédiant un corner spécifique dans ses magasins. 

Clairement, le terme «clean» permet ici de jouer sur les mots, de faire donc du «sans» sans employer le terme ! Une nouvelle forme de «greenwashing» qui vient s’ajouter à la norme ISO 16128, très controversée, qui donne l’apparence du naturel à des produits qui ne le sont pas, au sens des exigeants référentiels bio pionniers.

Ne pas trahir vos clientes

Les consommateurs veulent de plus en plus des produits sûrs, faisant de la cosmétique bio un secteur d’avenir pour l’institut. La meilleure façon de ne pas trahir les exigences des client(e)s reste encore de faire le choix de marques certifiées selon des référentiels engagés et complets, comme le sont Cosmos (Cosmébio, BDIH…), Demeter, Nature & Progrès ou NaTrue.