Innovation cosmétique : la pluralité des enjeux R & D

Concevoir un produit implique de réfléchir à toutes les étapes de son cycle de vie (fabrication ou extraction des matières premières, production, transport, utilisation et fin de vie) et à toutes les parties prenantes impactées par le produit.

L'impact environnemental d'un cosmétique

L’empreinte carbone

L’empreinte carbone est la quantité de gaz à effet de serre (C02), émise tout au long de la vie du cosmétique. Ces émissions de CO2 contribuent au réchauffement et au dérèglement climatique. Il est, par conséquent, essentiel de les réduire.

Quels leviers pour la R & D ?

On peut, par exemple, travailler sur la réduction d’émission de C02 liée au packaging, mais aussi sur la naturalité des formules, visant à substituer les matières premières d’origine pétrochimique, issues des énergies fossiles, par leurs équivalents naturels et renouvelables, dès lors que les conditions de culture ou de collecte respectent la biodiversité.

L’empreinte eau

L’empreinte eau correspond à la quantité d’eau consommée pour la fabrication des composants du produit et de son emballage, sa production en usine, mais aussi de l’eau consommée lors de son usage (la douche correspond en moyenne à 60 % de l’empreinte eau d’un shampooing).

Quels leviers pour la R & D ?

L’utilisation en laboratoire d’eau recyclée et de la diminution de la quantité d’eau utilisée lors de la création d’un cosmétique mais aussi le choix de galéniques anhydres (baumes huileux, formules poudre ou solides).

L’écotoxicité aquatique

L’écotoxicité aquatique correspond aux effets polluants sur l’eau et les écosystèmes marins des ingrédients présents dans les eaux usées, qu’il s’agisse de celles rejetées lors de la fabrication ou le traitement de fin de vie d’un produit, par celles des stations d’épuration après traitement des eaux utilisées pour la douche. Cette pollution provoque l’eutrophisation, à savoir un apport excessif d’éléments nutritifs dans le milieu aquatique, entraînant une prolifération végétale, un appauvrissement en oxygène et une asphyxie de tout l’écosystème, engendrant ainsi la disparition d’espèces et pouvant conduire à un assèchement progressif.

Quels leviers pour la R & D ?

Un levier clé est l’optimisation de la biodégradabilité des formules en sélectionnant des ingrédients eux-mêmes biodégradables et en supprimant les ingrédients inhibiteurs susceptibles de perturber le processus de biodégradation.

L'impact sociétal d'un produit

Concrètement, cela consiste à encourager le made in France, les certifications officielles (Cosmos, AB…) et les engagements sociétaux, notamment en faveur de la biodiversité, de l’éducation thérapeutique, d’associations de patients ou de la lutte contre les précarités. Les initiatives se multiplient pour mesurer l’éco-socio conception d’un cosmétique. La Green Mission Pierre Fabre (l’entité du groupe dédié à la naturalité et au développement durable) a mis en place «Le Green Impact Index», un outil de mesure de l’impact socioenvironnemental des produits dermo-cosmétiques, qui prend en compte 14 critères environnementaux pour évaluer leur impact réel sur la planète.

Par ailleurs, l’EcoBeautyScore Consortium, qui rassemble à ce jour 36 entreprises et associations, petites et grandes, issues de quatre continents, a pour but d’évaluer l’impact environnement des entreprises et d’aider les consommateurs à faire des choix durables en matière de produits d’hygiène et de beauté. Ce système de notation et d’évaluation tiendra compte de la formule, de l’emballage et de l’utilisation des produits. Un prototype de notation est prévu pour cette fin d’année. À suivre donc…


Le point de vue des expertes

Cinq questions ont été posées à deux expertes de la R & D made in France : Mélanie Le Jeune, responsable R & D, et Morgane Guillot, Responsable développement Gammes Personnalisées, du Laboratoire Science et Nature.

Quels sont, selon vous, les enjeux de l’innovation cosmétique d’aujourd’hui et de demain ?

MLJ : L’innovation permet de dynamiser un marché. L’innovation cosmétique de demain sera l’innovation qui alliera science et enjeux environnementaux (sourcing, packaging, process, concept, expérience consommateur…). Notre planète a besoin que nous prenions soin d’elle, pensons à elle en innovant ! Les démarches RSE sont sources de nombreuses innovations.

MG : Le défi de la cosmétique bio est d’allier la technique et la responsabilité, sans compromis sur la sensorialité ! La cosmétique doit aussi répondre à un besoin de plaisir, de bien-être. L’innovation réside dans la synergie de ces trois paramètres : technique, écoresponsabilité et sensorialité.

L’innovation doit-elle passer par un sourcing différent ?

MLJ : Certainement, des filières sont probablement à créer. Nous devons apprendre à penser autrement, utiliser des matériaux, des matières premières qui respectent notre environnement, tout en recherchant leur performance. Mais également nous inspirer des autres domaines d’activité, l’innovation est souvent stimulée par la curiosité auprès d’activités différentes, de marchés différents…

MG : L’origine géographique des ingrédients est importante. Nous devons être vigilants sur le parcours de nos matières premières et composants. Le sourcing local est l’un des leviers de l’innovation responsable.

Comment évaluer et améliorer la performance environnementale des ingrédients ?

MLJ : Derrière la performance environnementale des ingrédients, je pense à la consommation énergétique, la gestion des déchets liés à leur production, l’optimisation du transport et de la logistique. Autant d’éléments qui sont mesurés en partenariat avec nos fournisseurs.

MG : Chaque année, nous évaluons les performances de nos fournisseurs, et l’impact environnemental est l’un des critères étudiés. Le référentiel Ecocert permet également de connaître et de limiter l’impact environnemental des ingrédients et des produits finis, notamment en favorisant les procédés de Chimie Verte.

Quels sont les enjeux en termes de consommation d’eau et les innovations galéniques possibles ?

MLJ : À mon sens, la consommation d’eau est l’un des enjeux environnementaux principaux des années à venir ; dans ce contexte, les formules concentrées, les formules anhydres prennent tout leur sens ! Que ce soit dans les galéniques ou les process industriels, limiter l’utilisation de cette ressource devenue rare devra être au coeur de nos préoccupations. C’est déjà le cas au sein du Laboratoire Science et Nature depuis plusieurs années : nous concentrons les formules liquides afin d’utiliser et de transporter moins d’eau !

MG : Il faut également avoir en tête toute la vie du produit et notamment la consommation d’eau dans l’usage chez le consommateur : ainsi, nous travaillons de plus en plus de formules capillaires sans rinçage. Notre laboratoire R & D a, par exemple, imaginé des soins capillaires avant shampoing au lieu d’après-shampoing, pour ne pas ajouter une étape de rinçage dans la routine de l’utilisateur, avec le même rendu sur le cheveu !


Sourcing et biotechnologies au coeur des préoccupations R& D

Quand la R & D se réapproprie le sourcing

Jusqu’à présent, il était coutume pour les équipes cosmétiques R & D de soustraiter le sourcing en se rapprochant de fournisseurs d’ingrédients. C’est bien évidemment toujours le cas, mais nombreuses sont les marques qui ont décidé de gérer le sourcing en direct pour en faire un vrai fer-de-lance en termes de R & D, de durabilité cosmétique, d’engagement, de qualité et de traçabilité. «Notre souhait initial était d’accompagner les agriculteurs dans leur transition écologique vers une agriculture régénératrice en leur apportant un soutien financier et un impact positif pour la terre.

Pour le consommateur, notre volonté est de valoriser les actifs qui poussent sous nos pieds et qui apportent des bienfaits exceptionnels à notre peau» souligne Laure-Anne de Tastes, co-fondatrice de la marque Cultiv, dont la démarche est de valoriser les cultures françaises de fruits, légumes et céréales (chicorée cultivée à Quarouble dans les Hauts-de-France, betterave et épinard cultivés à Saint-Jean de Beugné dans la région Pays de la Loire, céréales cultivées à Varize en région Centre Val de Loire mais aussi en Haute-Loire). Ce n’est pas un hasard si INVIVO, l’Union des coopératives agricoles françaises, est devenue actionnaire de la marque, montrant ainsi le lien fort qui existe entre cette marque et les agriculteurs.

L'agriculture verticale au service des cosmétiques

Imaginez que désormais les plantes des formules cosmétiques ne soient plus cultivées dans la terre mais à l’intérieur, dans des fermes «indoor» futuristes, à l’abri de toute contamination extérieure et ne nécessitant ainsi aucun pesticide. Cette nouvelle méthode d’agriculture révolutionnaire - au service d’une cosmétique upgradée - n’est pas un rêve éveillé mais bel et bien une réalité, mise en place pour la première fois par la marque Ulé, développée en mode intrapreneurial au sein du Groupe Shiseido, qui adopte un mode de culture avant-gardiste issu d’une éco-ferme aux portes de Paris.

Elle relève le pari d’associer “beauty tech” et “beauté naturelle” en créant ses propres extraits en circuit court. Hébergée au sein de la nouvelle Station V, un incubateur de start-up françaises, la ferme Ulé est créée grâce à un partenariat avec la jeune entreprise «Tower Farm» implantée à Saint- Nom-la-Bretèche dans les Yvelines. Animée par une démarche environnementale depuis 2017, cette start-up a pour objectif de développer un modèle d’agriculture urbaine grâce à une production responsable et locale, en intérieur.

Les avantages

À l’abri de toute contamination et avec une parfaite traçabilité, les plantes prospèrent et s’épanouissent de façon optimale et ce, quelle que soit la saison. Autre avantage notoire, cette technologie est le seul et unique moyen d’utiliser des plantes exotiques fraîches pour en exploiter toute la quintessence botanique. Elles évitent par ailleurs ainsi de parcourir des milliers de kilomètres. La ferme verticale est une véritable avancée agrologique et technologique tant sur le plan de l’écoresponsabilité que sur celui de l’efficacité et de la sécurité. Elle ouvre à la cosmétique botanique le champ infini des possibles en garantissant des extraits 100 % purs, traçables et frais.

Le fonctionnement de l’agriculture verticale

Issues de graines puis de plantes mères, les plantes sont disposées sur les tourelles et alimentées en eau chargée de nutriments. Un système de Leds et de ventilation recrée l’écosystème jour-nuit optimisé pour chaque plante et un suivi informatique permet de réagir à tout paramètre défaillant à distance. Ce cocon est adapté en permanence aux plantes pour répondre à chacun de leur besoin.

Les énergies utilisées dans la ferme verticale sont parfaitement régulées et maîtrisées pour une consommation juste, optimisée et un meilleur respect de l’environnement.

L’eau chargée en nutriments tourne en circuit fermé pour éviter toute surconsommation et la lumière est adaptée à chaque plante pour favoriser au mieux son développement. Capable de préserver les ressources grâce à son emploi progressif de l’énergie verte, la ferme commence à expérimenter la cogénération pour l’électricité et recycle 95 % de l’eau utilisée dans son circuit fermé. L’empreinte carbone est également diminuée en rapprochant la culture des plantes des consommateurs finaux.

Les biotechnologies, nouveau paradigme de la R & D

Les biotechnologies définissent un mariage entre la science des êtres vivants, à savoir la biologie, et un ensemble de techniques nouvelles issues d’autres disciplines telles que la microbiologie, la biochimie, la génétique, la biologie moléculaire ou encore la biologie de synthèse. Outre leur aspect écoresponsable, les biotechnologies permettent de créer des molécules «propres» et pures dites bio-inspirées, de diversifier les molécules déjà existantes, de partir de molécules présentes dans la nature ou au sein d’organismes vivants et de les reproduire en laboratoire, et même de générer des molécules qui n’existent pas aujourd’hui dans la nature avec des propriétés tout à fait intéressantes et plus optimisées.

Par la même occasion, elle permet de répondre aux enjeux de développement durable et offre une véritable alternative de production responsable aux produits cosmétiques, avec moins de gaspillage de ressources naturelles et la production d’une plus grande quantité d’actifs. Grâce à la maîtrise des conditions de cultures (température, pH, luminosité, oxygénation…), les biotechnologies telles que la fermentation bactérienne et la culture de microalgues, présentent des avantages comme l’optimisation de la production, mais aussi la maîtrise de la qualité, de la traçabilité et du rendement.

Des exemples concrets

À titre d’exemple, les oligosaccharides obtenus par biotechnologie à partir de sucres naturels, sont d’excellents prébiotiques qui protègent la toute première barrière de défense de la peau en stimulant la croissance de la flore résidente bénéfique au détriment de la flore pathogène. Ils protègent également l’écosystème cutané, ils permettent de le maintenir et de le rééquilibrer. Autre exemple, avec le Laboratoire Garancia qui innove en utilisant pour la première fois au monde un collagène d’origine végétale, synthétisé par des plantes via la technologie ARNm afin d’être le plus proche du collagène humain (riche en proline et hydroxyproline) et ainsi le plus efficace car facile à assimiler par la peau.


Point de vue d'experte

Trois questions à Sandrine Le Carpentier, fondatrice et responsable R & D de la marque Obione, made in Noirmoutier.

Quels sont, selon vous, les enjeux de l’innovation cosmétique de demain ?

Innover consiste à intervenir simultanément sur plusieurs leviers du cahier des charges : les actifs, leur sourcing, les formules, les emballages et, de façon plus globale, le positionnement de la marque qui porte cette innovation. Dans toute démarche marketing, l’innovation vient répondre à des attentes identifiées. Aujourd’hui, quelle que soit la cible visée, l’éco-conception fait partie intégrante de tous les projets. Au-delà des tendances éphémères, l’innovation doit s’appuyer sur des mouvements de fond comme le sont le sourcing local des matières ou la cosmétique solide, choisis par Obione pour construire sa marque.

Je pense qu’il ne faut pas occulter les contraintes induites par les objectifs de naturalité ou de réduction des déchets et qu’elles viennent nuire au maintien de la qualité finale. Un emballage tout carton par exemple n’est pas étanche et ne permet pas de bien conserver ou de bien utiliser le produit. Il n’y a donc pas un idéal unique mais des choix opérés par chaque porteur de projet innovant, intégrant en toute transparence les contraintes liées à l’organisation de sa structure et de ses partenaires : approvisionnement, réglementation, délais, fabrication, coûts et financement… La manière dont vous avez sourcé les plantes star d’Obione est innovante.

Pourriez-vous nous en parler ?

Les halophytes sont des plantes qui résistent au sel marin et qui sont riches de puissantes molécules : polysaccharides, polyphénols, acides aminés, acides gras, vitamines et minéraux. Obione a choisi de récolter sur l’île de Noirmoutier les deux espèces de plantes sélectionnées, l’obione et la Suaeda fruticosa, pour en créer son propre actif exclusif. Le phytocomplexe Obione, hydratant, antioxydant, apaisant et régénérant, est incorporé dans l’ensemble des soins de la marque pour leur apporter ses propriétés. Les cosmétiques Obione sont les premiers à utiliser ces extraits de plantes comme actif innovant, naturel et local et leur INCI est par conséquent le premier en son genre.

En quoi votre crème solide est-elle innovante ?

Son innovation porte sur trois critères majeurs : sa texture et son process de fabrication, son actif exclusif et sa présentation en stick qui apporte une nouvelle gestuelle beauté très pratique, dosée et ciblée. Elle est certifiée bio par Ecocert Greenlife selon le référentiel Cosmos Organic, elle est fabriquée dans l’ouest de la France, elle est Yuka green et vegan. Dans sa formule, il y a de l’eau pour préserver la fraîcheur et la sensorialité à l’application, là où les cosmétiques solides existants sont des baumes ou des bases exclusivement grasses, pas toujours adaptées au soin du visage. La crème solide est concentrée, elle contient moitié moins d’eau qu’une émulsion classique (bon pour la planète) et le stick de 30 g équivaut, en nombre d’usages, à 75 ml de crème. Elle détient ainsi l’un des avantages majeurs de la cosmétique solide comme un shampoing solide qui représente deux flacons de shampoing liquide.

Conclusion

L’heure, où la R & D cosmétique se cantonnait à créer des produits d’hygiène et des cosmétiques sans se soucier de leur impact sur l’environnement, est révolue. Désormais, les préoccupations des services R & D sont tout autres. La façon dont les services R & D conçoivent et fabriquent les produits aujourd’hui aura indéniablement un impact direct sur le monde de demain. Le secteur de la beauté est donc confronté à des enjeux environnementaux majeurs pour pérenniser ses activités, répondre aux aspirations des clients et innover dans un contexte d’exemplarité éthique.